La divine Paris d’Oracle Audio

Aucune autre composante d’un système audio ne comporte autant d’écoles de pensées, de philosophies de constructeurs, qu’une platine de disques vinyles. Prenons par exemple le cas d’amplificateurs de puissance. Quelles sont les technologies disponibles et qui fournira des écoles de pensées ?

Les deux grandes familles d’abord, soit les tubes ou les transistors. Viendront ensuite les classes d’amplification, classe A, classe A/B, classe C, D, etc. On pourra songer aussi à la contre-réaction, avec ou sans, et à la construction stéréo ou double mono, mais c’est à peu près tout ce qui limitera les passions et formera les écoles de pensées pour ce qui est de nos modules de puissance.

Passons maintenant à la table de lecture de disques vinyles et constatons : la base d’abord, qui pourra être rigide ou suspendue, la contre platine – celle qui reçoit le plateau et son bras – idem, rigide ou en suspension, l’entraînement du plateau, qui sera soit direct, soit à courroie, le matériau du plateau lui-même sera sujet à controverse, ainsi que son habillage, devra-t-on précéder notre disque vinyle d’un couvre plateau et si oui, en quelle matière : liège, feutre, caoutchouc ? Passons maintenant au bras qui équipe notre table, devra-t-il être droit ou en « S », long ou court, léger ou lourd, avec des réglages principaux simples ou ultra sophistiqués ? Et pour finir, la cartouche : devra-t-on la choisir à aimant mobile ou à bobine mobile, faite de terre rare ou de bois ultra précieux, avec quel type de taille de diamant spécifique pour une meilleure lecture du sillon ?

Étourdissant, n’est-ce pas ? Je vous le disais, aucune autre composante audio ne comporte autant de possibilités créatives pour aller fouiller les sillons de nos précieux disques ! Et c’est  pour cette raison, cette richesse possible côté réalisations. Quoique certains devins aient annoncé sa mort (bien prématurée),  et qu’on ne puisse  décidemment pas dire que la table de disques vinyles soit en voie d’extinction… N’est-ce pas Oracle Audio ?

Il y a plus de trente ans, Oracle présentait sa table Delphi dont l’innovation principale était une contre platine suspendue, non pas avec des ressorts en compression mais montés en extension ; ceux-ci limitant les rebondissements par le poids de la contre platine et du plateau. Cette technologie révolutionnaire imposait un design particulier, tout en donnant un cachet sans comparaison avec ce qui se faisait à l’époque. Trente années plus tard, Oracle est parmi les chefs de file en matière de lecture analogique et la Delphi est toujours présente aujourd’hui, dans sa version MKVI.

Pour ce qui est du modèle Paris qui nous a été confié pour ce numéro, le but premier pour Oracle était de proposer une table moins coûteuse que la Delphi. Par moins coûteuse, il faut comprendre d’environ la moitié du prix d’une Delphi, ce qui somme toute est un bon défi pour un manufacturier. La constatation d’innovations technologiques sévit encore avec la Paris, comme nous allons le voir ensemble. Notez que le modèle mis à notre disposition était un prototype et que la description ne tiendra pas compte d’un dessous de table fini avec son capot de protection du circuit électronique, puisque notre modèle n’en comportait pas.

Oracle Audio nous propose la Paris clé en main, c’est-à-dire équipée d’un bras Evolution de Pro-Ject et d’une cartouche Paris d’Oracle montés, réglés et fins prêts pour l’écoute. Séduisante initiative, si l’on considère ce que j’ai justement décris auparavant, et qui enlève aux futurs propriétaires le souci des associations de bras et de cartouches. Oracle Audio nous propose donc sa Paris toute équipée, résultat d’un agrément de manufacturier et d’écoutes successives de la part du constructeur ; on peut s’y fier.

Présentation et technique
Je ne connais pas toutes les couleurs de bases qui seront disponibles pour la Paris, mais celle que j’ai eue, d’un rouge brillant magnifique, nous séduit immédiatement. Le bras, imposant et massif, ainsi que sa cartouche aluminium sont bien mis en valeur sur ce grand support au squelette rubis. À l’endroit où on peut lire le nom Paris, une assez grande facette sur la base permettra de mieux prendre le contrôle du bras, pour l’amener au début du disque : chez Oracle, pas de création esthétique si celle-ci n’a pas de réelle fonction lui étant attribuée. Un capot transparent de protection est disponible en option ; j’espère que ce capot sera proposé uniquement transparent car il n’y a rien à cacher !

La base est construite à partir de MDF (Medium Density Fiber), tout comme la contre platine qui supporte le disque d’aluminium qui entraînera le plateau et qui, au surplus, accueillera également le bras. Gardez en mémoire que toute la description qui va suivre à pour but d’éliminer, d’amortir et au mieux de contrôler les vibrations, pour qu’elles ne dérangent pas la lecture de notre disque vinyle. La base est donc montée sur trois supports de Delrin dont l’extrémité en contact est arrondie. Le Delrin (appelé Polixyméthylène, par son nom moins intime) est un polymère semi cristallin, originalement de couleur blanche et reconnu pour ses propriétés de résistance à la fatigue, duquel on y adjoint une dureté facilement comparable aux métaux. C’est dans l’industrie automobile qu’on  rencontre principalement ce dernier, mais aussi de plus en plus dans le secteur électronique. Puisque les gens d’Oracle sont de grands fureteurs, les propriétés de ce matériau ont séduit les ingénieurs de la Paris, qui s’en serviront à plusieurs endroits, comme nous le verrons plus tard. La principale originalité de cette table de lecture Paris tient à sa contre platine qui est suspendue de façon innovante.

Cette contre platine, qui mesure 13 par 3,75 pouces, est maintenue en suspension par des tiges cylindriques en fibre de verre qui traversent cette contre plaque, elles-mêmes étant glissées dans de petits cylindres en Sorbothane. Le Sorbothane fait aussi partie de la grande famille des polymères et consiste en un mélange de caoutchouc, de silicone et d’autres polymères, et dont les applications sont nombreuses : de la semelle de chaussures sportives aux tuiles acoustiques des sous-marins. Dans le cas de notre table de lecture, c’est bien sûr ses grandes propriétés d’isolations mécaniques qui seront en un sens retenues. Le réglage fin du niveau de la contre platine, en quatre points, sera parfait en jouant sur quatre molettes prévues à cet effet ; ceci terminera l’indispensable horizontalité du plateau support de disque. Je note ici qu’un tampon de Sorbothane assure aussi l’isolement du moteur d’entraînement. Un important circuit imprimé, lui-même amorti par quatre cylindres de caoutchouc, se charge de la régulation du moteur, de la constante de rotation, des vitesses – 33 et 45 tours disponibles – et du démarrage quasi instantané de la rotation du plateau qui atteint la vitesse choisie en moins de 2 secondes : du travail parfait.

Le bras Evolution de Pro-ject est un bras droit en fibre de carbone à équilibrage conventionnel et doté de technologies de construction novatrices, notamment en ce qui a trait aux systèmes de pivots. L’anti-patinage s’ajuste par l’entremise d’une masselotte au bout d’un fil et que l’impressionnant système d’axes du bras rend invisible.

Passons maintenant à la partie support de disque vinyle. Le plateau en acrylique, matériau reconnu lui aussi pour sa très faible résonance, repose sur un contre plateau en aluminium, qui pour sa part sera entraîné par la courroie. Aucun tapis de plateau n’est prévu puisqu’un galet presseur, en Delrin également, viendra plaquer fermement votre disque au plateau d’acrylique. Sage intention que ce concept de double disque de serrage qui permet de façon ingénieuse de ne pas abîmer l’étiquette des disques. Oracle Audio joue ici, grâce à la tenue ferme du disque sur son plateau, la carte de la liaison mécanique qui cherche à détruire toutes sources de bruits, plutôt qu’à l’amortir à l’aide d’une liaison de plateaux de types feutre, liège et caoutchouc.

Résumons-nous
Nous sommes en présence d’une table pour disques vinyles dont la cible initiale de la part du constructeur était de la proposer à la moitié du prix de vente de sa grande sœur. Considérant que la Paris reprend quelques parties de la Delphi ; les bagues et la plaque de butée de l’axe du plateau sont du même matériau que la Delphi MKVI – la dernière en date -, le moteur asynchrone, la courroie ainsi que le bloc d’alimentation sont aussi issus de la Delphi. Par ailleurs, le système de suspension et son allure particulièrement séduisante, nous amènent à pouvoir rondement affirmer que la Paris honore la marque Oracle et ne souffre d’aucun compromis.

L’écoute
Il y a un « cérémonial » avant la lecture d’un disque vinyle qui m’a toujours séduit. Cette installation de notre microsillon sur le plateau, son essuyage, le démarrage du plateau et la pose du diamant dans le sillon, tout cela a quelque chose de sacré. Je suis fier aussi de pouvoir encore écouter certains disques 33 tours, achetés il y a plus de 35 ans et qui sont dans un état plus qu’impeccables.

Je commence avec Jacques Bertin et sa voix grandiose et chaleureuse, son accompagnement minimal et un enregistrement en prise directe (le chanteur et l’orchestre sont enregistrés en même temps). Dès les premières secondes, je comprends ce qui réjouit tant les inconditionnels de la table analogique: cette chaleur donnée à la voix et l’installation instantanée de la scène sonore, avec un respect total des niveaux de chaque instrument, c’est flagrant. Tout est en place, à sa juste hauteur, les violons sont là en accompagnement et juste en accompagnement, pas de superposition factice. Dans l’extrait Menace, le texte se dévoile sur une musique qui apparaît lentement, comme s’extirpant du fond de la salle. Progressivement, la musique recouvre le chanteur qui lui reste tout à fait compréhensible.

Sur l’album de Miles Davis, Star People, on est tout de suite dans le très « chargé », musicalement parlant. L’atmosphère est donnée avec la pièce titre et les musiciens occupent l’espace de façon envahissante, sans que la Paris n’éprouve quelque difficulté que ce soit. La trompette du Maître m’apparaît comme elle doit l’être dans la réalité, pincée et puissante, et ce, même si les notes sont délicates. La basse électrique de Marcus Miller est suivie avec une bonne acuité. Malgré une complexité sonore assez évidente, la lecture analogique se fait totalement oublier et le disque passe en entier.

Si la Symphonie Fantastique de Berlioz est dirigée de façon quelque peu précipitée par Carlos Païta, il n’en demeure pas moins que cet enregistrement vaut son pesant d’or par sa dynamique et la précision hallucinante des cuivres. C’est d’ailleurs ce 33 tours qui m’a fait comprendre, il y a des années, qu’on pouvait obtenir une sonorité renversante à partir de disques vinyles. Dans l’extrait « La marche au supplice », les cuivres atteignent une vérité rare et, en l’occurrence, on oublie le côté factice de la prise de son, qui semble rapprocher les micros au moment où la fanfaronnade entre en jeu. Dans la phase finale du même morceau, la montée vertigineuse fait craindre le pire pour une lecture analogique. Ici, néanmoins, tout se passe admirablement, avec un final à décrocher mes éclairages halogènes ! La sensation d’espace et de masse orchestrale est restituée avec brio, jusqu’à ce que la musique disparaisse.

Sweet Smoke, Just a Poke, (ne riez pas, c’est vraiment le nom du groupe et le titre de l’album !) servait, il y a plus de 30 ans, à des démonstrations audio dans mes boutiques spécialisées ; une référence en quelque sorte. Cet album jazz-rock, parfaitement enregistré, m’aide à confirmer qu’il y a vraiment quelque chose d’incomparable en lecture analogique. Si la table Paris réveille mon disque, je dois dire aussi que je ne fais aucun effort pour visualiser le détachement de chaque instrumentiste. Curieusement, à une époque où l’effet stéréophonique primait, le passage gauche-droite se fait bien en liaison, sans trou central, ce qui prouve que l’ensemble Paris d’Oracle accomplit sa mission, sans pour cela se laisser duper par les effets exagérés de l’enregistrement. La partie percussion, qui change de canal et d’intensité, ne me paraît pas aussi floue que les rédacteurs de banc d’essais de matériel audio de l’époque le soulignaient dans leur texte. Preuve de la très grande capacité de lecture de notre ensemble Oracle. En prime, les aigus sont particulièrement scintillants et font découvrir que mes tweeters à rubans s’accordent parfaitement avec la très large bande passante de la cartouche Paris. C’est raffiné et nuancé. Pour ce qui est de la dynamique, on sent de façon générale que des grands progrès sont faits avec les lectures numériques et que la table analogique est inférieure, quand on y réfléchit, et qu’on s’y attarde par la suite. Je peux dire que si la lecture analogique est de très haut niveau – c’est le cas ici – il n’y a pas de sensation de réduction et la dynamique n’est jamais en défaut. En fait, vous ne ressentirez de manque à aucun moment.

Conclusion
Présentée comme un véritable objet d’art, technologiquement innovante, parfaitement équilibrée – table, bras, cartouche -, cette réalisation Paris est une réussite qui fera date pour le manufacturier, fort d’un savoir-faire et d’une expérience inégalables. Je félicite aussi l’idée de mettre sur le marché un modèle plus abordable et qui, de surcroît, ne décevra en aucune manière les passionnés d’Oracle, lesquels voyaient le modèle Delphi comme un rêve inaccessible.

Si un oracle est la réponse donnée par un Dieu à une question personnelle concernant généralement le futur et si on imagine que la question posée par Oracle Audio devait concerner l’avenir du disque 33 tours, on peut dire que perpétuer la fabrication de tables tourne-disque est une sage résolution. Oracle Audio nous en fait la preuve, trente années plus tard.

RENSEIGNEMENTS GÉNÉRAUX
• Table de lecture analogique Paris :  3 150 $
• Garantie : 3 ans, pièces et main-d’œuvre
• Bras de lecture Paris :  950 $
• Garantie : 2 ans, pièces et main-d’œuvre
• Cellule de lecture Paris  :  1 150 $
• Garantie limité : 1 an (contre défaut de fabrication)
• L’ensemble des trois morceaux : 4 950 $
• Fabricant et distributeur : Oracle Audio,
Tél. : 819.864.0480,
www.oracle-audio.com

Médiagraphie :
• Jacques Bertin, Domaine de joie, Le Chant du Monde, LDX 74701
• Miles Davis, Star People, CBS 25395
• Hector Berlioz, Symphonie Fantastique – Dir. : Carlos Païta, Decca, 7659
• Sweet Smoke, Just a Poke, EMI Columbia, 2C 062 28 886
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