Le cerveau et la musique – partie II

Jouer de la musique a un impact positif sur l’apprentissage des langues
La musique et le langage sont d’abord et avant tout des sons, comme nous l’avons mentionné. Les paroles et les notes suivent le même parcours jusqu’au cortex auditif. Toutefois, elles prennent ensuite des chemins différents, mais si les régions corticales du langage et de la musique sont distinctes, elles sont néanmoins adjacentes.

Une des sommités actuelles sur les relations étroites entre le langage et la musique, le professeur Aniruddh Patel de l’Université Tufts à Boston, a élaboré une théorie qui permet d’expliquer ces liens. Il lui a donné le nom d’OPERA. Elle se fonde sur le constat de l’influence de la pratique de la musique sur la plasticité des réseaux de neurones nécessaires au langage. Pour Patel, OPERA prend en compte la complémentarité des réseaux dans le cerveau (puisqu’ils décodent à la fois le langage et la musique); la précision que la musique exige de ces réseaux (qui sont supérieurs au langage); les émotions positives qui se dégagent de l’utilisation de ces réseaux; la répétition qu’impose l’exercice de la musique et, finalement, l’attention nécessaire à l’exécution musicale. Réunies, ces conditions expliqueraient l’effet positif de la musique dans l’apprentissage du langage.

D’ailleurs, de nombreuses études ont démontré que la formation musicale améliore la mémoire et l’aisance du langage, comme l’acquisition et les habiletés de lecture en langue seconde. Cependant, doit-on le préciser, jouer de la musique n’améliore pas les aptitudes mathématiques et spatiales. Aucune étude ne démontre de liens à ce propos. Il semble bien que les aires auditives et visuelles ne soient pas arrimées pour créer une synergie, et que même la lecture de la notation musicale n’ait pas de conséquence sur la capacité de comprendre les mathématiques.

Jouer de la musique améliore la concentration
Demandez-le à n’importe quel musicien, pour jouer de la musique, il faut être concentré, très concentré. On l’est encore plus lorsque l’on apprend à jouer d’un instrument. Étant pianiste moi-même, je me souviens de mes exercices de jeunesse. Une séance de deux heures, qui incluait une nouvelle pièce difficile, comme une sonate de Beethoven ou une partita de Bach, des arpèges, des gammes, des études, était passablement épuisante. Les études sur le sujet démontrent bien que l’apprentissage d’un instrument de musique améliore l’attention des jeunes.

C’est un concept qui revient souvent en linguistique et que l’on nomme en anglais code switching, pour signifier l’alternance des codes linguistiques. Ici, dans l’apprentissage d’un instrument de musique, c’est l’alternance des tâches, lecture, exécution, écoute, qui sollicite un va-et-vient des fonctions exécutives et décisionnelles entre le lobe frontal, le cortex auditif, le cortex visuel, la mémoire et le système limbique, celui des émotions. Tout cela améliore la concentration et la mémoire fonctionnelle des jeunes.

Le rythme améliore l’apprentissage et la performance
Le rythme reste au cœur de ce que nous sommes : pensons au rythme cardiaque à la marche, au rythme régulier de la respiration et au rythme naturel de la parole. On a même découvert que les enfants âgés de deux mois peuvent distinguer les variations rythmiques dans la musique. C’est dire l’importance que le cerveau accorde à la perception du rythme. On a également démontré que les neurones du cortex visuel peuvent être entraînés à réagir à des rythmes réguliers.

S’il existe une explication des bienfaits de l’apprentissage de la musique, c’est que le rythme aurait un effet positif à la fois sur la performance et l’apprentissage. Les fonctions cognitives nécessaires à la coordination et à la planification des mouvements, l’anticipation, l’intégration sensorimotrice lors de l’exécution d’une pièce musicale sur un instrument bénéficient de la synchronisation nécessaire au rythme.

L’impact de cette « synchronisation » sur le comportement a aussi été étudié. Si la musique joue un rôle dans l’évolution de l’humain comme facteur d’unification et de perfectionnement de la coopération, de la coordination et de la cohésion du groupe, le rythme musical y participe de façon centrale. Demandez à un musicien d’orchestre de vous parler du puissant phénomène de la synchronisation lors d’un concert symphonique. Les cent musiciens ne font qu’un, symbolisés par le chef d’orchestre. Les travaux du psychologue et chercheur américain Piercarlo Valdesolo et d’autres ont établi un lien entre la synchronisation et l’affiliation sociale, la coopération et même la compassion.

Un enfant qui apprend à jouer de la musique avec d’autres jeunes entre dans cette synchronisation rythmique. On a mesuré l’activation des neurones miroirs, une catégorie de neurones qui fonctionnent dans le cerveau d’un individu quand celui-ci observe ou exécute le même geste. Depuis leur découverte chez l’animal par le médecin et chercheur en neurosciences Giacomo Rizzolatti et son équipe de l’Université de Parme, en Italie, au cours des années 1990, on en a depuis confirmé l’existence chez l’humain il y a quelques années. Ils sont situés autour de l’aire du langage – l’aire de Broca – et au niveau du cortex pariétal.

Ils sont miroirs parce qu’ils fonctionnent aussi bien pour les actions exécutées par soi-même que pour celles effectuées par quelqu’un d’autre. Leur rôle serait de renforcer l’empathie. Ils sont vus comme étant centraux dans ce que l’on appelle la cognition sociale, le développement du langage et de l’art par le biais des émotions et la compréhension de l’autre. Jouer de la musique en groupe active donc ces régions. L’entraînement rythmique et la synchronisation à ce haut niveau n’ont d’égal que l’entraînement dans certains sports d’équipe.

Jouer de la musique rend-il plus intelligent ?
L’apprentissage de la musique pourrait-il avoir un effet sur la réussite scolaire et effectivement augmenter ainsi le quotient intellectuel (QI) ? Les résultats des nombreuses recherches à ce sujet ne sont pas concluants. Certaines études démontrent une légère augmentation du QI, mais elles ne sont que rarement reproduites. Il faut mettre ces études en perspective en considérant les facteurs environnementaux et génétiques, qui biaisent la recherche. Le fait que l’accès aux cours de musique est plus facile pour les classes socioéconomiquement aisées, et celui que les élèves disposant d’aptitudes supérieures sont plus susceptibles de suivre des cours de musique sont des variables dont il faut aussi tenir compte.

Et d’autres facteurs entrent en ligne de compte. Il s’agit de la durée de la formation musicale, et surtout d’un grand nombre de variables, qui exercent une influence sur les bénéfices de l’apprentissage de la musique en bas âge : le milieu familial, les autres activités de l’enfant, l’attention, la motivation et même la méthode d’enseignement. La récompense et le contexte de la formation musicale jouent aussi un rôle important.

En faisant abstraction du contexte socioéconomique, les chercheurs peuvent affirmer que l’apprentissage de la musique augmente les chances de succès académique. Les études de Glen Schellenberg, spécialiste des liens entre la cognition et la musique à l’Université de Toronto, ont d’ailleurs démontré que la réussite scolaire s’améliorait avec l’apprentissage de la musique, dans une étude regroupant 171 jeunes de 6 à 11 ans.

La pratique de la musique : une réserve cognitive pour le vieil âge…
J’ai beaucoup parlé des bienfaits de l’apprentissage de musique à partir de l’enfance. Mais qu’en est-il si on décide de jouer plus vieux, à l’âge adulte ? Il ne faut pas s’attendre à joueur un concerto de Rachmaninov ou un solo de guitare de Jimmy Hendrix, mais avec des objectifs ajustés à ses capacité, on peut soutirer de nombreux bénéfices tout en ayant énormément de plaisir.

Ceux qui commencent à accumuler les années pourront vous le dire : avec l’âge, un déclin graduel, mais inévitable, des fonctions de notre cerveau apparaît et nous perdons de cette célèbre plasticité qui nous permet de gagner du volume cérébral et de l’habileté dans certaines tâches que nous voulons accomplir. Une bonne nouvelle semble cependant émerger de nombreuses études récentes : l’exercice de la musique ralentit le déclin cognitif. Les chercheurs proposent d’ailleurs de nous donner une « réserve cognitive » grâce à la pratique assidue de la musique et cela, à tout âge de la vie.

Dans l’une de ces études concernant des personnes de plus de 60 ans, on a invité un premier groupe de sujets à suivre des cours de piano, pendant qu’un autre constituait le groupe contrôle. Après six mois, tous les participants ont été soumis à des tests. Ceux qui avaient reçu une formation musicale ont montré des gains nettement significatifs sur le plan de la mémoire et des habiletés motrices, comparativement aux personnes qui composaient le groupe témoin et qui n’avaient pas bénéficié des cours de piano.

Et joueur pour des amis et la famille procure un grand bonheur tant pour l’interprète que pour le public. Cela apporte la cohésion sociale et une richesse émotive partagée. Depuis que la musique existe, de nombreux philosophes et médecins ont même constater ses bienfaits sur la santé. La musique pour soigner existe depuis l’Antiquité.

Dans le prochain et dernier article de cette série, nous allons explorer comment la musique peut agir sur les symptômes de plusieurs maladies, de l’alzheimer et le parkinson en passant par l’autisme et les maladies cardiaques.

Suggestions de lecture
1) Peretz, Isabelle, Apprendre la musique : nouvelles des neurosciences, Éditions Odile Jacob, 2018, 155 pages.
2) Rochon, Michel, Le cerveau et la musique, Montréal, Éditions Multimondes, 2018, 186 pages.