<!--:fr-->El Greco : un voyage musical<!--:-->

EL GRECO

El viaje musical de Doménikos Theotokópoulos
Capella de Ministrers
, dir. Carles Magraner
CDM, 1434

Pour son 34e disque, l’ensemble Capella de Ministrers dirigé de main de maître par son fondateur Carles Magraner, a lancé récemment ce disque commémorant le 400e anniversaire de la mort du peintre El Greco. Belle idée encore une fois de cet ensemble spécialisé en musique ancienne qui, à l’instar de Jordi Savall et son Hespérion XXI, s’emploient à redonner les lettres de noblesse aux compositeurs et joyaux musicaux du moyen-âge de la renaissance et du baroque naissant. Ici, le périple musical suit les différentes étapes de la vie du peintre, né en Crète en 1541 et mort à Tolède en 1614, et illustre musicalement des œuvres qu’il aurait pu lui-même entendre. Encore une fois, la richesse musicale du bassin méditerranéen de l’époque, que Magraner exploite avec beaucoup de précision, de subtilité et de couleurs, en fait ici une grande réalisation.

De son vrai nom, Doménikos Theotokópoulos, El Greco est d’abord peintre d’icône de tradition byzantine orthodoxe. Pour marquer cette période, Carles Magraner débute le voyage musical par quatre pièces : Tzivaeri et Letsi, respectivement une pièce et une danse instrumentales grecques, aux rythmes entrainants, qu’il intercalle avec Megalini, un chant byzantin avec voix d’alto presqu’en parlando en en quarts de tons, et dont la ligne vocale épouse celle de la vielle. Enfin, La mujer caída, constitue une sorte de complainte où la soprano chante la gloire de la Vierge. Le vibrato est pratiquement inexistant et ces pièces d’époque le commandent.

El Greco séjourne ensuite en Italie, à Venise d’abord où il devient le disciple de Titien (de 1568 à 1570), puis à Rome au service du Cardinal Alexandre Farnèse (de 1570 à 1572). Les pièces de court de Cesare Negri et de Fabrizio Caroso que Magraner choisit, Villancico, Gagliarda, Spagnoletta, Canario et Balletto, sont toutes en rythmes et divertissantes, et la richesse de l’instrumentarium de l’ensemble éclate ici de tous ses feux comme une grande fête dansante et percussive.

Sa période espagnole est, selon moi, la plus intéressante, en regard aux pièces polyphoniques sacrées de Tomas Luis de Victoria, et de Orlando di Lasso qui magnifient ce disque. Car il faut garder en tête que le sacré et le religieux primait encore sur tout à l’époque. El Greco disait : « Je ne suis pas un mystique, mais ceux qui me commandent des œuvres le sont. » Ici, Magraner puise à même son catalogue et insère un Alma redemptoris mater et un Ave Maria de Victoria, toutes deux à 8 voix a capella. Ces musiques extrêmement élevantes à la gloire de la Vierge montrent un ensemble vocal très solides où les voix sont conduites avec beaucoup de rigueur. Idem dans l’Introïtus du magnifique Requiem aeternam du même. La Capella de Ministrers n’a rien à envier au Tallis Schollars qui s’est fait une spécialité de ce répertoire polyphonique renaissant. Au final, ce disque plaira aux amateurs belles voix, de rythmes méditerranéens, de musique ancienne et de peinture, puisque le livret en trois langues (sauf le français), très fouillé, commenté par des musicologues et des spécialistes de l’art, nous en dit long sur un peintre qui a traversé trois quarts de siècle d’une époque riche et foisonnante à l’aune de deux disciplines artistiques indissociables.

http://www.capelladeministrers.es