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Le 17 février, Québecor décidait de cesser son aventure dans l’écoute musicale en ligne. QUB musique, lancé en mai 2020 aura vécu un peu plus de 2 ans et demi. Deux mois plus tard, le 19 avril, Qobuz débarquait enfin sur le marché canadien. Non seulement les deux événements sont liés, mais entretemps bien des choses se sont passées.

Lors de son lancement, QUB musique s’était targué d’un partenariat stratégique avec Qobuz. En voyant apparaître dans les communiqués de Québecor le nom Qobuz tant espéré, les audiophiles en quête de streaming de qualité s’étaient pris à rêver. Mais c’était tout le contraire qui se passait.

Relations exclusives
Comme le disait alors Mathieu Turbide, vice-président de Québecor NumeriQ au Devoir : Afin de lancer notre service dans les délais requis, NumeriQ a conclu une entente avec Xandrie, la société française qui opère Qobuz, afin quils soccupent de la gestion du catalogue. […] Qobuz fournit la base de données à laquelle QUB musique est connectée. Ils soccupent [avec nous] des négociations avec les labels et les sociétés de gestion de droits. Ils opèrent […] la chaîne dapprovisionnements des contenus musicaux, lingestion des titres, lindexation de la base de données, etc. Le catalogue de QUB musique est donc très similaire à celui de Qobuz, avec une sensibilité accrue pour les artistes dici.

Pour le reste, et notamment la stratégie de mise en marché, Québécor avait choisi de viser le marché de masse, une sorte de Spotify avec un + Québécois, soit en termes d’audio du mp3, l’opposé absolu de Qobuz.

L’erreur stratégique était absolue. Les raisons sont apparues clairement dans un article d’Alexandre Vigneault dans La Presse le 2 novembre 2022 lorsque ce dernier dévoilait qu’il n’y avait qu’une seule chanson en français dans le Top 100 des pièces les plus écoutées à Montréal sur Spotify ! Dixit notre confrère, Il faut parcourir la liste des 500 titres les plus demandés au Québec sur les différentes plateformes numériques pour en trouver 10 dici et pas forcément en français .

Ce que le grand public ne savait pas à l’époque, c’est que Québecor est aussi le 2e actionnaire le plus important de Qobuz et que l’accord de partenariat QUB-Qobuz empêchait Qobuz de venir s’implanter au Canada. Cela, nous l’avons appris dans une entrevue du grand patron français de Qobuz, Georges Fornay parue dans Le Devoir le 19 avril.

En gros il fallait que la vente de la soupe mp3 se plante en bonne et due forme avant d’avoir enfin le droit de streamer en HD 24 bits – 96 kHz et 24 bits – 192 kHz au pays ! C’est chose faite. Et Qobuz tient toutes ses promesses, puisque à la qualité du son s’ajoute un éditorial (curation, dans la terminologie anglaise consacrée) efficace, et une mine d’informations. L’intégration à Audirvana et Roon est efficace : les offres pleuvent.

La fin de l’origami
Ce trou béant dans l’offre du streaming de qualité au Canada laissait un boulevard sur notre marché à Tidal, d’autant que le fief quasi unique et absolu de Tidal est l’Amérique du Nord et la stratégie d’intégration de ce service dans nombres de matériels Hifi a servi son expansion. Tidal a fait beaucoup de chemin avec MQA, le génialement nommé Master Quality Authenticated qui a fait illusion pendant un bon bout de temps.

Mais si Qobuz est arrivé le 19 avril alors qu’on ne l’attendait pas avant le courant du mois de mai, c’est sans doute aussi parce que le 6 avril MQA a déposé le bilan ce qui met Tidal dans le trouble. Et pas qu’un peu..

La société MQA créée par Bob Stuart, cofondateur de Meridian en 1977, dont il fut le directeur technique jusqu’en 2015, a joui d’une aura et crédibilité hors-normes liées à son fondateur, même lorsque celui-ci expliquait sans rire qu’il parvenait à plier un Master comme un origami pour réduire sa dimension en dessous d’un WAV 16 bit – 44,1 kHz sans perdre de qualité.

MQA était bel et bien une compression mais avec la prétention d’équivaloir à de la haute résolution. Plus d’une fois, le jupon dépassait. À l’exception de Tidal, aucun service de streaming n’a adopté le codec MQA. Tidal en avait fait son argumentaire. Il ne lui reste rien, ou qu’à tout reconstruire avec un retard insurmontable (sur Amazon par exemple, qui s’est mis à la HD). Et Qobuz est en passe de l’égaler en termes d’intégration matérielle.

Nouveaux joueurs
Mais Qobuz ne rentre plus sur ce marché comme dans du beurre, d’où son empressement aussi. La haute résolution ne vise pas le marché des moins de 30 ans adeptes de rap et de hip hop, mais bien davantage les 40 ans et plus qui écoutent du rock, de la pop, du classique et du jazz.

Classique et jazz sont les deux segments historiques de Qobuz. Et sur ce créneau, entre le 17 février et le 19 avril, la société française a vu l’arrivée, le 21 février, du service de streaming de Presto et, le 28 mars, le lancement d’Apple classique.

Les premiers commentaires sur divers blogs après le lancement de Presto ne trompaient pas : ils émanaient du Canada et disaient en gros : ce service est parfait, surtout pour nous qui n’avons pas Qobuz.

La marque Presto est très connue des amateurs de musique. C’est un vendeur de disques par correspondance, basé au Royaume-Uni, une référence du métier depuis deux décennies, spécialisé en classique et jazz. C’est aussi un efficace site de téléchargement depuis 2010. La base de données élaborée pour cela est adaptée désormais à l’écoute à la demande.

Même qualité que chez Qobuz : 24 – 96 (et 24 – 192 si disponible), présence des notices des disques. C’est un peu comme un disquaire géant où l’on pourrait tout écouter. Et, en plus, ils rémunèrent les artistes à la seconde de musique écoutée. Ils sont les seuls à faire cela avec Idagio, un autre service classique, mais qui ne croit pas en la HD.

Les défauts : ce n’est que classique et jazz, alors que Qobuz est multi-genres ; il manque toute l’infrastructure d’intégration matérielle (Audirvana, Roon, Bluesound, etc) et ce sera toujours une entreprise dévouée mais artisanale. Il y a par exemple aussi du travail à faire par rapport à l’intégration de l’application dans Android Auto et Apple Car Play, toutes ces sortes de choses qui vont de soi avec les grosses compagnies.

Et Apple ?
Quoique… Allez donc essayer de connecter Apple classique à Apple Car Play. C’est peine perdue : tout passe par Apple Music. Comme son nom l’indique, Apple a lancé une application juste pour les amateurs de classique.

Pourquoi ? Parce que lorsque Beethoven a composé la 9e Symphonie, il a composé une œuvre avec quatre mouvements, quatre solistes, un chœur, un orchestre et un chef d’orchestre. Toutes ces informations sont à l’étroit dans les bases de données conçues sur le modèle Chanteur-Chanson-Album. D’où des recherches parfois difficiles.

Idagio et une société nommée Primephonic (et Presto aujourd’hui) ont construit des services de streaming avec une base de données adaptée au classique. Apple a racheté Primephonic et, après 19 mois, a sorti Apple classique.

Les avantages : des exclusivités avec des grands orchestres dont on peut entendre les concerts ; des albums en avant-première ; des listes de lectures à foison pour vous initier mais aussi votre neveu, votre voisin et votre belle-sœur et une diffusion en HD théorique.

Les désavantages ? Il n’y a aucune documentation, aucune notice des CD écoutés (contrairement à Qobuz et Presto) ; l’univers est limité pour l’heure à l’iPhone donc au Bluetooth et à AirPlay. On mettra donc un bémol sur les notions de HD et d’audiophilie, à moins de considérer comme audiophile l’écoute d’un enregistrement Dolby Atmos sur des AirPods Max ou de brancher l’iPhone sur un DAC en espérant que votre maman ne vous appelle pas pendant l’écoute de Mahler ou de Pink Floyd en HD pour demander des nouvelles de la petite.

L’interface voiture est à créer, aussi, mais il y a du potentiel quand on investira l’univers de l’ordinateur, événement pour lequel Apple ne donne pas de date.

  • Un complément d’information:
    Le streaming ce sont 589 millions d’abonnés payants dans le monde à la fin 2022 (Source Fédération internationale de l’industrie phonographique – IFPI).

    Spotify
    est leader du marché avec 205 millions d’abonnés payants.

    Apple
    Musique est 2e avec 95 millions, YouTube Premium 3e avec plus de 80 millions, des positions qui pourraient s’inverser en 2023.

    MQA
    engrangeait 1,1 M de dollars canadiens de revenus annuels pour 7,5 millions de dépenses.

    Qobuz
    a 500 000 abonnés dans 25 pays.
  • https://www.lapresse.ca/