Sibelius, Strauss, Vivaldi, Hamelin, Messiaen

Disque du mois de mars 2024

YANNICK NÉZET-SÉGUIN – ORCHESTRE MÉTROPOLITAIN
JEAN SIBELIUS

Symphonies n°s 2 et 5.
Atma, ACD2 2453.

Interprétation :  🟊🟊🟊🟊🟊

Technique : 🟊🟊🟊🟊🟊

Même s’il est chef au Metropolitan Opera et à l’Orchestre de Philadelphie, Yannick Nézet-Séguin reste fidèle à son Orchestre Métropolitain qu’il amène à un très remarquable niveau et avec lequel il enregistre des projets importants. Une intégrale des symphonies de Bruckner pour Atma avait marqué les débuts de leur ascension dans le monde musical. L’intégrale Sibelius en matérialise la consolidation.

Ce volume est le plus important, celui vers lequel tout le monde aura les yeux tournés, car il regroupe les deux symphonies les plus connues et les plus accessibles. C’est aussi le plus spectaculairement réussi. La Symphonie no 3 avait marqué un tournant dans la compréhension sur la manière d’enregistrer l’orchestre à la Maison symphonique de Montréal. On retrouve cette clarté et cette profondeur ici. Elle sert grandement le propos musical nourri par le soin du détail et le sens de la construction et de la gradation. Ces interprétations sont marquées par un vrai souffle qui naît d’une lecture consciencieuse de la partition et de sa maîtrise. C’est plus que remarquable et souvent exaltant.

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Disque du mois de mars 2024

RAFAEL PAYARE-ORCHESTRE SYMPHONIQUE DE MONTRÉAL
RICHARD STRAUSS Avec SONYA YONCHEVA (soprano).

Ein Heldenleben. + Mahler : Rückert-Lieder.

Pentatone, PTC 5187201.

Interprétation : 🟊🟊🟊🟊🟊

Technique : 🟊🟊🟊🟊🟊

Après une fulgurante 5e Symphonie de Mahler, qui a reçu un accueil critique international remarquable, l’OSM et Rafael Payare ont choisi pour leur 2e disque Ein Heldeleben (Une vie de héros) de Richard Strauss. C’est une partition orchestrale spectaculaire, où le compositeur se met en scène, face à ses critiques, dans ses batailles ou avec sa compagne.

Tout comme la 5e Symphonie de Mahler, Ein Heldenleben est apprécié des chefs qui l’abordent comme une sorte de vitrine de leur travail avec leur orchestre. La partition est très spectaculaire, notamment la fameuse Bataille, mais elle est aussi d’une suave beauté dans la section des Œuvres de paix du héros, ce qui fait qu’au bout du compte on garde toujours les mêmes versions ou les mêmes orchestres (Dresde, Berlin, Amsterdam, Vienne, Bavière) à cause de la chaleur et du moelleux de la texture des cordes. Payare et l’OSM réussissent une nouvelle fois un enregistrement mordant et flamboyant, mais aussi superbement texturé, avec une équipe technique rodée : Martin Sauer et Carl Talbot associés à la direction artistique et Richard King et Stéphane Brochu à la prise de son. L’idée étrange d’impliquer la belcantiste Sonya Yoncheva dans des Lieder de Mahler diminue un peu l’impact du CD. Yoncheva chante très bien, mais le Lied allemand ne lui coule pas dans le sang.

Le disque n’en reste pas moins un must.

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La prise de son du mois

ANTONIO VIVALDI
Les Quatre saisons. Sovvente il sole.
La Follia.

Julien Chauvin (violon et direction),

Le Concert de la Loge,  avec Pierre-Antoine Bénos-Djian (contreténor).
Alpha, 1005.

Interprétation : 🟊🟊🟊🟊

Technique : 🟊🟊🟊🟊

Et si on se repenchait sur Les Quatre saisons ? Un bout de temps qu’il n’y avait pas eu une version vraiment intéressante à se mettre dans les oreilles ! Celle-ci l’est. Il s’agit d’une interprétation à effectif réduit (huit musiciens), un dispositif qui fonctionne très bien pour plusieurs raisons. Il faut rappeler que les salles de concert du temps de Vivaldi étaient les palais. Il n’y a donc pas lieu de jouer la surenchère orchestrale. Par ailleurs, dans l’équilibre des timbres, le fait d’avoir un violon solo, un quatuor, une contrebasse, un théorbe et un clavecin permet à ces deux derniers instruments de s’affirmer davantage et de colorer bien plus judicieusement, quand nécessaire, le discours musical.

Il en va ainsi, ici, du clavecin, absolument magique, dans le soutien de la lente plainte du mouvement lent de l’Automne. Tout aussi suave, l’effet gouttes de pluie sous le violon solo dans le 2e mouvement de l’Hiver. Interprétativement, Chauvin se distingue par une ornementation très raffinée. Comme si ses qualités naturelles ne suffisaient pas, il pense faire le malin en commençant le cycle par l’Automne plutôt que par le Printemps et intercale un air d’opéra au milieu. Mais on s’en accommode. Le petit miracle est capté avec une exquise finesse par les micros de Ken Yoshida.

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DISQUE CANADIENS

MARC-ANDRÉ HAMELIN
Variations sur un thème de Paganini et autres œuvres pour piano.

Hyperion, CDA 68308.

Interprétation : 🟊🟊🟊🟊

Technique : 🟊🟊🟊🟊🟊

Cela commence à se savoir : Marc-André Hamelin est non seulement un prestidigitateur du clavier, il est aussi un compositeur assidu qui instille dans ses compositions les pièges techniques qu’il aime dompter, ses goûts et sa culture musicale. Il a de la chance d’enregistrer pour Hyperion, étiquette très ouverte aux expérimentations de ses vedettes. Après les compositions de Stephen Hough, voici donc celles de Marc-André Hamelin et on s’amuse immédiatement à jauger la manière dont il va varier le 24e Caprice de Paganini. On l’y surprendra à glisser un hommage au plus glorieux de ses prédécesseurs, Rachmaninov. Ce n’est pas un hasard, car la culture du répertoire pianistique et musical en général nourrit grandement son esprit créatif (Variation diabellique sur un thème de Beethoven). On écoutera avec un plaisir immense la Suite à l’ancienne ou la Pavane variée. Mais les références du pianiste québécois sont vastes et la Meditation on Laura (le film d’Otto Preminger) ne manquera pas de toucher les cinéphiles dans ce disque plaisant et attachant.

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OLIVIER MESSIAEN
MARC-ANDRÉ HAMELIN (piano),
NATHALIE FORGET (ondes martenot),

TORONTO SYMPHONY ORCHESTRA,
GUSTAVO GIMENO.

Turangalîla-Symphonie.
Harmonia Mundi, HMM 905 336.

Interprétation :  🟊🟊🟊

Technique :  🟊🟊🟊🟊

Est-ce un hasard si, pour leur première parution chez Harmonia Mundi, Gustavo Gimeno et le Toronto Symphony ont choisi la Turangalîla-Symphonie de Messiaen qui avait propulsé le tandem Toronto-Seiji Ozawa vers la notoriété en 1967 ? La comparaison s’arrête-là. L’enregistrement Ozawa, dont on a grandement oublié de cultiver la mémoire et qui attend hors du Japon une réédition sérieuse, était acéré, cinglant, posé, déterminé, construit, étagé, patient. Celui-ci est bonne pâte, gentil, assez superficiel souvent un peu pressé, avec peu d’arêtes, manquant de cette solennité qui fait le style de Messiaen. Évidemment Marc-André Hamelin et l’ondiste Nathalie Forget sont d’excellents protagonistes et les musiciens sont sans reproches, mais il n’y a pas de parti pris, pas d’exaltation, pas de colonne vertébrale et, si l’on connaît les versions concurrentes d’Ozawa, Chailly ou Wit, on se sent assez loin de l’expérience musicale et sensorielle unique, promise par l’éditeur.

À suivre bientôt…