Chopin – Lefèvre
Un Chopin bien tempéré
L’allusion à l’œuvre de Jean-Sébastien Bach ne tient pas seulement au fait que Chopin se déliait les doigts avec les 48 Préludes et fugues du Clavier bien tempéré. Excusez du peu ! Mais elle souligne le caractère qu’a insufflé Alain Lefèvre à sa proposition des Préludes op. 28 de Chopin que lançait Analekta ce mois-ci. Clairement, Alain Lefèvre veut s’éloigner d’une vision trop réductrice que certains pianistes en font en accélérant indûment les tempos. Lui, les ralentit, presqu’à outrance parfois, laissant au final, un auditeur aguerri sur sa faim. Car les versions existantes, d’Alfred Cortot à Alexandre Tharaud sont légion, et plusieurs, pourtant devant le même texte, s’y démarquent avec personnalité, dans la verve et la subtilité. On retiendra donc, des multiples versions existantes, la personnalité de l’interprète au service de la musique. Ici, Alain Lefèvre parle plus que Chopin.
Alain Lefèvre n’a jamais caché son amour profond pour la musique de Chopin (il a joué les deux concertos pour piano ainsi que plusieurs des études et préludes en rappel lors de ses concerts), il faut voir son interprétation comme un certain statement, quoi qu’un enregistrement soit encore une photo bien figée dans un temps donné. Je lisais qu’Alain Lefèvre avouait ne jamais être content de ses interprétations. Humilité ? Perfectionnisme ? Ici, il nous propose un parcours marqué par une certaine lenteur (pas celle de Pogorelich tout de même !), une respiration, qui semble au final plus comme une retenue, ou faut-il y voir un plaidoyer contre la virtuosité ?
Pourtant… Je ne peux pas dire que cette version soit totalement satisfaisante. Les préludes introspectifs sont abordés avec sensibilité, même avec sensiblerie pour certains, tant le tempo traîne parfois, mais ils plairont au grand public, aux néophytes. Les préludes « tempêtes », jouées dans l’esprit, auraient pu être beaucoup plus impétueux. Mais on attend les surprises… on attend. Et on est parfois indisposé par l’excès de pédale qui brouille parfois les lignes. En fait, il faut se demander si l’amour que porte Alain Lefèvre pour la musique de Chopin ne l’empêche justement pas de s’y abandonner ?
Qu’on me comprenne bien, ce disque offre beaucoup de belles choses, et Alain Lefèvre n’a plus de preuves à faire. Mais à s’attaquer à ce répertoire, alors que d’autres avant lui se sont démarqués en traversant le temps, je ne suis pas certain que cette version trouvera auprès des spécialistes, matières à les mesurer aux plus grands. Ce n’était peut-être pas son but, mais le poids de l’histoire étant ce qu’il est… Et la Sonate no 24 de Soler, enregistrée en 2007, bien que jolie, n’ajoute rien en conclusion du corpus de Chopin. Décidément, la proposition de Lefèvre est certainement la première qui ne rencontre pas mon assentiment. Je retourne donc sans regrets à mes version phares : Arrau, Pollini, Sokolov et Pogorelich.