You are currently viewing Musique classique par Christophe Huss

LE DISQUE DU MOMENT

ARNOLD SCHOENBERG
Pelléas et Mélisande. La nuit transfigurée.
Orchestre symphonique de Montréal,
Rafael Payare.

Pentatone, PTC 5187 218
Interprétation : *****
Technique : ****
Ce disque est le troisième de l’OSM et de son nouveau chef Rafael Payare, après la 5e Symphonie de Mahler et Une vie de héros de Richard Strauss. Tous les trois sont des objets de fierté majeurs, comme on ne l’avait guère ressenti depuis le Daphnis et Chloé de Charles Dutoit, il y a près de 45 ans.
Le compositeur viennois Arnold Schoenberg n’a pas la cote auprès des mélomanes, car il a inventé le dodécaphonisme, une musique difficile d’accès. Mais avant cela, dans les premières années du XXe siècle, il a composé des œuvres très expressives, Pelléas et Mélisande. La nuit transfigurée et les Gurre-Lieder, prolongeant en quelque sorte les acquis musicaux de Wagner et la somptuosité orchestrale de Richard Strauss.
Rafael Payare a un instinct sûr pour la structure, les gradations, les couleurs évocatrices et la sensualité de cette musique. L’OSM joue magistralement et la captation de concert est admirable. Tout juste entend-on parfois le chef grogner en respirant.

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UNE EXCELLENTE PRISE DE SON


LUDWIG VAN BEETHOVEN
Symphonie no 3 « Héroïque ».
Ouverture Coriolan.

Orchestre du Festival de Budapest,
Ivan Fischer.

Channel, SACD, CCSSA 46524.
Interprétation : ****
Technique : *****
Il y a beaucoup de choses à dire sur ce disque. Tout d’abord qu’une discographie n’est jamais figée. Avec Osmo Vänskä, Manfred Honeck et, ici Ivan Fischer, la Symphonie héroïque a suscité pendant les quinze dernières années au moins trois versions qui se rangent aux côtés des plus grandes.
Ensuite, qu’il y a encore de la place pour les orchestres symphoniques. En effet, pour rendre les instruments à vent plus audibles dans la balance, certains chefs (cf. Yannick Nézet-Séguin) réduisent les effectifs. Or, ici, nous avons une Héroïque à la fois puissamment symphonique et lisible.
Vous avez donc compris que les aspects techniques et sonores, maîtrisés par Jared Sacks, fondateur de Channel Classics, servent parfaitement un projet précis. Pour cela, Sacks et Fischer n’ont pas enregistré cette Héroïque dans la fameuse salle de Budapest, modèle de la Maison symphonique, mais dans la magnifique synagogue Rumbach. Le lieu est idéalement maîtrisé et l’enregistrement, un bijou.

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LES COFFRETS DU MOMENT


ANTON BRUCKNER

Symphonies nos 1-9. Orchestre philharmonique de Vienne, chefs divers.

Deutsche Grammophon, 9 CD, 484 5606.
Interprétations : **** à *****
Technique : ****
En cette année de commémoration de Bruckner sont déjà parus plusieurs coffrets des Symphonies. Il existe aussi, depuis plusieurs années, des coffrets autour de divers orchestres : Philharmonique de Berlin, Orchestre de la Radio bavaroise et Concertgebouw d’Amsterdam ont publié des boîtes multi-chefs. Elles ne satisfont pas totalement, car il s’agit autant de séduire le mélomane que de faire plaisir aux chefs avec lesquels ces orchestres sont en relation.
Une intégrale BrucknerVienne, publiée par Eloquence en 2019, ne puisait que dans le catalogue Decca, alors que celle-ci, bien meilleure, pioche dans tout le catalogue Universal.
On trouve en commun la 4e de Böhm, la 5e de Maazel et la 6e de Horst Stein. Choix impeccable pour les trois premières : Abbado (son 2e enregistrement, DG), Muti (live à Salzbourg) et Haitink (Philips), alors que Karajan, Boulez et Giulini dirigent les nos 7, 8 et 9. Pour la 9e, on imagine le crève-cœur entre Giulini et Bernstein.
Pour la 5e, Abbado aurait été meilleur que Maazel, mais on perçoit la volonté de ne pas mettre deux fois le même chef, et Abbado était incontournable pour la Première. Finalement, seules les intégrales Wand et Jochum devancent celle-ci.

 

CHRISTOPH VON DOHNANYI
Dohnanyi-Cleveland,
The Complete Decca Recordings.

Decca, 40 CD, 485 4683.
Interprétations : **** à *****
Technique : **** à *****
La grande astuce des éditeurs est de créer, en parallèle d’une discographie basée sur une logique compositeur-œuvre-interprète, de nouvelles logiques en publiant des coffrets consacrés à des chefs, solistes ou orchestres. Certains sont fort intéressants quand les enregistrements, comme ici, sont indisponibles depuis longtemps.
Alors, si vous parvenez à trouver cette boîte à un prix qui vous convient (il est, pour l’heure, élevé pour un coffret de 40 CD, car jadis on payait de 3 à 4 $ le CD dans ce genre de réédition), n’hésitez pas à glaner ces disques parus entre 1986 et 1999, et surtout au milieu des années 1990. Le début du déclin du CD, en 1994, fit que la majorité de ces disques ont figuré assez brièvement au catalogue.
Or Dohnanyi, chef cérébral, mais lapidaire et très efficace, dirigeait l’un des plus grands orchestres du monde. C’est donc un grand bonheur de retrouver ces Mozart, Schumann, Bartók, Dvořák, Janáček, ce Rheingold et cette Walkyrie. Les Bruckner et Mahler sont moins indispensables, mais le plaisir orchestral est réel.

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DES DÉCOUVERTES PLUTÔT RÉCENTES

JACQUES HÉTU
Symphonie no 5.

Toronto Mendelssohn Choir, Orchestre du Centre National des Arts, Orchestre symphonique de Québec, Alexander Shelley.
Analekta, AN2 8890.
Interprétation : *****
Technique : ****
Le vrai grand patriarche de la musique québécoise, celui qui a la stature musicale d’un Sibelius en Finlande ou d’un Nielsen au Danemark, se nomme Jacques Hétu (1938-2010). De son vivant, il était snobé par beaucoup, car, pas assez moderne, il composait de la musique qui cherchait à parler aux auditeurs, un peu comme Chostakovitch.
Hétu a composé des concertos (dont un splendide Concerto pour orgue) et des œuvres orchestrales (Sur les rives du Saint-Maurice illustre bien sa philosophie musicale) très abordables.
À la fin de sa vie est survenu un miracle : la commande par l’Orchestre symphonique de Toronto non pas d’une petite création contemporaine, mais d’une vraie symphonie. Jacques Hétu a alors composé sa 9e de Beethoven : quatre mouvements, 45 min, avec un Finale choral sur le poème Liberté d’Éluard racontant Paris avant la guerre, pendant l’Occupation et à la Libération.
Les deux idoles d’Hétu, Chostakovitch (2e mouvement) et Mahler (3e mouvement) apparaissent dans la composition. En février 2024, l’OSQ, le CNA et un chœur de Toronto se sont unis pour célébrer ce chef-d’œuvre. Le CD a été réalisé après une tournée. Il acquiert le statut de référence.

 

FREDERICK BLOCK
Trio avec piano no 2. Quatuor à cordes op. 23. Suite op. 73. Quintette op. 19.
ARC Ensemble.
Chandos, CHAN, 20358.
Interprétation :****
Technique : ****
L’ARC Ensemble, du Conservatoire de Toronto, a entamé une collection Musique en exil chez Chandos. Le volume le plus enthousiasmant est celui dédié à Walter Kaufmann, Juif tchèque qui s’exila à Bombay avant de se retrouver, après la guerre, premier chef de l’Orchestre de Winnipeg. L’originalité de Kaufmann était d’instiller des idiomes indiens dans sa musique.
L’ARC Ensemble ressuscite ici, en première mondiale, la musique de Frederick Block, ou Friedrich Bloch (1899-1945), un Viennois élève du tchèque Foerster et de Hans Gál. C’est un traditionaliste – qui compose donc plutôt dans la veine de Korngold et rejette totalement le dodécaphonisme de Schoenberg – représenté ici par des œuvres de 1928-1930 et par une suite pour clarinette et piano de 1944, composée à New York où Bloch avait fui. Ce volume est l’un des plus intéressants de la série Musique en exil, car le Trio et le Quatuor, notamment, sont de premier ordre dans la veine KorngoldZemlinskyWeigl qui symbolise l’autre Vienne des années 1920.

d’autres critiques suivront sous peu…