Cet automne, non content d’avoir lancé sur les plateformes numériques l’intégrale de ses musiques pour la télésérie culte Omertà, le guitariste virtuose et compositeur Michel Cusson faisait paraître un nouvel album intitulé Momentum, qui réunit des morceaux choisis tirés de ses prestations vidéo en direct qu’il diffuse depuis plusieurs mois en direct de son vaisseau spatial.
Le 16 septembre dernier, à l’occasion du Festival international de jazz de Montréal, pour le plus grand plaisir du public assemblé sur le Parterre symphonique du Quartier des spectacles, Michel Cusson revisitait les thèmes d’Omertà, un quart de siècle après que cette bande-son ait fait sa renommée comme compositeur de musique pour le grand et le petit écrans. C’était un moment extraordinaire ! de s’exclamer le guitariste. C’est pas un cliché, je le pense comme je le dis : c’est la raison d’être de la musique que d’être jouée devant quelqu’un. Alors jouer devant des gens ça ground, comme on dit en québécois. Ça me ramène à mon premier amour. Le fait de jouer en direct a gardé cet esprit vivant pour moi : c’est important de toujours garder la musique en vie.
Garder la musique en vie, voilà un principe fondamental pour Cusson… et à plus forte raison dans le cas de celle d’Omertà, que le fondateur du supergroupe UZEB n’avait pas interprétée depuis belle lurette. Je n’y avais pas touché depuis presque trente ans, mais je pense qu’elle a bien vieilli. Évidemment, il y a dix-neuf heures de musique dans la série, alors il a fallu que je choisisse certains extraits sur lesquels on s’est amusés, mes musiciens et moi. Comme je viens du rock et du jazz, j’aime prendre la matière brute et la faire vivre plutôt que de me contenter d’une relecture intégrale.
Dans son vaisseau spatial
Il y a cinquante ans, Steve Fiset invitait l’être cher à partir à l’aventure dans sa Camaro. Depuis un an, Michel Cusson convie plutôt les internautes à le rejoindre en direct dans son vaisseau spatial (c’est ainsi qu’il appelle affectueusement son studio personnel) pour des prestations inédites webdiffusées sur sa chaîne Youtube. De ces séances en direct sont issues les musiques réunies sur son tout récent album, Momentum. J’ai eu cette idée en octobre l’an dernier. Mes collègues me disaient : tu devrais faire des clips pour le web. Mais je ne savais pas trop, j’étais un peu réticent. À un moment donné, je me suis dit que tant qu’à le faire, j’allais le faire en direct, comme ça se passerait pendant un vrai de vrai concert. Et là, j’ai trouvé la formule qui me sied bien : je change de façon de faire toutes les semaines. Du coup, ç’a apporté de l’eau au moulin et plein d’idées. Humainement, c’est vraiment le fun, parce que j’ai des retours, un peu comme toi à la radio. Les gens écoutent, nous voient. C’est pour moi un nouveau médium et je trouve ça fantastique.
Pour les besoins de ces séances, Michel Cusson a fait installer dans son studio un système de huit caméras fixes, aiguillées à distance par un collègue qui grâce aux miracles de la technologie n’a même pas besoin d’être sur place. Les musiciens et moi, on oublie qu’on joue. On se retrouve ici, comme sur une autre planète, dans un autre univers, et on passe toute la journée à jouer sous le signe de la spontanéité pure. En jazz, c’est un élément primordial de pouvoir capter le moment. Sur Momentum, j’ai justement capté plusieurs moments. Ce disque est le premier d’une collection que je veux publier éventuellement.
Candide, Cusson affirme qu’il n’avait pas prémédité de figer sur disques ces moments spéciaux destinés à la consommation en direct. Mais il ne rougit pas des performances de ses invités et lui. En fait, 90 % de tout ce qu’on enregistre en studio me semble publiable. De temps en temps, en regardant les vidéos, il s’est permis un peu de montage, mais avec la volonté de rester le plus fidèle à la prestation initiale. Les gens peuvent aller vérifier d’ailleurs, tout est encore en ligne ; il y a un peu plus de vingt-cinq séances à ce jour. Il y en a pour plus de trente heures.
L’enthousiasme ne manque pas quand il évoque le talent des confrères sollicités depuis le début de l’aventure, au nombre desquels on compte les bassistes/contrebassistes Olivier Babaz et Rémi-Jean Cormier, les batteurs Anthony Pageau et Kevin Warren, et tellement d’autres étoiles de la scène jazz montréalaise, toutes générations confondues. La plupart du temps, j’écris des thèmes spécifiques. Et mes comparses [le batteur] Paul Brochu, [le bassiste] Jean-Bertrand Carbou et, en fait, tous les musiciens qui sont venus ici se sont laissé aller sur des trucs inédits. Il y a quelques semaines, on a reçu le claviériste Anomalie [de son vrai nom, Nicolas Dupuis, une étoile montante du funk et des musiques improvisées au Québec]. Le week-end d’avant, j’ai composé cinq morceaux. Éventuellement, tout ça sera remixé et publié.
Au-delà du blues et de la nostalgie
Quand je lui fais remarquer que, selon l’intonation que l’on prend pour le prononcer, le titre de son morceau Not Another Blues pourrait passer pour l’expression d’une certaine lassitude à l’égard de cette forme immémoriale de la tradition afro-américaine, Cusson me rassure tout de suite sur la signification dudit titre. Le blues est pour moi omniprésent. Je ne prétends pas être bluesman et j’évite aux gens le déplaisir de m’entendre chanter. Mais j’ai toujours aimé le blues, c’est la base de tout ce que je fais. Et j’y reviens tout le temps, sous toutes sortes de formes. Cela dit, Not Another Blues est dérivé de Some Other Blues de John Coltrane ; il suit la même progression d’accords, d’où le clin-d’œil. Et on en fait une variation différente chaque semaine. C’est devenu un peu notre pierre d’assise. Rompu aux multiples langages des musiques improvisés, Michel Cusson se considère comme une sorte de polyglotte. Je n’ai pas peur d’aller ailleurs, mais j’aime avoir des bases solides. Surtout sur le plan de l’émotion. Le blues est la racine du jazz et c’est bon d’y revenir de temps à autre.
Coltrane n’est cependant pas le seul grand maître auquel Michel Cusson lève son chapeau. Comme l’indique le titre Hey Jimi, l’ombre de Jimi Hendrix plane sur la musique du Québécois qui ne cache pas son admiration pour le flamboyant guitar hero qui a marqué les années 1960. Je ne l’écoute pas si souvent mais quand, par hasard, je mets un de ses disques, je me rends compte que j’ai encore parfois des phrasés qui me viennent de lui. Hendrix, pour moi, a réinventé la guitare. Il a donné une nouvelle voix à la guitare, l’a fait chanter avec des notes longues, des notes plus délirantes, on va dire. Il y a une furie là-dedans, une soif de vivre effrayante. Cusson reconnaît volontiers sa dette à l’égard de Hendrix, d’autant plus qu’il prétend avoir débuté dans son sillage. À l’époque, je ne comprenais pas l’anglais alors c’est vraiment le côté instrumental de la musique qui est venu me chercher.
Ce qui semble paradoxal quand on l’observe au milieu de son décor digne d’un film de science-fiction, c’est qu’il ait choisi d’affubler l’une de ses nouvelles compositions du titre 33 rpm (la vitesse de rotation d’un disque vinyle). Cusson aurait-il cédé à la nostalgie d’une technologie du passé, à des années-lumières de tout l’appareillage audionumérique de fine pointe dont il fait un usage quotidien ? Ma question fait rigoler doucement le principal intéressé. “En fait, dans mes séances en direct, il m’arrive de composer et d’improviser à partir de photos que m’envoient les gens. Alors Yves Royer de France, un internaute que je ne connais pas sinon par les réseaux sociaux, m’a envoyé une magnifique photo d’un tourne-disque. Et j’ai spontanément dit à Paul et à Jean-Bertrand, voici les accords, il y a seize mesures, et le thème va comme suit. Et j’ai enregistré comme ça, en direct, spontanément.
Quand on s’appelle Michel Cusson, qu’on a tourné à travers le monde au sein d’un groupe mythique comme UZEB, qu’on a signé des bandes son pour plus de films, de série télé, de pièces de théâtre, de présentations multimédias qu’on pourrait nommer, qu’est-ce qui peut représenter encore un défi musical ? Sincèrement, j’apprends tous les jours. Juste dans le jazz, je pourrais passer ma vie à répéter des standards, j’adore les standards d’ailleurs. Mais l’exploration musicale, pour moi, est une démarche sans fin. C’est la raison pour laquelle j’alterne entre l’écriture de musique de films (je suis en train d’en terminer une) et pratiquer avec ma guitare, développer ma voix et jouer. Le fait de jouer avec des collègues, c’est ça la vraie beauté de ce que je fais. On dit qu’écouter de la musique peut être thérapeutique ; mais quand on la joue avec d’autres musiciens, c’est vraiment fantastique !
Momentum, Michel Cusson, Disques Melodika.
https://www.michelcusson.com/francais