La musique pour soigner

Comment la musicothérapie agit-elle sur la maladie d’Alzheimer ?
La maladie d’Alzheimer est une démence incurable, progressive et irréversible. Elle a été décrite par le médecin allemand Alois Alzheimer en 1906. On sait aujourd’hui qu’elle est provoquée par des lésions au cerveau, des plaques séniles formées d’une protéine, l’amyloïde, mais aussi par des déformations dans les structures internes des cellules du cerveau, que l’on nomme la dégénérescence neurofibrillaire.

Lorsque les premières plaques séniles se forment, la personne affectée manifeste d’abord de légères pertes de mémoire, des amnésies qui se conjuguent avec des distractions mineures, des problèmes de coordination pour effectuer des tâches simples. Toutefois, ses souvenirs lointains restent intacts.

À la longue, ces plaques se propagent dans les cortex frontaux, temporo-pariétaux, des régions liées aux fonctions exécutives permettant la prise de décision et le langage. Cette évolution de la maladie se traduit par des problèmes plus sévères de confusion, d’irritabilité, d’agressivité. Puis, les structures plus profondes du cerveau sont atteintes, dont les sièges de la mémoire à long terme, tels que l’hippocampe. Lorsque les fonctions autonomes sont attaquées, le sort en est jeté et la personne décède.

Cependant, l’écoute musicale et son effet dans de nombreuses régions de cerveau laissent leur empreinte un long moment avant de s’effacer. Le regretté neurologue, chercheur et vulgarisateur new-yorkais Oliver Sacks y a vu, comme plusieurs médecins, un atout pour développer une thérapie efficace afin de traiter l’Alzheimer. Il en a fait l’objet d’un de ses livres, Musicophilia, devenu un best-seller et dont l’adaptation dans un documentaire a fait le tour du monde.

À l’instar de plusieurs autres chercheurs, il constate que jouer activement d’un instrument implique plusieurs régions du cerveau. Les cliniciens obtiennent de meilleurs résultats lorsqu’ils diffusent les pièces que les patients ont préférées durant leur jeunesse, ce qui s’explique parce que cette musique active l’hippocampe et les autres régions de la mémoire, qui, à leur tour, font rejaillir la parole et les souvenirs.

L’Alzheimer, toujours incurable
En 2014, j’ai eu le privilège d’être le modérateur du Sommet sur les démences du G7 qui se tenait à Ottawa, au Canada. Cette rencontre était voulue par le premier ministre britannique, David Cameron, qui souhaitait conclure un plan d’action international pour lutter contre cette maladie prenant des proportions inquiétantes.

En effet, si on compare les coûts de gestion de la maladie d’Alzheimer au budget d’un pays, elle arrive au 18e rang mondial avec un fardeau financier de 1 000 milliards de dollars annuellement. Ce montant astronomique inclut les frais directs et indirects nécessaires pour gérer cette maladie. Mais il n’inclut pas l’important impact social et le lourd fardeau qui entoure la prise en charge des personnes atteintes par les familles et les proches.

Pendant les deux jours qu’a duré ce sommet, j’ai entendu des centaines de chercheurs, de gestionnaires et des grands patrons de l’industrie pharmaceutique relever le manque de cibles thérapeutiques pour tester de nouveaux médicaments. En effet, aujourd’hui, aucun médicament ne semble vraiment s’attaquer aux causes de cette démence. La maladie suit inévitablement son lent chemin vers la longue amnésie qui précède la mort. Lorsque j’ai animé ce sommet, l’année 2020 a été fixée comme l’échéance ultime pour obtenir des traitements efficaces contre cette maladie. Force est de constater que nous avons dépassé cette date butoir sans avoir obtenu le succès thérapeutique nécessaire. Il reste la musique.

La musicothérapie contre la maladie de Parkinson
Comme je l’ai déjà expliqué, la musique est fondamentalement liée au corps. Parce que la maladie de Parkinson, atroce maladie neurodégénérative, attaque justement la motricité, plusieurs chercheurs, dont Jessica Grahn, du Brain and Mind Institute de l’Université Western, en Ontario, explorent l’idée d’utiliser la musique comme thérapie afin de maintenir et d’entretenir le plus longtemps possible la motricité des personnes qui en sont atteintes.

Jessica Grahn a d’ailleurs découvert que les patients atteints de la maladie de Parkinson ont des problèmes de perception du rythme. De fait, la musique agit sur les ganglions de la base, des noyaux au centre du cerveau, qui assurent, entre autres, la fluidité des mouvements volontaires. Ces régions sont aussi associées au syndrome de Gilles de la Tourette et à la maladie de Huntington.

La pratique de la musicothérapie
Pour être efficace, la musicothérapie doit être encadrée par un professionnel. Pas question ici de s’improviser thérapeute pour améliorer la santé d’un ami ou d’un membre de la famille. Avec une formation universitaire, comme celle offerte à l’Université Concordia à Montréal, le ou la musicothérapeute dispose de techniques qui peuvent améliorer les fonctions cognitives, les habiletés motrices, sociales, la qualité de vie ou l’équilibre émotionnel du patient.

De façon générale, une musicothérapie est soit passive, par l’écoute de musiques spécifiquement choisies pour avoir un effet, ou active, par le biais de sessions avec le thérapeute, en jouant d’un instrument seul ou en groupe, en dansant, en écoutant de la musique pour ensuite en discuter. Il existe déjà plusieurs approches issues de méthodes musicales qui répondent à ce besoin thérapeutique et qui ont été définies au siècle dernier par des musiciens et des compositeurs connus.

Les bienfaits de la musicothérapie, des prématurés aux adolescents
La musicothérapie est actuellement utilisée pour tous les groupes d’âge, un peu partout dans le monde. Il existe même des programmes destinés aux bébés prématurés, donnés par des musicothérapeutes directement dans les lieux de soins intensifs néonataux, qui agissent sur plusieurs modalités pour stimuler les mécanismes d’allaitement, de respiration et de déglutition, tout en offrant un environnement calme et relaxant à l’enfant.

Pour les enfants, la musicothérapie se rencontre surtout dans des contextes de réadaptation sensorimotrice, cognitive ou de communication. Encore une fois, le rythme musical peut agir pour améliorer la réadaptation après un accident cérébral. De son côté, le chant peut avoir un effet positif sur plusieurs pathologies qui causent des problèmes de respiration ou d’élocution, comme l’aphasie par exemple, une difficulté d’élocution et de compréhension du langage.

La musicothérapie est également utilisée pour les adolescents qui souffrent de désordres émotionnels. Une méta-analyse conduite par Christian Gold, de l’Académie Grieg (en l’honneur du célèbre compositeur Edvard Grieg), de l’Université de Bergen en Norvège, a fait ressortir l’effet mesurable de la musicothérapie, à la fois pour les enfants et pour les adolescents souffrant de désordres liés au développement du comportement et des émotions. Les résultats démontrent une amélioration des symptômes, en fonction du nombre de sessions auxquelles ils ont participé.

On observe également un engouement de la musicothérapie pour les enfants atteints d’autisme. Ici, il ne faut pas voir la musicothérapie comme un médicament, mais plutôt comme un outil qui améliore la communication et la qualité de vie de l’enfant. Peut-elle être plus que cela ? En 2017, Christian Gold publie une étude destinée à mesurer les bienfaits de la musicothérapie pour 364 enfants atteints d’autisme, âgés entre quatre et six ans et recrutés dans neuf pays, ce qui représente une cohorte assez impressionnante dans le monde de la recherche en musicothérapie. Il divise les enfants participants en deux groupes, un premier groupe bénéficiant de musicothérapie et l’autre non. Il faut spécifier qu’il s’agit d’une thérapie enrichie, donnée par des musicothérapeutes ayant pratiqué l’improvisation interactive avec des instruments de musique pendant une période de cinq mois.

Gold ne constate pas d’amélioration significative des symptômes de la maladie durant cette période, tant dans le premier que dans le deuxième groupe. Comme il l’affirme lui-même, cela ne signifie pas que la musicothérapie n’a pas sa place. D’autres recherches sont encore nécessaires, pendant des périodes plus longues et avec de plus larges cohortes pour en arriver à fournir une conclusion définitive au sujet des bienfaits de la musicothérapie pour les enfants autistes. On comprend que, selon l’analyse de Gold, la musique doit être proposée aux enfants qui portent un intérêt à la musique ou dont les capacités verbales sont limitées. Si la musique peut améliorer leur qualité de vie, c’est déjà un grand pas.