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Une longue croisade pour le Blues

 90 ans de vie, une soixantaine d’années de carrière, 35 albums studio, 34 albums live, sans compter les compilations et les multiples autres productions, John Mayall, ce passionné collectionneur-propagateur du blues et routier inlassablement en croisade dans cette mouvance, n’aura pas chômé. Il a porté le flambeau bien haut dans sa mission d’éduquer, d’inspirer et de divertir ses semblables dans les joies, les profondeurs et les aléas du Blues & « Beats from the Heart » !

John Mayall, né le 29 novembre 1933 à Macclesfield en Angleterre est généralement reconnu comme le Godfather of British Blues. Son exposition précoce aux disques de jazz et de blues de son père aura contribué à semer en lui les bases d’un amour inconditionnel et profond pour le blues. Gérard Herzhaft, ce sympathique romancier et musicologue érudit, mentionne dans sa Grande Encyclopédie du Blues : le guitariste Alexis Korner et l’harmoniciste Cyril Davies sont les véritables précurseurs du blues britannique. C’est sur leur modèle que John Mayall fonde ses Bluesbreakers

M’en voudriez-vous, cependant, si j’avançais que tout comme B.B. King est le personnage central du blues américain et mondial, que John Mayall est fort probablement la personnalité centrale du blues britannique ? Dans mon livre (non écrit), il n’est rien de moins !

Tout récemment, peu après le décès de son précieux ami John, Eric Clapton, dans une vidéo touchante, a rendu un sincère et vibrant témoignage à celui qu’il décrit comme son mentor et son parrain. Certains diront qu’il était une father figure. Celui que l’on surnomme slowhand était visiblement étreint par l’émotion et débordant de reconnaissance envers celui qui l’a soutenu et qui a contribué à sa formation dans les débuts de sa carrière !

Le premier album de Mayall, ce multi-instrumentiste reconnu entre autres pour son jeu dynamique et expressif à l’harmonica, c’était l’iconique Blues Breakers, John Mayall with Eric Clapton, paru en 1966. Ce vinyle fabuleux a fait histoire dans le monde de la musique et du blues et il demeure, à ce jour, un marqueur gravé profond, un identifiant fort dans l’histoire du blues britannique. Combien de guitaristes dont la carrière a été inspirée par Clapton, combien d’harmonicistes ont été entraînés par les prestations enlevantes de Mayall ? Combien de passionnés de la musique de la blue note expressive ont approfondi et payé leurs dues to the blues avec ce crusader infatigable à l’esprit réflexif, libre et innovateur ? John Mayall, dès le départ, je l’ai toujours identifié, à tort ou à raison, comme un philosophe du blues, un chroniqueur investi et engagé dans la transmission de ce que Willie Dixon appelle les Facts of Life.

De son aussi long parcours de battant, j’ai glané, ici et là quelques souvenirs et expériences qui sont remontés naturellement à la surface : tout d’abord, le premier album surnommé Beano, en compagnie de Clapton, du bassiste John McVie et du batteur Hughie Flint, les disques Hard Road avec le guitariste Peter Green, puis, Crusade avec Mick Taylor. Par la suite, Turning Point (1970), cet album original sans batterie et avec flûte qu’on a écouté beaucoup, entre amis, à l’époque, devant la platine vinyle ! Il est intéressant de souligner, ici, que Mayall a été l’audacieux, le premier à introduire l’orgue dans un enregistrement de blues, instrument qui était préalablement l’apanage du gospel. Jazz Blues Fusion (1972) est un autre disque distinctif, et, comme son nom l’indique, il s’agit d’une réunion à haute température de musiciens de blues et de jazz, une autre innovation du visionnaire ancré dans la tradition et qui en étend les limites. Cet individu original, assuré et créatif, tel un aimant ou un lampadaire pour les papillons, attirait par sa personnalité et son talent les meilleurs guitaristes et musiciens, dans ses chevauchées épiques et ses croisades incessantes.

J’ai aussi beaucoup écouté, aimé et médité autour du magnifique double album Back To The Roots où il nous instruit, notamment, sur sa vision personnelle à propos de la mort de son ami Jimi Hendrix qu’il décrit comme un Accidental Suicide, le titre de la chanson. Sa réflexion profonde, informée et critique, je crois que c’est cela qui m’a conduit à le qualifier, tout spécialement de Philosophe du Blues.

Et, en terminant, je dirais quelques mots sur ma rencontre et ma courte entrevue avec cette légende au Festival International de Blues de Tremblant, le 2 août 1997. J’avais attendu un bon moment pour le rencontrer et j’ai été ravi par le savoir-être de ce gentleman dans toute la force du mot, par sa simplicité, son écoute attentionnée et sa disponibilité généreuse à me renseigner sur ses blues, moi, un quasi-journaliste du Blues.

Pour moi, ce n’est pas la durée de la rencontre qui compte, c’est l’échange d’énergie ! Une poignée de main et quelques mots avec Stevie Ray Vaughan, dix minutes avant le show avec Buddy Guy, un John Mayall, cool, calm and collected qui m’a communiqué ses commentaires sur son disque d’alors, Blues For The Lost Days (1997). En rétrospective, je crois que cet album, on peut le voir comme une synthèse de ses thèmes de prédilection. Il y traite de sujets sérieux et toujours d’actualité : de sa mère (One in A Million), la violence des grandes villes (Dead City), l’injustice et la misère (Stone Cold Deal), ses héros et amis du blues (All Those Heroes et Blues For The Lost Days), la guerre 1914-1918 (Trenches), sans oublier des reprises inspirantes dont le très beau et réflexif How Can You Live Like That, d’Eddie Harris. De plus, sur cet opus, à la suite des prestations remarquées de Clapton, Green et Mick Taylor, dans des reprises d’instrumentaux de Freddie King, il ravive la tradition avec un quatrième instrumental du bluesman texan, soit, Sen-Say-Shun par son guitariste préféré d’alors, membre de son groupe, Buddy Whittington ! La pièce finale, You Are For Real, il l’avait réservée pour son épouse Maggie Mayall. Il lui chantait : You are the Key to everything I’ll Ever Need Baby, You are for Real!

Dans la plus pure tradition des résilients et irréductibles bluesmen, le bluesbreaker en chef avéré a donné son dernier show au Sheperd’s Bush Empire de Londres, à l’âge de 90 ans, le 16 juillet 2024, soit moins d’une semaine avant son décès. Le spectacle affichait complet. Fans et amis musiciens étaient venus pour le saluer et lui rendre un hommage senti à titre de Living Legend !

En 1997, lors de notre rencontre, ce jour-là, John Mayall m’avait dit cette phrase, si simple et si vraie, mise en exergue dans la revue Les Amis du Blues :
Les meilleurs blues sont toujours les blues qui viennent du cœur, d’une expérience personnelle.

Merci pour tout, John Mayall ! R.I.P.