Les tout débuts

         « Mary had a littlle lamb… », cette petite ronde enfantine connue de tous servit pour le premier enregistrement sonore à avoir été effectué et reproduit. Il s’en est écoulé du temps et des bonds technologiques depuis que la voix de Marion Edison fut enregistrée par son père Thomas en 1877. De cet appareil rudimentaire et purement mécanique aux très complexes circuits numériques modernes, de nombreuses étapes ont marqué ce qu’on allait un jour nommer la Haute-Fidélité. Cette rubrique historique tentera de retracer le chemin parcouru pour nous aider à mieux comprendre la reproduction sonore.

Thomas Edison assis devant son invention. (cliquez sur les photos pour les agrandir)

Avant d’aller plus loin, les règles de la courtoisie imposent une présentation. Ma passion pour l’enregistrement et la reproduction sonore a pris forme au début des années ’60. Mon cousin, Pierre Charest de la réputée boutique Charest Audio de Trois-Rivières (plus tard Centre Audio Charest, loi 101 oblige…), était de 12 ans mon aîné et un inconditionnel passionné de l’audio. Je me souviens comme si c’était hier de ma première session d’écoute dans le sous-sol de la maison de ses parents. Enceintes Electro-Voice Patrician, amplificateur McIntosh MC 240, préamplificateur McIntosh C 20 et platine Empire dont j’oublie le modèle, de quoi impressionner le jeune adolescent que j’étais. D’enregistrements d’oeuvres symphoniques à des Big Bands en passant par des chorales, j’ai immédiatement eu la piqure et la guérison se fait toujours attendre. J’ai par la suite fait une formation en électrotechnique qui m’a mené à la vente, le service, la conception et fabrication, la prise de son et l’enregistrement, pour finalement passer 25 ans au Conservatoire de Musique de Montréal comme responsable de l’audiovisuel et des enregistrements. Je suis maintenant retraité, mais toujours actif au audio.

Revenons en donc au mouton de Marion… Ce premier appareil eut beau faire sensation à l’époque, il serait difficile de qualifier sa performance de Haute-Fidélité. De plus son support cylindrique était peu pratique et fragile, car la gravure y était effectuée sur un film métallique très mince ou encore une surface de cire. Il ne permettait donc pas une production en série d’un enregistrement à des coûts raisonnables, le potentiel commercial était par le fait même très limité.

Comme c’est toujours le cas avec la technologie, aussitôt le concept de base établi les développements et améliorations ne tardèrent pas à venir afin de rendre cette nouvelle invention disponible à coût raisonnable et attrayante pour les consommateurs. L’étape suivante fut importante, d’autant plus qu’elle a une filiation québécoise. Émile Berliner, s’inspirant des travaux du français Charles Cros, mit au point une façon beaucoup plus efficace de fabrication et de manipulation du support enregistré, le disque,. S’en suivit une machine permettant de le lire, le Gramophone. Un enregistrement original pouvait alors être utilisé pour graver une matrice. Cette dernière servait par la suite à reproduire beaucoup plus facilement de nombreuses copies relativement robustes par divers procédés comme la galvanotypie, le moulage et le pressage. Le disque ainsi produit pouvait être lu par une aiguille rattachée à un diaphragme qui était monté à l’entrée d’un cornet, essentiellement le système de Edison, mais à plus grosse échelle. Il développa également un système d’entrainement pas ressort avec un mécanisme de régulation de vitesse, indispensable si on voulait que la hauteur des sons reproduits soit respectée. De ces diverses évolutions naquit le Gramophone qui se démarquait de ses prédécesseurs par une performance de reproduction supérieure et un niveau sonore plus élevé grâce à un système d’amplification acoustique plus évolué, que ce soit via un cornet attaché directement au bras de lecture, ou encore intégré dans la construction d’un cabinet.

Mais qu’en est-il de cette filiation québécoise? Berliner, qui était d’origine allemande et co-fonda plus tard avec son frère Joseph la légendaire Deutsche Grammophon, avait conçu et fait fabriquer sous licence ses Gramophones et disques sous le nom de The Berliner Gramophone Company à Camden au New Jersey, Malheureusement il fut floué par son associé et perdit tous ses droits pour les USA. Ainsi naquit la Victor Talking Machine Company qui devint plus tard la RCA Victor. Il quitta donc son pays d’adoption pour le Canada, et mit sur pied The Berliner Gramophone Company of Canada sur la rue Lenoir dans le quartier St-Henri de Montréal. L’édifice existe toujours et abrite le Musée des Ondes Émile Berliner qui mérite une visite (https://moeb.ca/).

Malgré le succès incontesté de l’invention de Berliner, à preuve le nombre impressionnant de Gramophones qu’on trouve encore de nos jours, on ne peut définitivement pas affirmer que le résultat était un facsimilé du son original. Qui plus est, la force d’appui importante permettant à l’aiguille de lecture de bien suivre le sillon et de transmettre ses ondes au diaphragme usait inévitablement le disque assez rapidement. Tant qu’on demeurait dans le domaine purement mécanique il était difficile d’espérer mieux. Deux inventions seraient nécessaires avant de passer à l’étape suivante : le tube à vide thermoionique, et plus spécifiquement la triode qui permettait l’amplification d’un signal électrique, et le haut-parleur électromagnétique (ou électrodynamique).

Dans sa forme la plus simple, le tube à vide thermoionique comporte deux éléments ou électrodes, soit une cathode chauffée (d’où le préfixe « thermo ») et une anode. Il s’agit dans ce cas d’une diode, une composante qui permet au courant de circuler dans un sens seulement, des électrons étant émis par la cathode et captés par l’anode. Afin de contrôler la quantité de courant circulant dans le tube, Lee De Forest eut l’idée en 1906 d’ajouter une troisième électrode appelée grille de contrôle. Il devint alors possible d’appliquer un faible signal à la grille et d’en obtenir une copie amplifiée à l’anode, ouvrant la voie à d’innombrables inventions dont les circuits d’amplification audio qui sont encore en usage de nos jours. Fait cocasse, De Forest nomma sa création le Audion. Subséquemment d’autres électrodes furent ajoutées formant des tétrodes et pentodes, des composantes qui offraient des avantages par rapport à la triode.

Triode originale de De Forest.

Mais il y avait encore loin de la coupe aux lèvres. Encore fallait-il qu’une composante quelconque puisse transformer le signal amplifié par un circuit électronique en onde acoustique. En 1925 Edward Kellogg et Chester Rice (Kellogg et Rice, non ce n’est pas une blague…) mirent au point le haut-parleur électrodynamique. Le principe de la bobine de fil rattachée à un diaphragme et immergée dans un champ magnétique fixe qu’ils ont développé est encore la forme de transducteur le plus répandue de nos jours. Le signal audio issu du circuit d’amplification pouvait alors être envoyé vers la bobine, et les variations de courant ainsi produites généraient un champ magnétique variable qui agissait en attraction ou en opposition avec le champ fixe, créant un débattement du diaphragme qui est une reproduction intégrale des fluctuations électriques. Bien qu’en principe le système fonctionnait, la seule façon de créer le champ magnétique fixe à cette époque était à l’aide d’électro-aimants alimentés par le secteur, les aimants permanents étant trop peu puissants et trop dispendieux. La conséquence inévitable de cette pratique était que le 60Hz (ou 50Hz selon le pays) se retrouvait inévitablement mélangé à l’audio dans une proportion suffisante pour être inacceptable pour la reproduction musicale, bien que ce système ait été utilisé dans les appareils radio. Il fallut donc attendre le début des années ’30 pour voir apparaître les premières réalisations commerciales, presque essentiellement dans le milieu du cinéma. Ce n’est finalement qu’après la seconde guerre mondiale qu’apparurent les premiers haut-parleurs à aimants permanents destinés aux consommateurs.

Avec ces deux inventions, la voie était désormais tracée vers la Haute-Fidélité. Le disque de type Berliner pouvait maintenant être lu par un ensemble de bras et cellule de lecture légers, et le signal électrique généré par le mouvement de l’aiguille transmis à un minuscule aimant placé tout près d’une petite bobine pouvait être amplifié par étapes pour finalement atteindre le haut-parleur. L’avenir était prometteur…

À suivre…