Harmonie, harmonica…



Photos: Éric Seynave

Ce ne sont pas les 36 métiers qu’il a pratiqués dans sa vie, qu’on peut retenir du parcours de Christian Vézina; il vous dirait la même chose assurément. Mais quand il est question de musique, on a raison de croire que cet autodidacte nous parle des vraies affaires, celles qui le font vibrer, créer et depuis peu, chanter. Une passion qu’il était à des lieues de croire possible dans sa propre vie. Sous les dehors plutôt calmes de ce conseiller en haute-fidélité qui aiguille ses clients chez Radio St-Hubert à Montréal depuis 18 ans, vibre un fana de musique, de rock progressif, de blues et de belles chansons populaires. Grattant la guitare, soufflant dans l’une de ses 40 harmonicas, ou poussant la note d’une voix encore un peu timide, Christian Vézina se livre depuis 10 ans à sa passion première, et foule, par la bande, les planches du spectacle pour son plus grand bonheur, et le nôtre !

Si on vous disait que son père jouait de l’accordéon et de l’harmonica en dilettante, et qu’il avait justement offert une de ces petites souffleries magiques à son fils Christian âgé d’à peine 7 ans, feriez-vous la même équation que moi ? Nous avons tout faux. «C’est que mon père et moi, c’était pas vraiment la grande entente, avoue-t-il. L’harmonica a terminé sa vie dans le carré de sable ! Et puis les pièces d’Engelbert Humperdinck, ça me touchait pas vraiment…». On est alors au début des années 70 à Saint-Sulpice, et ce sera plutôt le rock progressif de Pink Floyd, Frank Zappa, Led Zeppelin, Rush et Yes, ainsi que le folk-rock québécois des Fiori, Séguin, Octobre, Offenbach et autre Manège qui feront les beaux jours de son adolescence. «J’ai quitté l’école assez tôt, j’ai jamais vraiment aimé ça. Alors j’ai eu plusieurs boulots un peu disparates. Mais j’aimais la musique, j’achetais des vinyles, et j’ai même emprunté de l’argent pour m’acheter mon premier système de son, assez élaboré. J’étais pourtant parti pour acheter un méga Ghetto-Blaster ! C’est le gérant qui m’a payé le taxi pour que je ramène tout ça chez moi».

La guitare d’abord
Ado, Christian s’achète sa première guitare acoustique. « J’étais pas très doué à cette époque. Je jouais A Horse With No Name et 10 ans plus tard, c’était pas encore très au point ! J’avais Frank Zappa et Roger Waters comme modèles, alors je visais beaucoup trop haut ! Et j’avais pas la patience non plus, mais plus tard, je me suis repris, et j’ai finalement réussi à devenir un guitariste potable ! »
Après 36 métiers, mais toujours avec la curiosité qui l’anime, le nez dans les livres (il termine finalement son secondaire 5 pour stopper la valse des petits boulots), les oreilles toujours bien ouvertes, il entre chez Radio St-Hubert en 1992 avec ses expériences de ventes et de gestion dans le commerce au détail, et sa passion du son et de la musique. «À 35 ans, lors d’un voyage de chasse, un ami s’est mis à jouer de son harmonica diatonique, et il est venu me chercher les tripes avec son blues, un style que je ne connaissais pas très bien. Il m’a offert de m’apprendre les bases, et on a commencé à faire des jams ensemble. Avec mes 7 harmonicas, on écoutait des disques, et comme un concours, c’était celui qui allait trouver le bon harmonica qu’on entendait ! Et comme j’avais maintenant des appareils haute-fidélité, on était vraiment en voiture !»



Le blues en tête

En 2000, moins de six mois après, un copain de l’époque ayant eu vent de ses talents d’harmoniciste, communique avec lui et l’invite à se joindre à sa production, la présentation d’un opéra rock en français qui visait à amasser des fonds pour la cause des femmes violentées. «Je pratiquais alors tous les jours, dans toutes situations, conduisant parfois d’une main, l’harmonica de l’autre ! Comme ça, je ne cassais pas les oreilles de ma femme ! J’ai passé une audition ; le trac fou que j’avais ! Mais il m’a engagé pour faire une pièce, et on a joué sur une scène professionnelle extérieure. De me voir sur la scène, en spectacle, la vraie affaire, je n’avais jamais pensé à ça dans mes rêves les plus fous ! C’était incroyable parce qu’avec l’adrénaline, j’ai réussi à pousser des sons que je n’avais jamais fait avant. C’était magique ! Et je n’ai jamais arrêté depuis ce jour-là.» Sa double vie prenait ici tout son sens, le blues en tête.

«J’ai remonté le temps en fouillant les origines du blues et ce qui se fait maintenant. Je me suis abreuvé de tout ça et me suis mis à écouter d’autres instruments. Parce qu’il faut savoir que si l’harmonica est relié au blues, le blues ne peut pas non plus se passer du saxophone, du piano, ou de la guitare. Et même si j’écoutais beaucoup les autres, j’ai développé mon propre phrasé, ma vibration personnelle. À un moment, ça devient comme un instinct, comme la respiration.» Christian Vézina découvre alors plusieurs grands harmonicistes, d’ici et d’ailleurs, comme Carl Tremblay au Bistro à Jojo, Guy Bélanger, Jim Zeller (une bête de scène !), J-J Milteau, James Coton, parmi d’autres, et il essaime les festivals de jazz et de blues. Et le téléphone sonne encore… « Une année, pour un spectacle de la Saint-Jean-Baptiste à Repentigny, devant une centaine de milliers de personnes, on m’a invité à faire partie d’un band qui faisait les premières parties avec des covers de Pagliaro, Okoumé, Plume et des Colocs, plusieurs années d’affilée. Et ça me faisait toujours bien paraître parce que j’avais une bonne place dans la section rythmique. Ça sonnait comme une tonne de briques ! »

Composer et chanter
À 40 ans, Christian reprend la guitare et pousse plus loin la technique, et ce sera dès lors son moyen de coucher ses tripes sur papier. L’oiseau de nuit aménage dans son sous-sol un studio d’enregistrement, et c’est dans son antre reclus qu’il ouvrira les vannes de ses états d’âme. «Mon plus grand accomplissement à ce jour, ce sont les quelques 20 chansons que j’ai composées depuis les 5 dernières années, toutes inspirées de voyages ou de moments forts de ma vie. J’ai formé quelques bands de covers avec des passionnés de musique, mais j’avais envie de jouer des pièces originales. En ce qui me concerne, je compose un texte, ensuite, je gratte la guitare, et je me réserve toujours un solo d’harmonica ! Et puis j’ai récemment commencé à chanter. L’âge n’est plus un obstacle, je le fais par plaisir pur. Et quand ta chanson te colle à la peau, c’est difficile de la faire chanter par quelqu’un d’autre. Donc, si je suis capable de transmettre l’émotion de mes textes, ma job sera accomplie.»
Christian Vézina n’arrêtera jamais la machine. En marge de son boulot chez Radio St-Hubert, il cherche toujours des musiciens passionnés pour jouer avec lui, tout en multipliant les apparitions en spectacle quand l’occasion lui est offerte. Ses chansons ne sont jamais très loin, et ses harmonicas non plus. Avec toute l’honnêteté qui le caractérise, il rêve éveillé, mais les deux pieds sur terre. «Je veux tout de même pousser la chose plus loin. Je continue de jouer des covers quand on me le demande, mais j’aimerais pouvoir écrire mes musiques sur partitions pour faciliter la chose aux interprètes qui aimeraient jouer mes chansons. Et puis j’ai bonifié ma quincaillerie d’harmonicas, avec des pédales à effets comme Jim Zeller…»

On peut imaginer son premier harmonica enfoui dans la cour de son enfance, et aujourd’hui, il n’y a plus de sable dans l’engrenage de sa passion. «J’ai fait la paix avec mon père qui est parti, il y a 20 ans. Je le remercie d’ailleurs. Car nul doute qu’il m’a transmis un peu de ses chromosomes musicaux, c’est certain !»