Portrait passion


Ce ne sont pas toujours ceux qui font beaucoup de bruit qu’on remarque en premier. Avec son ton posé et contenu, René Laurendeau, président de Rotac Électronique inc. à Québec, dégage certes, à 59 ans, l’aura d’un homme sérieux, rigoureux et perfectionniste. Fan fini d’électronique, de musique et de son, imaginez-le plutôt dans sa deuxième vie, assis devant la batterie acoustique Ludwig
classique de son enfance. Bourreau de travail, il en a mis des heures à mettre sur pied sa boutique d’électronique de haute fidélité, laquelle fêtera ses 40 ans en 2012. Bien que la chose ne le rajeunisse pas, René Laurendeau est revenu, depuis quelques années, à sa passion de la musique jouant ici le top 50 des classiques du rock, et là, des standards de jazz qu’il affectionne particulièrement. Portrait d’un musicien qui veut garder le rythme.

Parce que René Laurendeau a certes fait beaucoup de bruit dans ses jeunes années. Après que ses sœurs eurent abordé, sans poursuivre, le violon et le piano, lui, avait choisi… la trompette. « Mes sœurs écoutaient Elvis, c’était le gros boum du rock, et même moi, je m’intéressais beaucoup plus aux Beatles qu’aux grands classiques ! Tout le monde grattait la guitare, alors la trompette n’avait pas trop la cote ! » René Laurendeau jouait aussi un peu de piano à l’oreille, mais c’est quand il a entendu les Guess Who dans une quotidienne à la télé, qu’il a ce coup de cœur pour la batterie. « J’ai vraiment analysé le jeu du batteur, je n’en manquais pas une ! Et puis il y a eu Jimi Hendrix et Led Zeppelin, entre autres, qui m’ont beaucoup influencé. C’était le milieu des années 60… ».

La musique dans le sang
On lui offre donc sa première batterie, une Ludwig classique. « C’était la même que Ringo Starr ! Et c’est encore cette batterie que je possède, mais que j’ai bonifiée plus tard de quelques ajouts électroniques. J’ai joué avec des petites formations à l’époque, puis on a fondé le groupe William D. Fisher (explorateur fictif aux longues envolées progressives !) où l’on jouait nos propres compositions, en anglais. » Il faut savoir qu’en plus de son talent naturel pour la musique, René Laurendeau a toujours été curieux et bricoleur, tout en possédant cette autre passion pour l’électronique. Il avait débuté une formation de trois ans au Cégep en électronique, et comme le groupe connaissait un certain succès, il a interrompu ses études pour faire de la musique à plein temps.

« On a eu la chance d’avoir un circuit, de jouer dans les écoles secondaires et les cégeps, et de faire des tournées au Québec. On a même produit deux 33 tours. Mais on peut dire qu’on n’avait pas trop d’expérience pour la gestion du groupe… On n’a jamais connu la richesse , mais on tripait ! On a quand même fait la première partie de Gentle Giant lors de leur tout premier passage à Québec en 1972 ! C’était au Pavillon Pollack de l’Université Laval, et le groupe anglais avait déjà une très bonne réputation. Ça nous a impressionné, évidemment, mais très vite, on s’est aperçu qu’on ne pouvait pas concurrencer la montée des groupes anglais ; c’était devenu de plus en plus ardu de se tailler une place. » Malgré les horaires chargés, René continuait de nourrir sa passion pour l’électro. « J’adorais bricoler. J’ai même transformé un orgue B2 en B3 ! En plus, tout le monde m’apportait des instruments de musique et des appareils audio pour la réparation ; j’ai donc décidé de terminer ma troisième année au Cégep pour compléter ma spécialisation. »

Retour à l’électro… et à la musique
En 1972, l’été précédent son retour à l’école, son père lui fait une offre qu’il ne peut refuser. « Mon père n’avait pas idée de ce que pouvait être une chaîne audio de haute fidélité. Sous mes conseils, il a donc investi 1 000 $ pour acheter les appareils d’une chaîne complète (amplificateur HarmanKardon, table tournante ELAC et des enceintes Cerwin Vega). Quand il a entendu la différence entre ce montage et le vieux « Pick-up-trois-dans-un », il a vu le potentiel de l’affaire. Il m’a conseillé de fonder une compagnie, une sorte de centre de service pour les grands distributeurs d’appareils audio haut de gamme. On a donc visité les grandes marques, dont HarmanKardon, Teac, Quad, B&W, Keff, et , petit à petit, notre sous-sol s’est rempli ! On a opéré comme ça durant 7 ans, ma mère à l’administration, mon père investissait, et moi, je travaillais ! C’est comme ça que ROTAC est né. » En 1980, ROTAC a pignon sur rue à Ste-Foy, ses parents sont retraités, et, avec sa femme, René Laurendeau est maintenant propriétaire de son entreprise. Avec quelque 70 heures par semaine, la réalité est dure. « Je n’avais plus le temps de faire de la musique. La famille, les responsabilités, le travail… On a beau être passionné, mais il n’y a que 24 heures dans une journée ! » Bien qu’il tente durant un an (en 1990) de revenir derrière sa batterie pour le plaisir avec un ancien membre de William D. Fisher, ce ne sera qu’en 2008 qu’il se permettra de raccrocher à sa passion de la musique.

Rock et jazz
Car toute sa vie, il n’a jamais cessé d’écouter de la musique. Le rock, le jazz fusion ou les standards, la musique de chambre… tout y passe, notamment pour constituer des démos aux clients de sa boutique, mais également pour son plaisir personnel. En 2008, le groupe Turbulence l’approche pour remplacer le batteur qui a quitté la formation. Il accepte de se rallier au groupe où la machine est déjà bien huilée : 5 musiciens, 2 chanteuses, et une tonne d’équipements. « Le répertoire était foncièrement rock, dance et disco ; on joue pour des entreprises, c’est essentiellement corporatif, mais on se donne à fond pour que tout le monde reste sur la piste de danse. C’est plus exigeant et le montage est très long, mais de retrouver cette chimie de groupe, ça n’a pas de prix ! » Au même moment, on l’appelle également pour se joindre à un petit band de jazz (Le Vieux Lévis Jazz Band). « Là, j’ai découvert complètement autre chose, parce que je n’avais jamais joué de jazz. Le plus difficile a été le contrôle de mon instrument, puisqu’on ne joue jamais fort ! J’ai dû apprivoiser notamment le jeu avec les balais sur la caisse claire, mais l’ambiance est vraiment cool. Et le montage de la scène se fait en moins d’une demi-heure, ce qui est pratique dans les plus petits espaces. »

René Laurendeau a peut-être trouvé la formule gagnante pour nourrir ses deux passions. La boutique ROTAC bien installée, et celui-ci réduisant ses heures au bureau, il peut maintenant se permettre ce hobby qui fait vibrer ses cordes sensibles. La réflexion a porté fruit afin qu’il puisse enfin trouver un rythme de vie normal (pour peu qu’un batteur puisse trouver un rythme normal !). « Je me vois vieillir, et si je ne fais que du rock, mais je vais toujours suer à grosses gouttes ! C’est certain que ça stimule, que ça garde motivé, mais le jazz est par contre la source idéale pour mon rythme de vie aujourd’hui. Et en continuant comme ça, je peux penser faire encore de la musique à 70 ans ! » C’est toute la grâce qu’on lui souhaite.

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