Opinion: Square et Tidal…

…une transaction pour améliorer le sort des artistes ?

L’annonce, le 4 mars de l’acquisition d’une participation majoritaire de la société de paiement Square, dans la plateforme de streaming Tidal pour 297 millions de dollars en cash et en actions a eu des échos globalement bienveillants dans le milieu musical.

Square, la société de Jack Dorsey, par ailleurs PDG et cofondateur de Twitter, est venue à la rescousse de Jay-Z qui cherche depuis mars 2015 à faire fructifier Tidal, racheté, avec quelques artistes amis, 56 millions de dollars à ses créateurs norvégiens cinq mois après son lancement.
Jay-Z, qui, avec Tidal, perd plusieurs dizaines de millions année après année, et Dorsey sont amis. La transaction fait fantasmer dans la mesure où la remise en cause récurrente du paiement famélique des artistes par le streaming revient à la surface des derniers temps.

User centric ?
L’arrivée dans le portrait de Square, entreprise proposant des services de paiements mobiles (lecture de cartes de paiement) et élargissant de plus en plus son offre bancaire aux petites et moyennes entreprises n’est donc anodine. Il y a intégration de la chaine de paiement et, d’une certaine manière, connexion de celle-ci avec les artistes qui offrent le produit.

Le contexte lui-même est propice à une remise en cause du statu quo. Ainsi, deux jours avant la transaction Square-Tidal, la société de streaming allemande SoundCloud annonçait la mise en place, dès avril d’un nouveau système de rémunération des artistes basé sur la durée d’écoute. Ce système était notamment réclamé à corps et à cris par les artistes classiques, un mouvement de symphonie pouvant être dix fois plus long qu’une chanson. Cette première sera-t-elle une brèche dans le système ?

Car, il y a du chemin à parcourir en termes d’équité dans ce marché. Le streaming qui représente désormais 83 % des revenus du marché de la musique aux États-Unis est dominé par Spotify, qui revendique 155 millions d’abonnés payants dans le monde, devant Apple Music (72 millions) et Amazon Music (55 millions). YouTube Premium se targue de 30 millions d’abonnés payants.

Dans cet univers les sommes acquittées pour les abonnements sont réparties selon la logique dite Market Centric c’est-à-dire au prorata des écoutes totales. Ce système, décrié par les artistes, favorise les grandes stars au détriment des petits joueurs qui plaident pour le modèle User Centric, dépendant des écoutes individuelles des abonnés.

Comme le rapportait l’Agence France Presse le 2 mars dernier, une étude réalisée par le cabinet Deloitte sur Spotify et Deezer, parachevée en janvier 2021, a conclu qu’avec un passage du Market Centric au User Centric : Les redevances augmenteraient de 24 % pour la musique classique, 22 % pour le hard rock, 18 % pour le blues. À contrario, les musiques mainstream comme le rap verraient, elles, leur redevance baisser de 21 %.
Un joueur marginal
Au-delà des fantasmes d’un monde meilleur, quelques constatations de base sont de mise. Dès la prise de contrôle par Jay-Z, à la tête d’une regroupement d’artistes, Tidal a été présenté comme une plateforme plus équitable, rémunérant mieux les artistes.

Mais si tout le monde trouve – ou fait mine de trouver – cela scandaleux, personne ne fait rien. Même si c’est bien regrettable, la rémunération des artistes est le cadet des soucis de la masse des consommateurs, qui vont s’abreuver sur YouTube ou Spotify, qui compte 190 millions d’utilisateurs gratuits en plus des 155 millions payants.

L’autre argument de Tidal a été la HiFi et la plus-value sonore. Cette niche de marché (les chiffres mondiaux de Quobuz HD publiés par Forbes sont de 200 000 abonnés) qui a permis à Tidal de faire son trou, va être concurrencée de front par Spotify HiFi, un nouveau service annoncé le 22 février 2021 pour un lancement plus tard dans l’année.

Le flou demeure autour de la marginalité de Tidal dans ce marché. Tidal n’a jamais révélé le nombre de ses abonnés payants, que l’on ne peut que cerner en sachant que les revenus d’abonnements s’établissaient annuellement à 165,82 millions de dollars en 2019 pour des pertes d’exploitation de 52,2 millions.

Alors, où est la logique, où est le développement ? Il ne faut sans doute pas mésestimer le besoin d’avoir un outil streaming dans ce que j’appellerais l’écosystème Dorsey. Bezos (Amazon) a le sien, Google a le sien (YouTube), Apple à le sien comment Twitter pourrait manquer cela ?

L’arbre qui cache la forêt
Mais sur un plan moins psychologique et plus mercantile, l’idée va être forcément de parier sur une mutation vers un appariement User centric / Artist Centric. CNN a relayé le 5 mars les propos d’un analyste de la société Wedbush, Moshe Katri : La stratégie actuelle de Square consiste à construire des écosystèmes autour des marchands / vendeurs et des consommateurs.

En partant de ce point de vue, il faut regarder au-delà du streaming et Jack Dorsey a vendu la mèche en déclarant : Nous travaillerons sur des expériences d’écoute entièrement nouvelles pour rapprocher les fans, des intégrations simples pour la vente de produits dérivés, des outils de collaboration modernes et de nouvelles sources de revenus complémentaires.

Et si le nouveau Tidal se trouvait une unicité en devenant parallèlement une interface de type Fanclub, dans laquelle les artistes pourraient monétiser la commercialisation de tous types de bébelles plus ou moins exclusives liées à leur culte de personnalité et rentrant directement dans leur compte en banque, la plateforme se prenant un pourcentage sur la transaction ?

Les fonctionnalités de la plateforme qui pourront être modifiées par cette acquisition. Selon l’analyste Avivah Litan de la société Gartner, interrogée par Reuters, les mots-clé qui donneraient du sens à la transaction pourraient bien être Blockchain et NFT. NFT ou Non-Fungible Tokens est une signature numérique qui certifie l’authenticité d’une pièce numérique.

Exemple pratique : le 6 mars 2021 nul autre que Jack Dorsey a mis aux enchères son premier tweet. Aux dernières nouvelles, on en était à plus de 2,5 millions de dollars.

Après le Bitcoin, les NFT se profilent comme le nouvel Eldorado. Les échanges sont encore embryonnaires ; 63 millions de dollars en 2019 et 250 millions en 2020 selon l’atelier Paribas rapporté le 8 mars par Le Journal du Net en France.

Mais le Journal du Net donne un exemple d’utilisation de NFT qui dit tout de ce qui semble se profiler : Le groupe britannique Disclosure a par exemple réalisé un live stream sur la plateforme Twitch durant lequel il a composé une chanson qui a été mise dans un NFT. Il n’existe donc qu’une seule copie de cette chanson. Photos, vidéos sont concernés. Voilà l’astuce. Et n’importe quel artiste pourra à terme valoriser n’importe quoi en cryptomonnaie : un message Instagram personnalisé, un Happy Birthday de circonstance…

Vous vouliez savoir vers quoi s’en va Tidal ? Voilà !