Nina Simone – Sings the Blues

ParBebo Moroni, collaboration spéciale
(https://fr.wikipedia.org/wiki/Bebo_Moroni)
VideoHiFi.com

Je suis désolé car peut-être que, dans cette chronique, je vais être un peu ennuyeux (si je ne le suis pas en général !), mais je dois revenir aux émotions, plutôt qu’à des descriptions.

Jusqu’à ce moment-là, je pensais que rien ne pourrait jamais – musicalement et en direct – m’émouvoir autant que l’attaque de Thick As a Brick lors de la tournée 1974 de Jethro Tull. En fait, il y eut plutôt une petite compétition entre cet album et une surprise de la part de John Barleycorn, avec Traffic, au milieu du titre Glad lors d’un concert en 1975.

Puis, quelques années plus tard, je faisais la queue devant l’Olympia de Paris pour assister au concert de Nina Simone.

Bon, de toute façon, vous allez écouter Nina Simone à l’Olympia, pour… Résultat à la hauteur. Pas de quoi philosopher ni fantasmer. Eh bien ! lorsque le rideau s’est ouvert, que cette petite femme formidable s’est approchée du piano, qu’elle a posé ses mains sur le clavier et qu’elle a commencé à jouer Real Real, j’ai ressenti une secousse qui m’a presque fait tomber de ma chaise (la métaphore usée a déjà été utilisée deux fois, mais il s’agissait de deux occasions humoristiques. La première fois, c’était Ciao Pussycat. La seconde, c’était pour un duo hilarant au concert de l’Incredible String Band à l’inoubliable – quod non fecerunt barbariTeatro Goldoni à Rome).

Nina, grande Nina, inoubliable Nina ! (Ce n’est pas un soupir, c’est un constat !)

Nina Simone Sings The Blues est l’ensemble (mais pas l’unicum) de l’œuvre de cette Artiste extraordinaire avec un très grand A souligné. Onze pièces de blues, dont cinq composées par Nina elle-même. Onze standards, car même celles qui ne l’étaient pas encore, en l’occurrence les propres compositions de Nina, le devenaient immédiatement.

Aujourd’hui (malgré que cela se produit, étrangement, toujours après le départ de ceux qui auraient pu aussi jouir d’un tel grand succès), disons que comme dans une publicité, on ajoute un peu de sucre dans nos céréales (I Want a Little Sugar in my Bowl). Cette publicité nous montrerait, dès les premières heures du jour, des familles qui… (des familles incroyablement belles et reposées, maquillées et peignées) se réveillent le matin et croquent des céréales qui les rendent encore plus heureuses et plus parfaites (bien sûr, elles vivent dans un monde où il n’y a pas de factures, pas de maladies, pas de collègues infâmes, pas de patrons autoritaires, pas de dirigeants ineptes et que sais-je encore !). J’imagine toujours que dans leurs maisons, aussi soignées, parfumées et incorruptibles soient-elles, il n’y a même pas de toilettes dans la salle de bains. Mais la vie de Simone était tout le contraire de celle des familles qui mangeaient des céréales, et I Want a Little Sugar in my Bowl est le manifeste même de cette vie difficile, et il est inutile d’essayer de nous tromper en la faisant passer pour une simple chansonnette qui donne à réfléchir.

Je voudrais transcrire, ici, la note d’une pochette écrite par son producteur, Sid McCoy : Note du producteur My Man’s Gone Now a été la dernière chanson enregistrée lors de cette session. Mme Simone était, physiquement et psychologiquement, épuisée par les enregistrements précédents, mais elle s’est néanmoins assise au piano et a commencé à chanter et à jouer ce célèbre air de Porgy and Bess. La contrebasse a suivi. Dans un coin caché, Nina a puisé l’énergie nécessaire pour nous offrir une performance rare, parfaite, inspirée, avec encore plus d’intensité que ce qu’elle avait exprimé jusque-là. C’était une bonne première ; il n’y avait rien à améliorer.

Ces mots de McCoy, certainement sincères, qui aimait vraiment Nina, peut-être l’un des rares hommes à ne pas l’avoir exploitée, pressée et jetée dans un coin, racontent l’histoire de la grande Nina Simone, cette extraordinaire Artiste (avec un grand A, doublement souligné), mieux que toute autre histoire racontée verbalement ou autrement (outre sa musique).

Le disque était et reste magnifique. L’enregistrement, réalisé par RCA selon la célèbre méthode Dynagroove, était déjà d’un niveau tout à fait remarquable (l’enregistrement a été entièrement réalisé dans le légendaire Studio B de New York), mais malheureusement désavantagé dans les pressages suivant la première édition, à cause de matrices imparfaites, et presque négligé dans les pressages européens.

La réédition, ici aussi, sous la forme d’une réplique parfaite, par Speaker Corner, rend enfin pleinement justice à un album qui le mérite tellement, et à une artiste qui a eu du mal à en obtenir (à l’exception, et tardivement, d’un titre que, de son propre aveu, elle détestait un peu, My Babe Don’t Care ‘Bout Me. Une voix pleine, parfaitement au centre de la scène, un piano d’une grande luminosité et aux dimensions crédibles, une contrebasse vive et corsée, des percussions claires et très efficaces, résultant en une authenticité parfaite. Bref, un travail splendide, sur un support vinyle silencieux.

Les mêmes considérations que pour Kind of Blue s’appliquent ici aussi. Il coûte cher (un peu moins que l’album de Miles), il vaut tout ce qu’il coûte, voire plus. Écoutez-le et vous ne pourrez plus vous arrêter.

Un bon vinyle est une drogue puissante. C’est vrai que ça crée une dépendance, mais une dépendance bonne pour la santé.

RCA Victor, LSP-3789
Replica Speaker Corners
Vinile Vergine 180g.