ALEXANDRE THARAUD (piano)
Les Violons du Roy, Bernard Labadie
Bach : Concertos pour clavier BWV 1052, 1054, 1056, 1058 et 1065
Virgin, 50999 087109 2
Magnifique honneur pour les musiciens québécois : Les Violons du Roy et Bernard Labadie font leur chemin chez Virgin Classics. Voici que le label anglais leur confie l’accompagnement du dernier enregistrement de la star maison du piano, Alexandre Tharaud. La rencontre Tharaud-Labadie s’était faite quelque temps avant l’enregistrement au Palais Montcalm en septembre 2010, lors de concerts donnés en Europe. Et la saga n’est sans doute pas finie, puisque les musiciens se sont particulièrement bien entendus et se vouent un immense respect. Cela s’entend dans ce disque, buriné comme peu d’autres CD de concertos. Les nuances infinitésimales du piano de Tharaud sont particulièrement bien captées par la preneuse de son Martha de Francisco, professeure à McGill et ancienne complice d’Alfred Brendel. Prouesse qui intéressera les amateurs de technique : Tharaud joue lui-même, par la magie du re-recording, les quatre parties de piano du Concerto BWV 1065.

DENIS MATSUEV
Shostakovitch : Concertos pour piano n° 1 et 2
Denis Matsuev (piano), Orchestre Mariinski, Valery Gergiev
Mariinski, SACD, MAR 0509 (SRI)
Après leur fabuleux 3e Concerto de Rachmaninov, on attendait évidemment une nouvelle parution du pianiste prestidigitateur Denis Matsuev et de Valery Gergiev. Ce nouveau disque a été enregistré en décembre 2009 et décembre 2010 à Saint-Pétersbourg et couple aux deux Concertos de Chostakovitch le 5e Concerto pour piano de Rodion Chédrine. La première remarque tient à la prise de son, superbement étagée en profondeur et très naturelle, laquelle procure une impression très différente du « bain sonore » proposé par le 2e Concerto Rachmaninov de Sa Chen chez Pentatone (voir ci-dessous). Sur le plan musical, Matsuev est à la hauteur des attentes : sa Finale de 1er Concerto ne déçoit pas ! Mais la plus belle surprise vient de la concentration des mouvements lents. Le Lento du 1er Concerto est bien plus qu’un simple intermède entre deux exaltations, alors que l’Andante du 2e Concerto trouve un juste balancement, sans tomber dans la mièvrerie. On notera enfin que Gergiev a choisi de garder la trompette, co-soliste du 1er Concerto, intégrée à la perspective orchestrale. Une parution qui fait jeu égal avec celle de Marc-André Hamelin (Hypérion), plus réussie en CD qu’en SACD.

RICCARDO CHAILLY
Beethoven : Les Symphonies

Orchestre du Gewandhaus de Leipzig, Riccardo Chailly
Decca, 5 CD, 478 2721
La concurrence se resserre dans les Symphonies de Beethoven. Cette nouvelle version très longuement mûrie par l’un des cinq plus grands chefs de notre temps est l’une des quatre parues en CD depuis six mois (les autres sont Emmanuel Krivine, Christian Thielemann, Philippe Herreweghe). Loin de la grande tradition romantique, dont Daniel Barenboïm (Warner) est le meilleur représentant moderne, Chailly tente d’appliquer à l’orchestre symphonique les préceptes stylistiques prônés par les interprètes issus du monde baroque. La démarche est donc nerveuse au niveau des tempos, cinglante au niveau des accents. Elle se rapproche de celle de Paavo Järvi, encore plus lisible, qui dispose d’un orchestre plus réduit mais n’est pas disponible en coffret. Le concurrent le plus direct est Osmo Vänskä sur étiquette BIS. Le chef finlandais vise une rondeur et une élégance dans le mordant, alors que l’Italien apparaît plus radical. Cette intégrale passionnante n’a rien de ronronnant ou de confortable et bouscule avec force de nombreuses idées reçues.

ANTONI WIT
Orchestre philharmonique de Varsovie
Janacek: Taras Bulba, Danses lachiennes, Danses Moraves
Naxos, 8.572685
Georges Poulin, éminent collaborateur de ce magazine, me faisait remarquer récemment à quel point le niveau technique moyen des enregistrements Naxos avait augmenté. Il a tout à fait raison, même si à Varsovie les choses sont techniquement cadrées depuis bien plus qu’une décennie. Antoni Wit s’est fait remarquer il y a une quinzaine d’années comme l’un des piliers du catalogue Naxos. La Turangalîla-Symphonie de Messiaen scellait alors au plus haut point l’alliance entre qualité artistique et technique.  Ce disque Janacek est le second de Wit à Varsovie, après une interprétation de référence de la Messe glagolitique. Contrairement au Delibes de Reference Recordings, l’orchestre n’est pas ici spécifiquement découpé pour le disque, mais capté « dans son jus », sans sa salle de Varsovie. L’impact sonore est un impact de masse assez aiguisé dans les aigus, ce qui n’empêche pas, dans Taras Bulba, un excellent dosage de l’orgue.
Comme Claus Peter Flor (voir disque suivant), Antoni Wit est un chef au sommet de son art, un musicien cultivé et ardent, qui nous donne des disques infiniment plus intéressants que ce qu’on enregistre à Berlin ou Vienne en ce moment. Espérons que ce nouveau volume fera découvrir le génie de Janacek à bien des auditeurs.

DEBUSSY
STÉPHANE DENÈVE
Oeuvres orchestrales
Orchestre National d’Écosse
Chandos, 2 SACD, CHSA 5102(2)
Nous vous avons déjà parlé du chef français Stéphane Denève, en présentant ses enregistrements consacrés à Albert Roussel, parus chez Naxos. Pour Chandos, il avait déjà enregistré un SACD flamboyant d’œuvres du compositeur contemporain Guillaume Connesson. Cet album Debussy paraît au moment même du départ de Denève de son poste de directeur musical de l’Orchestre National d’Écosse. On ne peut que se dire que l’absence d’une collaboration suivie entre Chandos et cet orchestre pendant les années de son règne est un sacré gâchis, quand on pense aux tombereaux de disques musicalement flasques que d’autres chefs (y compris – et surtout – la « vedette » maison, Gianandrea Noseda) nous ont infligé pendant ces mêmes années sur cette étiquette. Cet album Debussy, lumineux, transparent, spectaculaire, ardent et jamais faussement impressionniste est ce qu’on a fait de meilleur dans la discographie orchestrale Debussy, depuis la mort de Charles Munch et Paul Paray (en d’autres termes : depuis 40-45 ans !). Avec une battue souple et un souci de la limpidité, Denève fait mouche de A à Z. En parallèle, l’Orchestre National de France et son chef Daniele Gatti ont enregistré pour Sony un CD gluant et désespérant de La Mer, du Prélude et des Images, qui met encore mieux en valeur le triomphe des Écossais.

NELSON FREIRE
(piano)
Brasileiro
Decca, 478 3533
Le pianiste brésilien Nelson Freire est l’exemple parfait de ces artistes sages et en pleine possession de leurs moyens, dont l’industrie phonographique –  anciennement les majors, à tout le moins – devrait immortaliser les témoignages. Mais désormais, le choix des artistes appelés à enregistrer est davantage guidé par le marketing et le jeunisme ambiant que par des considérations artistiques. Il est donc tout à l’honneur de Decca d’avoir engagé Nelson Freire il y a une quinzaine d’années et de s’être tenu à ce choix, à raison d’une parution annuelle. Des concertos pour piano de Brahms au récital Liszt de 2011, les disques de Nelson Freire sont autant de références. L’opus de l’année 2012 est consacré à la musique pour piano brésilienne et son seul défaut est de ne pas faire de place au compositeur Ernesto Nazareth, qui, comme Chopin, a su dans ses Valses faire de la danse au piano un noble sujet de divertissement. Outre la figure de proue d’Heitor Villa Lobos, Nelson Freire convoque ici notamment Carmargo Guarneri et Francesco Mignone, dont les œuvres orchestrales enregistrées par l’étiquette BIS nous avaient séduits jadis. On trouve aussi des compositeurs encore moins connus, tels Alexandre Lévy, Claudio Santoro ou Henrique Oswald. Ce disque nous fait donc découvrir de plaisantes musiques rares, servies par le touché coloré et atmosphérique du pianiste. Écoutez la subtilité des nuances dans la Dança Negra de Guarneri : une merveille !