Laura Prince : la paix cherchée, retrouvée

Paru au printemps dernier, l’album Peace of Mine, premier opus de la chanteuse Laura Prince, a dévoilé aux mélomanes une autrice-compositrice-interprète de haut niveau, résidant dans un univers musical riche, nourri d’influences diverses. Réalisé avec la complicité du pianiste et compositeur martiniquais Grégory Privat, Révélation de l’année aux Victoires du jazz en 2015 et fils du réputé José Privat du groupe antillais Malavoy, Peace of Mine s’est attiré des éloges quasi-unanimes à sa sortie.

Quand j’aborde avec elle cette réaction positive des critiques et du public lors de notre entretien au début du mois de septembre, Laura Prince, quoique timide, ne me cache pas son bonheur. J’ai été plutôt agréablement surprise de cet accueil sympathique, chaleureux dans l’ensemble.

Dans la vie de Laura Prince, sans doute faut-il le dire, bonheur et musique ont souvent marché main dans la main. Dans sa jeunesse, elle a suivi des cours de danse et de chant avant d’étudier plus tard l’ethnomusicologie et de découvrir les grandes voix du jazz, nées avec les revendications civiques de la communauté afro-américaine. La jeune chanteuse avoue s’être engagée dans le sillage de ses figures tutélaires dans un mouvement tout à naturel. J’y suis venue [à la musique, au jazz] très petite, de manière spontanée, naturelle, ayant grandi avec des parents qui écoutaient de la musique : un papa togolais, plutôt mélomane, qui écoutait des musiques issues de tous les horizons, du classique, du jazz, du blues, de la soul et j’en pas; et une maman, française, plutôt branchée sur la chanson française de Jacques Brel et Édith Piaf, jusqu’à Céline Dion.

Survivre au deuil
C’est pourtant au contact du malheur, au lendemain d’une grande peine, que cet album réunissant une dizaine de chansons originales qui ressemblent à autant de prières appelant la sérénité a vu le jour. J’ai perdu ma tante Annie, la sœur de ma maman, dont j’étais très, très proche, comme d’une deuxième mère. Ç’a m’a fait l’effet d’un électro-choc, de me rendre compte qu’il faut se réveiller et saisir l’occasion de faire ce qu’on veut dès le moment présent dans la vie. Ça m’a amenée à réaliser cet album. Jusque-là, je n’avais pas encore sauté le pas. Alors j’ai décidé en l’honneur de ma tante de faire mes chansons.

À en juger de l’écriture maîtrisée des chansons ici colligées, toutes écrites et composées par elle (avec parfois la complicité de David Sonder), on devine que Laura Prince n’en était pas à ses premières armes comme autrice-compositrice. J’écrivais déjà avant d’entreprendre le projet, reconnaît-elle. J’ai commencé à écrire vers mes quatorze ans. Mais c’étaient des chansons que je gardais pour moi, que je n’ai jamais partagées en public. Et puis, après une vie faite de hauts et de bas, j’avais de nouvelles chansons pour cette occasion. Mon écriture est aujourd’hui un peu différente, certainement un peu plus mature que ce que j’écrivais à quatorze ans.

Et quand je lui demande si elle avait aussi plongé plume dans d’autres encriers, elle reconnaît avoir en effet tâté d’autres genres. J’ai écrit aussi des poèmes, me confie-t-elle. J’ai toujours aimé écrire et lire aussi. Mais c’étaient bel et bien des chansons dès le début, dès le moment où j’ai commencé à m’accompagner au piano. En général, je me mets au piano et une mélodie, puis les paroles me viennent. C’est de cette manière-là que je crée.

Inévitablement, la question du choix de la langue d’écriture (ici, l’anglais) s’est imposée. C’est une question qu’on me pose souvent ici en France, reconnaît Laura Prince, qui s’explique sans malaise. J’ai appris la musique en écoutant des chanteuses américaines alors, pour moi, c’est plus naturel de chanter en anglais parce que j’ai beaucoup écouté Ella Fitzgerald, Nina Simone, Etta James, Whitney Houston et tellement d’autres, parce que le jazz est né en anglais, il n’est pas né sur une autre terre que les États-Unis.

Le droit et le devoir de prendre sa place
Au sujet du talent de son pianiste et directeur musical Grégory Privat, qu’elle a osé approcher en parfaite inconnue, Laura Prince est intarissable. Je le connaissais uniquement en tant qu’auditrice et j’adorais beaucoup son travail. Un jour, j’ai pris contact avec lui sur les réseaux sociaux et il m’a répondu. On s’est donnés un rendez-vous-test en studio, au cours duquel on a enregistré quatre morceaux. Ça s’est passé de manière très simple, de manière magique aussi. Dès cette première rencontre, sa collaboration a été effective : il a su écouter ce que j’avais dire, comment j’avais envie de tourner les choses. Et il m’a aidée en tant qu’arrangeur musical sur tout l’album.

Pour quelques titres du disque, Privat a sollicité le concours d’un quatuor à cordes en discrète ponctuation sur certains morceaux, composé de Guillaume Latil, Gabrielle Lafait, Johann Renart et Jules Dussap. Je lui avais dit que je rêvais d’avoir un grand orchestre pour m’accompagner sur la chanson In Your Eyes par exemple, raconte Laura Prince. Il a ajouté ce joli quatuor à cordes sur Peace of Mine, Scared of Dark pour lequel il a concocté de très très beaux arrangements.

Autrement, pour les autres chansons, Laura Prince bénéficie du soutien de Tilo Bertolo à la batterie, Zacharie Abraham à la contrebasse, Inor Sotolongo à la percussion. C’est Grégory Privat qui a choisi tous ces musiciens, de grosses pointures. Et franchement ç’a été génial pour moi. Pour une première expérience, enregistrer comme ça avec des artistes de cette trempe, qui comprennent la musique, qui entendent tout de suite, comme si nous parlions le même langage. Et la musique a été en place tout de suite. Il faut dire qu’on a enregistré de manière classique, vraiment à l’ancienne; c’est-à-dire qu’on était tous dans des cabines, mais on faisait des one-shots, quoi. On enregistrait en direct, il n’y avait pas de repiquages ou de changements, etc. C’était une prise et voilà. Il faut dire aussi qu’on avait fait pas mal de répétitions avant les enregistrements définitifs. Jusque-là, j’avais surtout joué avec des musiciens amateurs. J’étais très contente d’avoir ces gars-là avec moi.

Bellement entourée, certes, la chanteuse avoue avoir été, au préalable, intimidée par la stature de ses accompagnateurs. Au départ, j’ai demandé à Grégory, est-ce que je serai à la hauteur? Est-ce que j’ai ma place au milieu de vous ? Et il me disait : tu as tout à fait ta place. Il m’a beaucoup soutenue là-dessus en me disant : mais tu es une super chanteuse, tu as de belles compositions, pourquoi tu n’aurais pas le droit au même titre qu’une autre ? Ça m’a beaucoup réconfortée en ce sens-là, et tirée vers le haut bien sûr.

Vienne la paix intérieure…
Au moment de notre entretien, elle se prépare enfin, un brin fébrile, à un concert de lancement officiel au Duc des Lombards, le 11 septembre. La date est particulière, je sais, mais je suis plutôt contente d’honorer aussi les personnes qui ont perdu la vie il y a vingt ans, pourquoi pas. Et puis surtout content de célébrer le retour aux concerts, le retour à la musique, même si on est encore un peu entre-deux, ce n’est pas bien clair. Pour ce qui est de la suite, pour une tournée, je l’espère, j’attends de retours et j’attends aussi des rencontres.

J’en reviens à ce sentiment de paix intérieure que semble appeler les chansons de l’album : acclamée comme LA révélation en jazz vocal de l’année en France, l’autrice-compositrice-interprète estime-t-elle avoir enfin atteint cette sérénité. Le processus de faire cet album m’a menée cette paix intérieure. Comme je vous l’ai dit plus tôt, j’ai eu une vie faite de hauts et de bas, de très grands bas à certains moments. Sans aller dans trop de détails, je suis passée par des moments où il m’a fallu me battre pour la vie. Pour atteindre cette paix de base qui permet juste de profiter de la vie déjà, j’ai été spontanément vers la musique et c’est ce qui m’a aidée à me regarder plus de l’intérieur. Parce que chanter, au fond, c’est se livrer, se mettre à nu. Quand on chante, on ne peut pas se cacher. On se montre avec ses fêlures, avec ses blessures, avec ses joies. Comme on est. À travers tout ce processus, à travers tout ce que je fais au jour le jour, je vis cette paix intérieure. Aussi, bien sûr, on rêve toujours de mieux, de plus grand.

C’est en tout cas ce que l’on souhaite à la talentueuse jeune femme, qui le mérite bien. Comme nous tous d’ailleurs.

Peace of Mine, Laura Prince, Disques CQFD.

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