DOMINIQUE FILS-AIMÉ: Stay Tuned ! Ensoul, 2019

Une partie non négligeable du grand public a découvert Dominique Fils-Aimé grâce à La Voix, la compétition de chant diffusée à TVA, où elle avait fait bonne figure, sans cependant remporter la palme en 2015. Trois ans plus tard, l’auteure-compositrice-interprète haïtiano-montréalaise lançait Nameless (Ensoul, 2018), un album des plus original et personnel qu’elle décrivait comme le coup d’envoi d’une trilogie en gestation. Sur ce premier opus, elle explorait les thématiques de l’identité raciale, sexuelle et culturelle, de la place de la femme et de ses rêves, dans une société souvent répressive, au fil de chansons originales puisant tour à tour aux sources du jazz, du gospel, du folk et de la soul. D’audacieux emprunts à Billie Holiday (Strange Fruit) et à Nina Simone (Feeling Good) complètent le tout placé sous le marrainage spirituel de la poétesse et activiste afro-américaine Maya Angelou.

Cet hiver, Domi (ainsi que ses proches et ses fans l’appellent affectueusement) récidive chez le même label avec Stay Tuned!, deuxième volet de la trilogie, lequel s’inscrit avec une admirable cohérence dans le sillage du premier. La preuve en est que le nouveau disque débute par les mêmes notes sur lesquelles s’achevait le précédent. Réceptif à cet appel à la fidélité et à l’écoute attentive porté par le titre, l’auditeur, pendu aux mots de la chanteuse, la retrouve au cœur d’un jardin musical désormais familier, affairée à la culture de ses fleurs métissées. Au programme, une douzaine de chansons inédites, aux paroles et musiques entièrement signées par Fils-Aimé, chapeautées d’un exergue de Nina Simone fort représentatif du principe qui guide leur créatrice Le jazz n’est pas qu’une musique, c’est un mode de vie, une manière d’être,
une façon de penser
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Pour Dominique Fils-Aimé, la réflexion sur les douleurs individuelles et collectives infligées, au fil de l’Histoire, aux femmes et, qui plus est, aux femmes noires, s’accompagne d’un rejet de la posture de victime. Feel the pain on my body pouring […] Feel the power of love taking over […] You go get it, girl, chante-t-elle dans Constructive interference. Certes, une colère sourde traverse cette poésie, mais sans mettre en péril la musicalité des chansons. La parolière s’autorise même une pointe d’humour à l’occasion, comme ce clin d’œil au Summertime des Gershwin dans Big Man Do Cry …your daddy’s poor and your mamma’s ugly. Les arrangements sobres et raffinés, écrins veloutés pour la voix sensuelle de Domi parfois déclinée en harmonie sur multipistes, tirent profit de l’impeccable soutien de musiciens en symbiose avec la chanteuse, dont Jean-Michel Frédéric (piano), Hichem Khalfa (trompette), Salin Cheewapansri (batterie) et Elli Miller Maboungou (percussions).

Parfaitement maîtrisé, cet album de jazz irrigué par des affluents divers (de la soul au reggae, en passant par de nombreux avatars des musiques de la diaspora africaine mondiale) s’impose comme l’un des incontournables de l’année à peine entamée. Stay Tuned! Et comment ! Nous resterons assurément à l’écoute, dans l’attente fébrile du dernier volet de la trilogie, que Domi nous promet pour 2020.

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