On connait beaucoup mieux les vins blancs, rosés et rouges que les vins dont traite cet article : le Vin Jaune et le Vin Orange.
En général un vin blanc est vinifié après la presse du raisin (des cépages) à partir des jus seulement tandis que le vin rouge est plutot le résultat de la fermentation du raisin complet car la couleur est contenue dans la peau des cépages noirs (voir l’article précédent «Les Cépages»). Le rosé quant à lui provient habituellement d’un mélange d’un peu de vin rouge au vin blanc ou encore d’une macération des jus sur peaux pour une courte période permettant l’extraction de la couleur désirée suivi d’une fermentation des jus comme pour les vins blancs, on dit cette méthode «par saignée».
Atout seigneur, tout honneur alors commençons par le Vin Jaune…
Produit uniquement dans le Jura Français, le Vin Jaune trouve naissance à Château Chalon qui a sa propre AOC mais qui est aussi produit sous l’appellation Arbois, L’Étoile et en Côtes-du-Jura. Issu à 100% d’un cépage local le Savagnin qui trouve ses éléments de prédilection sur 240 hectares de plantation en coteaux orientés sud, sud-est à une altitude de 300 à 400 mètres. Les sols et les sous-sols sont d’argile, de marnes et de bancs de calcaire et jouissent de la présence de marnes bleues créées au Jurassique inférieur il y a entre 175 et 200 millions d’années qui sont déterminants pour le goût unique et si caractéristique des Vins Jaunes. Le Savagnin est en plus un cépage tardif qui doit profiter d’un maximum d’ensoleillement afin d’arriver à pleine maturité afin d’offrir de la matière aromatique et un bon degré d’alcool.
Mais c’est vraiment la vinification si particulière qui va faire du Savagnin un Vin Jaune, la méthode s’apparente un peu au Sherry ou Jerez d’Andalousie.
Tout d’abord la vendange se fait vers la mi-octobre. Le Savagnin est ensuite égrappé, pressuré et son jus est mis à fermenter dans des cuves souvent jusqu’au printemps suivant. Le vin est alors soutiré dans des futs de chêne ayant déjà servis mais pas remplis, au ¾ seulement de façon à créer une couche d’air dans la barrique afin de favoriser l’apparition à la surface du vin d’un voile caractéristique créé par une levure de type Saccharomyces Bayanus également très importante dans la fabrication du Champagne. Pour six ans et plus ce voile protégera le vin contre les mauvaise bactéries, ailleurs on obtiendrait du vinaigre de ce processus, c’est ce qu’on pratique à Modène pour le Balsamique mais ici au Jura le vin va se transformer en un merveilleux vin au bouquet et au goût si particuliers et exceptionnels. Donc comparativement au processus de vieillissement habituels des vins, on n’empli pas la barrique, on ne ouille pas et on ne soutire pas le vin durant tout le processus de vieillissement, la durée légale prévoie une période de 6 ans minimum. Le vigneron procède alors à l’assemblage des vins de différentes barriques en fonction de leur intensité organoleptique.
Une bouteille particulière, le clavelin, fut créée au début du 18ème siècle à la demande d’Hubert Clavelin vigneron de Château Chalon et qui demanda aux verriers une bouteille de 62 centilitres qui représentait ce qui restait d’un litre de vin après 6 ans et 2 mois de vieillissement en barrique. Une perte, la part des anges, de 38 centilitres au litre pour gagner son ciel!!! Le clavelin est aujourd’hui la bouteille officielle du Vin Jaune et du Château Chalon en particulier.
A la dégustation d’un Château Chalon on retrouvera les odeurs et les saveurs si particulières de ce vin prestigieux.
- À l’œil un jaune or aux reflets verts en jeunesse et bronze avec l’âge, brillant voir éclatant.
- Au nez c’est puissant et complexe, noix, noisettes, poivre, curry, champignons, cacao, café, dates, figues, miel… à toute les fois qu’on plonge le nez dans le verre on découvre de nouvelles odeurs.
- En bouche c’est l’apothéose! Une attaque puissante annonçant de la complexité et de la longueur. Un équilibre exceptionnel.
Le vieillissement du Vin Jaune en bouteille ne pose aucun problème, c’est un vin de garde par excellence : 100 ans et plus. Idéalement les bouchons sont changés aux trente ans. On apprécie les Vins Jaunes après 20 ans d’âge.
Dégustation du millésime 1774
En juin 1992, lors d’une présentation pour le « Gault et Millau », le docteur Millet a offert une bouteille de « vin jaune » datant de 1774. Provenant d’une vigne travaillée sous Louis XV, vendangée sous Louis XVI, dégustée en juin 1992 sous la cinquième République. Les dégustateurs se sont accordés pour dire qu’il s’agissait d’un des meilleurs vins jaunes qu’ils avaient goûtés.
Vue : jaune ambré.
Nez : tout en délicatesse, en finesse sur les arômes de fruits secs : figues et datte sèches, raisins de Corinthe très miellés qui rappelle étrangement le vin de paille.
En bouche : attaque agréable. Une belle matière onctueuse, veloutée, une fin de bouche avec une légère amertume. Une persistance aromatique en symphonie d’arômes, de fruits et de miel. Un joyau.
(Tiré du site juradecouvertes.free.fr/jura)
Quant au Vin Orange qu’il ne faut pas confondre avec le vin d’Orange, issu de la principauté d’Orange en Côte-de-Rhône, ni non plus le vin d’orange qui est un cocktail composé de vin et d’oranges, le Vin Orange est en fait la façon archaïque de faire le vin. Depuis l’Antiquité on retrace une façon de faire du vin : on écrase le raisin et on laisse faire… Jusqu’au Moyen-Âge la majorité des vins étaient composés des raisins qu’on trouvait au temps où on voulait et à l’endroit où on pouvait et on ne contrôlait absolument rien; surtout pas la fermentation. Résultats : la majorité des vins que consommaient nos ancêtres étaient de couleur rosé plus ou moins foncé avec un degré d’alcool de 5% à 6% et un côté sucré/surette assuré. C’est ce que l’Histoire appellera la «piquette», un vin piqué ou vinaigré.
En fait! Ça prendra Louis Pasteur, jurassien de naissance, pour comprendre le fonctionnement des levures indigènes vers 1850 après des études sur notamment le Vin Jaune, pour en arriver aux versions modernes que l’on connait pour une vinification en blanc et une vinification en rouge (voir plus haut). Louis Pasteur est reconnu comme étant le père du vin moderne.
Et bien le Vin Orange c’est tout simplement du vin rouge fait avec des cépages blancs, ou un vin blanc vinifié en rouge. Le fait que les macérations se fassent sur peaux et même sur rafles confère aux vins blancs une structure tannique qu’on ne retrouve que très rarement dans les vins blancs traditionnels.
On pratique cette méthode dans le sud, en Sicile, en Sardaigne, au Languedoc, en Provence, au Sud-Ouest mais également plus au nord, au Piémont, en Val-de-Loire et même en Californie. On pratique la macération pelliculaire de plus en plus. L’intensité des couleurs et des saveurs sera en rapport avec la durée du temps de contact des jus avec les matières solides. Ce sont en général des vins blancs avec beaucoup de structure, de chair, de matière. C’est une autre façon de vinifier les vins blancs où je vois personnellement beaucoup de potentiel pour l’avenir mais ça reste pour l’instant un produit de niche.
La SAQ offre présentement le dernier millésime embouteillé du Château Chalon du Domaine Marcel Cabelier le 2008. Encore très jeune pour un Vin Jaune mais malgré tout le vin exhibe un beau jaune doré intense et un nez complexe de noisettes grillées, de pommes épicées et de cari. En bouche il présente toute les flaveurs et une acidité soutenue qui lui assure une très longue finale. L’accompagnement parfait et classique est le célèbre Comté de 36 mois, fromage local d’AOC depuis 1958.
Château Chalon 2008, Marcel Cabelier, Jura, France, #10884778 @ 47,75$
Elena Panteleoni du vignoble La Stoppa en Émilie-Romagne nous offre présentement sa cuvée Ageno 2011, Vin Orange composé de 60% Malvoisie et de 40% Trebbiano provenant de plants de 40 ans d’âge issus de sols argileux. Macération sur peaux pour 30 jours avec seulement les levures indigènes, aucun herbicide, ni pesticide. Vieillissement de 12 mois en cuve inox suivi de 2 ans en barrique de chêne français et aucune filtration à la mise en bouteille.
La couleur est vraiment orangée, un peu terre cuite, le vin n’ayant subi aucune filtration est légèrement brouillé et c’est normal. Après une heure d’oxygénation on a droit à une plénitude d’arômes comme le miel, la marmelade, menthe, figue, cannelle, cardamome avec une forte attaque en bouche, la structure tannique est imposante et mène à une finale toute en longueur et très fraîche. D’une complexité remarquable… Ce vin accompagnera remarquablement des plats épicés ou les fromages puissants.
Ageno 2011, La Stoppa, Émilie-Romagne,
Italie, SAQ #12512046 @ 41$
Guy Lenoir
Sommelier – conseil
guylenoir@outlook.com