Un incontournable, Kind of Blue de Miles Davis…

Par Bebo Moroni, collaboration spéciale (https://fr.wikipedia.org/wiki/Bebo_Moroni)

Que pouvez-vous dire qui n’a pas déjà été dit et répété sur Kind of Blue ?

Que pouvez-vous dire d’un disque que Jimmy Cobb (un connaisseur)
prétendait avoir été enregistré au Paradis ?

Je ne sais pas. Je sais juste combien d’efforts cette courte critique me demande,
en fait. Comment exprimer à quel point vous aimez votre femme ou votre enfant ?

Ou plutôt, comment exprimer à quel point on les aime et décrire l’intensité de cet amour, détailler sa qualité, son évolution et les éléments qui le composent ?

Difficile, vraiment difficile. Il y a des émotions, et elles sont peu nombreuses,que même les milliers de mots que comprennent nos vocabulaires ne peuvent décrire.
Mais il y a, pour moi, Kind of Blue.

Je peux faire une liste de ceux qui l’ont interprété, et déjà cette liste suffirait à beaucoup comme référence : James Cannonball Adderley au sax alto, John His Holiness Coltrane au sax ténor, Bill Evans au piano (remplacé, juste un instant, par un pauvre gars comme Wyn Kelly dans Freddie Freeloader), Paul Chambers à la contrebasse et James Cobb à la batterie. Maintenant, je le dis, j’aimerais que quelqu’un ait le courage de me faire une liste des meilleurs. Même en nommant le meilleur de tous les temps, on ne peut être aussi bon que l’artiste original, Miles.

Je peux dire que Kind of Blue est le disque le plus vendu de l’histoire du jazz, et je peux aller encore plus loin, mais je dois d’abord ouvrir une parenthèse. Il y a quelques années (plus que quelques, hélas !) j’étais un jeune professeur d’Histoire de l’art, brillant, dans une certaine École des Beaux-Arts de Rome, et j’ai eu la chance, en plus d’avoir (c’était encore possible) une chaire – c’était le nom des pupitres du Liceo Artistico, dans cette forme universitaire pompeuse – conformément à une notoriété établie, de pouvoir travailler avec celui qui n’avait pas été que mon professeur d’Histoire de l’art, mais d’être le plus grand et le plus aimé des maîtres de ma vie. Cet homme extraordinaire s’appelait et, que Dieu le bénisse, s’il vit toujours, Aurelio Fruzzetti. J’aime me souvenir de lui chaque fois que je le peux en me rappelant sa timidité naturelle et son honnêteté incommensurable, une honnêteté totale, une honnêteté si impensablement totale, qu’elle avait amené un grand peintre, tel qui l’était Fruzzetti, et est, (quand je dis grand, je veux dire grand), à cacher son inlassable travail à tous (auquel j’ai jeté un coup d’œil chaque fois que je le pouvais), et choisissant de gagner un salaire modeste comme enseignant afin de ne pas s’abaisser à la dépendance du marché de l’art.

Qu’est-ce qu’à voir Fruzzetti avec Miles Davis ?
Il y a un lien. Croyez-moi, c’est important ! Vous voyez, il y a un terme obsolète, et détesté par beaucoup, un terme que j’aime tel un bon contestataire, mais que l’on voit rarement utilisé – sinon dans des cas de plus en plus rares, vraiment rares – dans la tendance mondiale actuelle. Ce terme est rigueur. Et pour être un artiste, il faut être rigoureux, extrêmement rigoureux, raison pour laquelle je ne le serai jamais. Miles l’était, et Kind of Blue le démontre dans son éclat, dans sa magie, dans l’amour qu’il a transmis. Voilà une œuvre d’une rigueur qui ne peut être comparée qu’à la plus rigoureuse des œuvres sacrées de Bach. Il y a de la rigueur, et il y en a. S’il n’y a pas de rigueur, il n’y a pas d’amour. Il peut y avoir un soupçon de passion, il peut y avoir du charme et des battements de cœur, mais il ne peut y avoir d’amour.

Revenons au professeur Fruzzetti. Un jour, au cours d’une de nos interminables discussions sur le ciel et la terre, l’eau et le feu, l’amour et la psyché, et ainsi de suite, nous nous sommes mis à parler, comme souvent, de nos impressionnistes bien-aimés. Plus particulièrement du plus aimé des bien-aimés, Paul Cézanne. Quelques mois plus tôt, j’étais à Paris et j’avais envoyé une carte postale au professeur Fruzzetti. C’était la photo de l’une des innombrables toiles de la montagne Sainte-Victoire que Cézanne avait peintes, dans une tentative héroïque et désespérée de comprendre l’essence finale de cette montagne qui se tenait devant sa maison à Aix. Cézanne est mort, vieux et obsédé, jusqu’à l’inconscience, dans une confrontation perpétuelle avec sa montagne. Il meurt devant son chevalet, emporté par une pneumonie attrapée par suite d’une violente tempête sous laquelle il est resté pendant des heures. Il a été retrouvé mourant à cent mètres de son point de vue préféré. Au dos de la carte postale, acquise lors de ma première visite au musée d’Orsay, j’ai écrit Je sais, on ne peut pas dire, mais les impressionnistes, et Cézanne surtout, ont été les plus grands artistes de l’histoire. Ce jour-là, parlant de Cézanne, le professeur (comme j’aimerais que vous le connaissiez tous !) me regarda dans les yeux, et abandonnant un instant sa rigueur qui – de toute évidence – empêchait de possibles médailles du mérite de l’Art, il me dit oui on peut dire que ce furent les plus grands artistes de l’histoire, Cézanne en tête.

Après ce long détour où je tentais de me justifier, je peux maintenant le dire, Kind of Blue est le plus grand disque, dont la renommée est hors d’atteinte, de l’histoire du jazz. Mais je ne peux pas le décrire, je peux seulement dire aux plus jeunes des lecteurs Écoutez-le, vous ne pouvez pas vous en priver et aux moins jeunes, ayez-le toujours en tête, ne le laissez jamais trop longtemps sur une étagère. Pour moi, c’est à jamais Kind of Blue.

Cette étonnante reproduction de Classic Recordings, label spécialisé uniquement dans le vinyle, si précise et précieuse, (ce label a même été choisi par Peter Gabriel pour la version vinyle de son récent Up), représente une opportunité enviable pour les plus jeunes de posséder cette merveille du disco et de l’avoir dans son édition la plus sublime, autant pour ceux qui ont déjà l’album que pour ceux qui veulent ressentir tout son dynamisme et sa puissance.

Extrêmement rigoureux dans sa fidélité absolue à l’original – nulle part sur la pochette ou sur le disque vous ne trouverez le nom Classic Recordings, ni quoi que ce soit d’autre qui différerait de l’édition originale, laissant tout l’espace à la pureté absolue du vinyle vierge utilisé, d’un poids de 220 g. Chaque disque est imprimé à partir du master original et des premières matrices d’impression. Cette reproduction offre un son tout simplement incroyable. Croyez-moi, il n’y a pas d’argument qui tienne. Après avoir écouté ce vinyle, l’édition japonaise sur CD, remastérisée en 24 bits, payante de toute façon, ressemble à une cassette enregistrée à la radio. Et je n’exagère pas trop. Écoutez le son argentin de la trompette, les saxophones soufflés, l’incroyable solidité et l’ampleur harmonique de la contrebasse, la clarté du piano. Bon, si quelqu’un voulait avoir la preuve de la supériorité du vinyle, du meilleur vinyle, c’est ici, prêt à résonner.

Ce disque est-il cher ? Oui, c’est cher, mais le vinyle, c’est cher. Il en coûte pas mal d’imprimer du vinyle aujourd’hui, surtout imprimer comme ça. Le prix est conforme au prix du marché dans le monde (et en effet, peut-être qu’en Italie, il est un peu inférieur à la moyenne). Et de toute façon, le prix correspond à celui de quelques CD ou DVD à faible consommation. Ici, pas de Mercedes ou de manteau de fourrure à vendre (comme le disent les fameux mots d’ouverture d’une célèbre revue concernant un préampli de référence). N’achetez pas deux CD pouvant être superflus, n’achetez pas de DVD non plus, laissez tomber quelques pizzas avec des amis, mais ne vous privez pas de cette merveille pour aucune raison au monde.

Vous n’avez pas de table tournante ?
C’est le moment de l’acheter.

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