Sur la nudité des Beatles…

Par Michel Donais, chef bloguiste chez Fréquences *

En 1968, les Beatles prenaient une tangente beaucoup plus complexe dans leurs compositions. Tout chaud de leur Album Blanc, en préparation pour Yellow Submarine, et en composition de Abbey Road, certains des membres rêvaient des chansons simples de leurs premiers albums. Un clin d’œil à ce qui a créé leur gloire. Ce projet a été relégué plus ou moins aux oubliettes, n’ayant que des sessions disparates pour y travailler. Encore plus, lorsqu’ils ont désiré finaliser quelque chose digne des Beatles, les guerres intestines avec le mécontentement des membres, le duo Lennon-Ono, la tournure mystique de Harrison, plus rien ne faisait. Les sessions ont malgré tout été terminées avec une centaine de chansons à moitié enregistrées, mais aucun produit réel. En 1969, ils enregistrèrent leur dernier album réel, Abbey Road. Restait cette pile de chansons sans aucun fil conducteur, de qualité différente.

Arriva Phil Spector, en sauveur de ce projet. Après avoir passé des mois de travail, de réécriture, de remixage, ajouté sa saveur locale, dont des orchestrations supplémentaires, des échantillons de discussions en studio, etc., il arriva à un album avec un fil conducteur. Beaucoup vont dire que ce n’est pas un vrai album des Beatles, vu que George Martin n’y est pas producteur, mais je doute qu’on ait eu un album sans Spector. On peut être contre Spector suite à sa condamnation, mais on ne peut être contre son génie.

Album : Let It Be
Artiste : The Beatles
En Test : 1970 Vinyle (Canada)
Étiquette : Apple Records, SOAL 6351

You’re damned if you do…
Cet album est totalement différent de tous les autres albums des Beatles. Tout d’abord, on y entend des séquences de voix enregistrées en studio démontrant une bonhommie entre les différents Beatles. On a aussi beaucoup de différents styles, allant de rock doux représentatif de McCartney avec Get Back, du rock plus fort avec Dig A Pony, des chansons plus spirituelles à la Across The Universe, la chanson Let It Be représentative de Lennon, ainsi que des chansons-gag à la Maggie Mae. Le tout se termine avec une petite pièce d’anthologie, les dernières paroles de leur dernier spectacle sur le toit de Apple Corps : « I’d like to say « thank you » on behalf of the group and ourselves, and I hope we passed the audition. ».

Bien entendu, les critiques ont été mitigées. On a droit à des chansons avec une stylistique ancienne, avec le traitement in your face de Spector, aucun fil conducteur, des gags de studio, un air démontrant un manque de finition des pièces, des gags, de la bonhommie, un laisser-aller, et des chansons orchestrales. Il était de notoriété publique que Paul McCartney n’était pas heureux du résultat, que George Martin s’était fait tasser, bref : est-ce réellement un bon album des Beatles ? Les critiques se sont entre-déchirées sur le sujet. En rétrospective, McCartney a dit un peu plus tard que malgré ses divergences, Spector a tout de même réussi un tour de force avec cet album, qui mérite sa place dans les albums des Beatles. De mon bord, je peux donner deux raisons pour lesquelles je me suis intéressé à l’univers de l’enregistrement musical : les bobines de mon père avec son Revox A77 et de m’avoir fait jouer avec ces dernières… et cet album, pour lesquelles les petits bouts de paroles en studio m’ont fasciné dès mon plus jeune âge. Je ne savais pas c’était quoi, mais je savais que j’en voulais dans ma vie.

Et côté qualité sonore, c’est un album des Beatles moderne. Multiples pistes, sessions à peu près en direct, exercices de style. Les anciennes versions ont plus de popcorn, leur âge paraît, et c’est habituellement des gravures de masse. Ça n’empêche pas une bonne écoute, mais ce n’est pas un disque de très haute qualité. La version est uniquement disponible en stéréo, toutefois, si vous désirez avoir une version mono originale, vous pouvez aller chercher le ruban mono, introuvable à des prix adéquats. D’ailleurs, je dirais que les meilleures versions de n’importe quel disque des Beatles sont les rubans d’origine. Toutefois, leurs prix sont prohibitifs pour des copies de qualité adéquates… quand ce ne sont pas des faux. De toute façon, la version mono d’Abbey Road et de Let It Be ne peut être considérée une version originale, ces deux albums ayant été prévus en stéréo dès le début. Ils ne sont pas disponibles dans le Mono Box, d’ailleurs.

Les versions 180 g ? Si le popcorn est quelque chose qui vous horripile et si vous préférez ne pas avoir à payer 50 $ ou plus pour une copie d’origine de qualité, la nouvelle édition est parfaitement valable. La copie ultime, à mon avis, reste le ruban… mais sinon, c’est la deuxième meilleure version disponible. La troisième serait la version en boîtier, vu qu’elle est ancienne et d’édition très limitée, et a probablement été bien entretenue par ses possesseurs. Il y a plus de chances que l’enregistrement ait été bien fait sur le disque.

Album : Let It Be… Naked
Artiste : The Beatles
En Test : 2003 Vinyle
Étiquette : Parlophone, 07243 595438 0 2

You’re damned if you don’t… McCartney a tout de même eu sa chance de refaire le disque. À peu près les mêmes pistes, mais on enlève les ficelles du studio, on enlève les gags, on ne garde que les chansons valant la peine, on en ajoute qui n’ont pas été sélectionnées, et surtout, on enlève les orchestrations et la surproduction de Spector. Bien évidemment, les critiques ont été mitigées encore une fois : exit le plaisir apparent de l’album, ce qui ne reste, c’est des chansons avec un fil conducteur mitigé. Parfois, aussi, Spector a bien réussi des versions, et de vouloir modifier la chanson sans aucune raison valable est juste du révisionnisme. Bref : ces satanées critiques ne seront jamais contentes !

Mon opinion est que la version originale a sa place, et est une des raisons pour lesquelles cet album a fonctionné. Je ne crois pas que la version Naked… aurait eu un si grand succès. Toutefois, les versions qui nous sont proposées sont vraiment meilleures musicalement parlant. Au prix du disque, je ne suis pas certain… mais autant l’objet, le livre, le petit disque supplémentaire que la musique du disque principal sont autant d’attentions à produire un bel objet que les collectionneurs seront heureux de posséder.

Côté sonorité, c’est un travail d’amour. La sonorité est aussi bonne qu’elle puisse l’être. C’est non seulement un beau moment pour redécouvrir cet album, mais c’est aussi quelque chose qui s’écoute aussi bien (sinon mieux, dépendant de votre système) que la version 180 g.

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Vous pouvez aussi, bien entendu, trouver des versions originales 1970 de moins haute qualité au gré des arrivages de disque usagés, comme celle que j’ai en critique ici.