Steve Hackett : Genesis, les 50 ans de Foxtrot et la vie en solo

Le retour du chantre du rock progressif
Le maestro britannique de la guitare et membre de Genesis durant la période la plus créative et foisonnante du quintet anglais sera en concert à la salle Wilfrid-Pelletier le 29 novembre 2022. Cette fois, Steve Hackett propose l’intégrale du disque Seconds Out sorti en 1977, tiré de concert parisiens en 1976 et 1977 en plus de nous plonger avec bonheur dans le patrimoine musical de la légendaire formation : Genesis Revisited, Seconds Out & More, c’est ainsi qu’on a baptisé la tournée nord-américaine du musicien qui vient tout juste d’avoir 72 ans.

Il compte jouer quelques pièces de son répertoire (en vingt-sept albums, le bonhomme a exploré !) et de son nouveau disque, Surrender of Silence. Sur son site web, il annonce quelques surprises aux fans, cependant, rien n’indique que les cinq autres chansons du disque Foxtrot (Foxtrot at Fifty) dont le 50e anniversaire de sa parution est abondamment souligné par la presse ces jours-ci seront jouées. Évidemment, on remerciait le ciel d’entendre Watcher of the Skies ou Can-Utility and the Coastliners (qu’il nous a servi par le passé), deux titres parmi les six du disque cinquantenaire, mais Supper’s Ready qui s’étend sur 24 minutes 30 y sera toutefois, il s’agit de l’un des moments forts de Seconds Out.

Sa tournée se poursuit aux États-Unis. Jusqu’au 19 mai, l’agenda du monsieur est bien garni : pas moins de 32 concerts chez nos voisins du sud sont confirmés ! La popularité du rock progressif et des musiques songés chez les américains est en hausse avec des groupes comme Tool ou du multi-instrumentiste anglais Steven Wilson (Porcupine Tree) parmi les propagateurs visibles du genre,mais on assiste à l’émergence d’une nouvelle génération chez les groupes indés qui remontent la filière jusqu’à… Steve Hackett, Genesis et autres fondateurs du art rock.

L’homme des musiques sans accessoires reste fidèle à son parcours et nous fera renouer avec l’esprit thérapeutique et cathartique de sa musique.

Steve Hackett a été guitariste de Genesis de 1972 à 1977 : six albums studio de rock progressif incarnés et avant-gardiste, plus le EP de 13 minutes 23 secondes, Spot The Pigeon (1977) qui fut la dernière session studio du guitariste en tant que membre du groupe avant son départ la même année.

En 1970, déjà, il publie avec le groupe Quiet World le disque The Road. L’année suivante, il remplace le guitariste Anthony Phillips au sein de Genesis mais fait à noter, il participe aussi à la composition et l’arrangement des chansons. Il arrive donc au début de la période dorée de Genesis : Nursery Crime (71), Foxtrot (72) dont le cinquantième anniversaire de parution est souligné en 2022, Selling England By The Pound (73), The Lamb Lies Down On Broadway (74). Départ de Gabriel. Puis, A Trick of the Tail (76) et Wind and Wuthering (77) les succéderont quoique, ce dernier disque n’a pas eu le même rayonnement ni le même succès critique. Durant cet espace-temps, il publie en 1975 son second disque en solo : Voyage of the Acolyte, le premier d’une longue production discographique qui joue sur plusieurs registres, plusieurs styles, toujours avec cet esprit d’innovation. Rien ne l’arrête

Seconds Out
Hackett
et son groupe (Nad Sylvan, chanteur, Roger King, claviers, Rob Townsend, sax, flûte et percussions, Jonas Reingold, basse et Craig Blundell, batterie) jouent dans son intégralité le disque Seconds Out (Charisma Records). D’une durée de 1h35, ce deuxième album-concert est paru en 1977 (le premier étant Genesis Live sorti en 1973). Le guitariste sera invité à jouer sur Watcher of the Skies quelques années plus tard en retrouvant ses vieux copains, en concert, on la repère sur Three Sides Live (1982).

Capté lors de concerts à Paris en 1976 et 1977 durant les tournées des disques Trick of the Tail (1976) et Wind and Wuthering (1977), il s’agit du premier album live où le chanteur n’est plus Peter Gabriel et ses univers théâtraux et ses fables fantastiques. Le batteur Phil Collins est secondé aux fûts par Bill Bruford (Yes, King Crimson) spécifiquement sur la chanson Cinema Show le 23 juin au Pavillon de Paris. Pour les autres concerts présentés du 11 au 14 juin 1977 au Palais des Sports de Paris, c’est le batteur de Weather Report et Frank Zappa, Chester Thompson qui impose le rythme avec une facilité déconcertante. On n’y perd rien au change même si Collins est un batteur exceptionnel mais son rôle ici, c’est de chanter !

Steve Hackett quitte le groupe à la mi-1977, durant le mixage de l’album. Le prochain disque sans lui s’appellera : And Then They Were Three (Collins, Mike Rutherford et Tony Banks) et le groupe marque alors une rupture avec le style de compositions qui les a rendus célèbres.

Sur les douze titres de Seconds Out, cinq sont de l’ère post-Peter Gabriel qui, comme on le sait, a plié bagage à la fin de la tournée The Lamb Lies Down On Broadway en 1975.

Succès critique et commercial, l’album double atteint la quatrième position du palmarès rock britannique. Avec une popularité relative aux États-Unis, Genesis à cette époque est encore relativement méconnu et le contexte d’une éclosion est moins favorable : le rock progressif bat de l’aile, la musique disco et plus tard la musique punk et le new wave occupent une place prépondérante dans la jeunesse dégourdie de la fin des années 1970. Fallait changer son fusil d’épaule. Sans vergogne, chez Genesis, on vise la pop formatée, les clips sur MTV, les chansons plus courtes, les textes légers et remplis de bons sentiments. Aux USA, on jubile. La nouvelle formule édulcorée du trio qui évacue sa proposition artistique d’antan permet les concerts à grands déploiements, à Montréal, le Stade Olympique est tout désigné pour ce concert hybride qui mélange l’ancien (Carpet Crawlers, Cinema Show, Firth of Fifth, I Know What I Like, The Lamb Lies Down On Broadway, The Musical Box et la longue Supper’s Ready) avec le nouvelles fraîchement sorties : Afterglow, Squonk, Robbery Assault and Battery, Dance on a Volcano et Los Endos.

Seconds Out sera certifié disque d’or au Royaume-Uni, en France et en Allemagne. Au Canada, il occupe le palmarès des ventes pendant douze semaines atteignant la 41e position. Voilà donc pourquoi Steve Hackett et son groupe vont jouer l’intégrale de ce concert en pièce de résistance.

La vie en solo
C’est ici que la production discographie en solo du guitariste est impressionnante : vingt-sept albums à son enseigne sont parus depuis Voyage of the Acolyte dont l’étonnant Blues With a Feeling (1995) et Tribute (2008) qui se veut un hommage au guitariste classique Andrés Segovia. Le coffret Five Classic Albums (2016) sur le label Spectrum comprend les albums Voyage of the Acolyte, l’excellent Spectral Mornings, Defector, Highly Strung et Cured qui couvrent la période 1975-1983 du guitariste.

Si Steve Hackett avait besoin de nous convaincre que ses frustration artistiques après Wind and Wuthering étaient bien réelles, voici de quel bois se chauffe le musicien : il engage sur Please Don’t Touch (1978) Richie Havens qui avait triomphé à Woodstock avec sa chanson Freedom chantée au pied levé, Steve Walsh, chanteur et compositeur de Kansas et aussi membre du groupe prog Streets, Tom Fowler (Frank Zappa) et Graham Smith, violoniste de Van Der Graaf Generator. Geste artistique délibéré avec un effectif créatif au possible; les chansons sucrées et radio friendly de ses anciens compères sont aux antipodes (Follow You Follow Me, Misunderstanding, Duchess, etc.) même si elles font résonner le tiroir-caisse.

Hackett a également publié des disques dédiés entièrement à la musique classique, entre autres, Bay of Kings, Momentum, Sketches of Satie (sorti en 2000 avec son frère John).

Dans la foulée, il se joint momentanément à GTR en 1986, un projet musical duquel faisait partie Steve Howe de Yes, le batteur de Marillion, etc. Insatisfait de la gestion financière du groupe, il quitte peu après.

En 1996, Steve Hackett sort Genesis Revisited avec des musiciens invités et en profite pour sortir de ses tiroirs la chanson Déjà Vu, co-écrite avec Peter Gabriel mais inachevée et qui devait figurer sur le grandiose album Selling England By The Pound. Le DVD The Tokyo Tapes paru en 1998, témoigne des concerts de cette période. Quelques années plus tard, en 2012, Genesis Revisited II est une nouveauté sur le marché du disque, ce qui fait dire au principal intéressé qu’il se considère comme le gardien de la flamme des premiers travaux de Genesis.

En 1997, le britannique se lance dans le néo-classique avec la parution de Midsummer Night’s Dream, un projet ambitieux qui implique le Royal Philharmonic Orchestra, lui, l’apôtre des musiques instrumentales. En août 2009 est publiée sa biographie officielle et autorisée, Sketches of Hackett écrite par Alan Hewitt. Le 15 mars 2010, Genesis est intronisé au Rock’n’roll Hall of Fame et Hackett fait une rare sortie publique aux côtés de Collins, Banks et Rutherford. Il voulait bien tenter une réunion avec ses anciens camarades en 2007 en jouant la musique de la première mouture (1971-1977) mais l’ex-chanteur, co-fondateur et principal parolier Peter Gabriel, qui avait pourtant été couronné de succès avec son aventure en solitaire avec des albums majeurs conne So (1986) et Us (1992) et la mise sur pied de son label Real World; 40 millions d’albums vendus durant sa carrière l’ont rendu perplexe à l’idée de retourner dans le passé. Gabriel avait des réserves. Réunion manquée.

Un homme et ses guitares
Avec un son éthéré, favorisant l’harmonie et la musicalité, le jeu de Steve Hackett n’est jamais dans la démonstration technique d’un Jimi Hendrix ou d’un Eddie Van Halen en somme. Son univers sonore est plus proche de la poésie, à la guitare classique, on lui prête une influence au flamenco.

On peut le constater sur son site (hackettsongs.co), le musicien possède une impressionnante panoplie de guitares. L’une de ses armes de prédilection : sa Gibson Les Paul Gold Top, un modèle sorti de l’usine à la fin de 1957 dont on entend la pleine sonorité sur Dancing With The Moonlit Knight et sur le solo de The Firth of Fifth. Sinon, sa Gibson Les Paul Custom modifiée, avec boutons de contrôle permettant une connexion à la guitare-synthé Rolland GR-700 pour les initiés. L’effet est immédiat : on perçoit les tonalités chaudes, qualifiées par Hackett à la fois de crémeuses et croustillantes ! Ce ne sont que les principales armes de combat du musicien, il a huit autres guitares électriques à sa disposition en plus de sept guitares acoustiques, incluant un banjo et une guitare sitar !
Sa Fender Stratocaster noire de 1970 est essentiellement utilisée sur son second disque solo, Please Don’t Touch sorti en 1978 et Wind and Wuthering avec Genesis.

Foxtrot at Fifty
Cette année marque le 50e anniversaire de la parution de l’album Foxtrot. Sorti le 6 octobre 1972, la pochette est l’œuvre de Paul Whitehead qui avait illustré les deux albums précédents. La femme-renard de la pochette inspirera Peter Gabriel qui portait une robe rouge appartenant à sa femme Jill durant de cette chanson coiffé d’un masque de renard.

Foxtrot est disque d’or en France et à l’opposé, n’atteint même pas le palmarès Billboard aux États-Unis !

Le 8 mars dernier, il confiait au vétéran journaliste Roy Abrams : Mon temps avec Genesis est terminé. J’essaie d’honorer la musique sans les conflits entre membres du groupe. Je suis très heureux que les trois autres aient poursuivi leur tournée The Last Domino. Il est même arrivé que nous jouions le même soir dans la même ville (il cite Manchester en exemple) !

En juillet 2020, il publie une autobiographie, A Genesis in my Bed. Son plus récent disque, Surrender of Silence (InsideOut Music), son troisième album (!) réalisé en moins d’un an est paru en 2021. On y remarque des clins d’oeils à Tchaïkovsky et Prokofiev. Tout baigne dans le meilleur des mondes pour Steve Hackett. Son intégrité musicale, ses choix artistiques et les sons qu’il tire de sa six cordes sont autant de raisons d’apprécier un musicien hors-norme, unique et exemplaire.

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