Un nouveau pont entre le studio et le salon


À l’origine, le «mastering» ou le matriçage devrait-on dire en français, était essentiellement l’acte d’enregistrer : le preneur de son déposait le burin sur un cylindre de cire ou un disque d’acétate et la performance ainsi capturée n’était plus modifiable. Avec la venue de l’enregistrement sur ruban et de la commercialisation sur un disque de vinyle, la gravure du disque maître devient une étape cruciale qui détermine la qualité du produit offert au consommateur.

Le matriçage est donc d’abord l’art de maîtriser le burin du tour à graver afin de creuser un sillon parfait, pour un maximum de réponse en fréquences et un minimum de bruit de fond. C’est aussi à cette étape qu’on décide de l’ordre final des plages ainsi que de la longueur des silences qui les séparent.

Un peu d’histoire
Jusqu’à la fin des années 60, les compagnies de disque s’occupent essentiellement elles-mêmes de la gravure de leurs titres en employant des techniciens qui travaillent généralement dans l’anonymat. Au Québec, deux géants se partagent la plus grosse part du marché : RCA où œuvre Lionel Parent, puis Michel Descombes et London, où l’on retrouve Paul-Emile Mongeau, puis Emile Lépine. Avec le temps, une nouvelle étape s’ajoute au processus : le pré-matriçage où la cohésion du disque est peaufinée par des ajustements finaux des niveaux sonores, de l’égalisation et de la gamme dynamique du mixage final.

Au début des années 70, on commence enfin à reconnaître la touche spéciale de ces artisans du son et des noms tels que Bob Ludwig, George Marino ou Bernie Grundman deviennent légendaires sous l’appellation «Mastering Engineer», à l’endos des pochettes d’innombrables albums phares anglo-saxons des années 70 et 80.

Puis l’ère numérique apporte son lot de déceptions. Après une première génération de disques compacts mal échantillonnés avec des convertisseurs qui ne possédaient pas la qualité et le raffinement que l’on connaît présentement, on pousse les niveaux pour maximiser la résolution possible qui peut s’obtenir à partir de l’échantillonnage à 16 bits. On observe alors un changement dans les habitudes d’écoute. La musique est de plus en plus consommée dans des environnements bruyants : CD dans la voiture, Mp3 dans l’autobus… Alors on pousse de plus en plus la compression et la limitation du signal, au point où la dynamique devient une denrée rare dans la musique commercialisée de nos jours. Même que l’appellation «Remastérisé» sur les enregistrements du passé engendre chez moi méfiance et suspicion. Cette guerre des niveaux n’est pas la responsabilité exclusive des Mastering Engineers. Bien souvent, ils ne font que répondre aux désirs de leurs clients, artistes ou compagnies de disques qui veulent que leur produit «sonne» aussi fort que celui du voisin, quand ce n’est pas le mixage qui arrive déjà surcompressé et écrêté à l’étape du pré-matriçage. Et malheureusement, l’accessibilité des outils de production audio numérique en amène plusieurs à tenter leur chance au pré-matriçage avec des résultats parfois approximatifs.

Le studio M1207-Le Lab
C’est cet état de choses qui amène Marc Thériault à vouloir apporter sa touche au monde du Mastering. Cet amoureux de musique, gradué de l’École Polytechnique en génie électrique avec spécialisation en audio et traitement de signal et qui a étudié la musique classique à l’Université de Las Vegas, œuvre depuis plus de vingt ans dans le monde de l’audio et, depuis 1996, fait partie de l’équipe de Céline Dion.

De retour de son séjour à Las Vegas, Marc estime qu’il y a des ponts à rétablir entre l’artiste en studio et l’audiophile dans son salon. Il croit que la vague Mp3 atteint son paroxysme et que le retour du vinyle et la venue des téléchargements à haute résolution démontrent un regain d’intérêt pour la haute-fidélité et que le matriçage peut et devrait être optimisé pour chaque support : du disque compact au vinyle, du fichier haute définition au Mp3. Peu importe le format, Marc est en quête de qualité et son appartenance à l’organisme Turn Me Up ! qui fait campagne pour le retour de la dynamique, montre bien qu’il désire offrir à sa clientèle l’option d’une approche plus audiophile.

Son choix d’équipements se veut aussi le reflet de sa minutie. Il insiste pour qu’on n’entre pas trop dans les détails de la quincaillerie, on a tous nos petits secrets… Mais que ce soit tant du côté analogique que numérique, sa chaîne audio est un assemblage méticuleux d’appareils d’exceptions lui fournissant une riche palette sonore. Dépendant de la couleur recherchée ou de la transparence désirée, il peut choisir entre ses convertisseurs Lavry Engineering, DAD, Prism Sound ou Apogee, ou entre une collection d’unités de traitement analogique de Manley Labs, de George Massenburg Labs, de Shadow Hills, de Millenia Media ou de D. W. Fearn. Il peut ensuite compléter son travail dans le domaine numérique et peaufiner avec des instruments de TC Electronics, Z-SYS et Weiss.

Mais ce qui distingue M1207-Le Lab, c’est la chaîne d’écoute. D’abord, la salle qu’occupe Marc Thériault n’est nulle autre que l’ancien studio de mixage de Cinar Films conçu au milieu des années 80 par l’acousticien de renommée mondiale Tom Hidley. Homme d’aucun compromis, il a réalisé avec son collaborateur, le concepteur d’enceintes Shozo Kinoshita, un de ses tous premiers designs « 20 Hz ». C’est-à-dire qu’il garantissait une réponse acoustique linéaire jusqu’à 20 Hz.

Marc a eu l’occasion d’écouter les moniteurs Kinoshita, enceintes deux voix avec pavillon de hautes fréquences en bois, mais son évaluation lui a dicté qu’il fallait trouver mieux. Ses recherches furent expéditives. Déjà propriétaire d’enceintes Focal à la maison, il décide de profiter du Salon Son & Image 2009 pour entendre les nouvelles Grande Utopia EM. Après une écoute, il téléphone immédiatement à ses deux partenaires, Denis Savage et Dominique Messier, respectivement sonorisateur/directeur de tournée et batteur de Céline et co-propriétaires des Studios Piccolo, pour leur annoncer qu’il a trouvé ! Il les a tellement aimées, qu’il recommande d’acheter la paire qui se détaille à près de 180 000 $. Oui, ce sont les Grandes Utopia EM, que certains d’entre vous ont eu l’occasion de découvrir au Salon l’année dernière, qui maintenant trônent fièrement dans un écrin à leur hauteur.

Une installation minutieuse
Avec l’aide de Simon Côté de la compagnie Plurison, distributeur de Focal au Canada, Marc a passé quelques semaines à finaliser l’installation des Grandes Utopia EM. Si vous regardez les photos du studio, vous constaterez qu’elles sont placées assez près des murs. On peut se le permettre dans ce studio ceinturé de Bass Trap de plus de 1 mètre de profond. Même qu’on ajoute deux amplificateurs audio Azur 840 de Cambridge pour alimenter les woofers à électro-aimant variable des Grande Utopia EM, laissant l’ampli YBA s’occuper des trois voix supérieures allant de 80 Hz à 40 kHz. Malgré toute cette puissance, l’absorption des basses fréquences est telle, qu’elle justifie l’emploi de deux Sub Utopia Be.

À l’écoute, on constate que c’est réussi. Les basses fréquences sont profondes, sans enflures linéaires. On a tellement l’habitude d’entendre des excès de basse colorée par des salles d’écoutes imparfaites, qu’on dirait presque qu’il en manque. Mais tout est là jusqu’à 20 Hz, comme le confirme un extrait de tambours japonais qui percute autant le plexus que les tympans. La contrebasse sur Temptation, interprétée par Diana Krall et son ensemble, est spectaculaire de réalisme et d’articulation. Si une note est plus forte qu’une autre, c’est que le bassiste l’a voulu ainsi, pas parce que l’enceinte et la pièce y ajoutent leur touche personnelle. Un extrait d’Erik Truffaz, tiré de Bending New Corners, exhibe un bas médium chargé, proéminent. Pas complètement désagréable, mais était-ce bien l’intention de l’artiste et de son ingénieur ? Ou bien une déficience du studio de matriçage de l’époque ?

Chaque nouvel extrait écouté confirme la précision des Grandes Utopia EM. L’équilibre spectral irréprochable et la cohérence de l’image sonore projetée permettent d’afficher le moindre détail, le moindre défaut, peu importe le niveau sonore. Bravo aux deux tweeters de 27 mm à dôme inversé en bérylium pur, qui tiennent tête sans fatigue ni compression, à quatre transducteurs de graves de 40 cm, dont deux électromagnétiques, deux bas médium de 27 cm et quatre médiums de 16,5 cm.

Pour terminer ma visite, un peu de vinyle sur la nouvelle Delphi Mk VI d’Oracle. Marc déballe le disque d’une artiste d’ici où les hautes fréquences sont douces, mais dont la voix est plutôt mince, décharnée et où l’image sonore reste bien sagement entre les deux enceintes. C’est un peu décevant. On compare avec la version sur disque compact et l’image s’ouvre, débordant de chaque côté des Grandess Utopia. La voix semble aussi plus enrobée, malgré des hautes fréquences plus agressives. Marc soupçonne que le disque compact et le vinyle ont été produits à partir du même pré-matriçage et qu’il aurait été possible d’optimiser celui-ci pour améliorer la version vinyle. En tout cas, la platine du tourne-disque Delphi Mk VI s’avère un outil précis et sans merci pour l’évaluation de la qualité d’un pressage. Si ce n’est pas dans le sillon…

Un environnement impressionnant
Depuis ma visite, Marc a testé la platine et a mesuré une réponse linéaire de 30 Hz à 20 kHz, limite imposée par le disque de test de l’université McGill. Et ça monte beaucoup plus haut me confie-t-il après avoir écouté un pressage effectué à partir d’une de ses matrices échantillonnée à 96 kHz. Pressage qu’il veut d’ailleurs revoir avec le responsable de la gravure car la Delphi lui permet d’affirmer que celui-ci a un peu trop rogné les hautes fréquences… Il a aussi ajouté quelques nouveaux vinyles à sa collection plus aptes à démontrer les possibilités du format ainsi que la virtuosité et la musicalité de la Delphi Mk VI. Il mentionne le tout dernier de Charlotte Gainsbourg que je dois absolument écouter selon lui. Et bien voilà une occasion d’approfondir le sujet dans un nouvel article, sinon une occasion de se rincer l’oreille dans ce qui est certainement une des meilleures salles d’écoute en Amérique du Nord.

M1207-Le Lab, c’est bien plus qu’une collection d’équipements hors pairs, c’est un environnement exceptionnel où l’excellence de l’électronique se marie à l’excellence de l’acoustique. Chaque manipulation de l’information sonore, de la plus subtile touche d’égalisation à l’application brutale de compression, pourra être analysée, évaluée et validée en toute confiance.

C’est un environnement où Marc accueillera aisément des méga productions (il vient justement de terminer le matriçage de l’album de la tournée Taking Chances de Céline Dion), et où il veut aussi accueillir des artistes indépendants qui aimeraient être maîtres de leur production. L’évolution récente de l’industrie du disque fait en sorte que l’autoproduction réalisée dans des locaux non conçus pour l’enregistrement et le mixage sonore deviendra sans doute de plus en plus commune. C’est là qu’un outil comme le studio M1207-Le Lab entre les mains d’un ingénieur comme Marc Thériault devient encore plus essentiel pour donner un lustre professionnel à une œuvre musicale, peu importe le format de distribution auquel elle est destinée. Ainsi, en plus d’être un nouveau pont entre le studio et le salon, M1207-Le Lab deviendra, espérons-le, une nouvelle passerelle entre le salon du musicien et celui de son public.

http://www.lelabmastering.com/en/studio
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