Pure élegance


Emilie-Claire Barlow, cest huit albums, un talent immense, une classe innée ainsi qu’une voix magnifique. Rencontre avec une jazzwoman qui charme tout le monde, mais vraiment tout le monde sur son passage. Au lendemain de son spectacle donné au Festival international de Jazz de Montréal, où elle a séduit les spectateurs du Théâtre Maisonneuve par son élégance naturelle et sa voix si émouvante, Emilie-Claire Barlow se pointe, souriante et lumineuse, chez Multi Électronique, boutique spécialisée en audio et vidéo haut de gamme. Dans l’antre du chic et chaleureux commerce situé à Belœil règne une ambiance joyeuse qui, dès qu’ECB fait son entrée, n’en est que bonifiée.

En robe noire et talons assortis, ultra classe comme d’habitude, l’artiste pose pour notre photographe, parle de The Beat Goes On, son tout dernier disque, raconte son spectacle de la vieille et se raconte aussi. Scène, studio, arrangements, enregistrement … tous ces élé- ments n’ont aucun secret pour la jeune femme. « Il y a même des gens qui m’ont dit qu’ils utilisent The Beat Goes On comme exemple dans leur boutique lorsqu’ils vendent des systèmes de son ! Pour moi, c’est vraiment un immense compliment, s’exclame-t-elle. Je crois effectivement que l’album a une sonorité immaculée. Quand on travaille avec un groupe de musiciens élargi, c’est un défi. Mais selon moi, chaque instrument a, et est à sa place sur ce disque. »

Pour ce huitième opus en carrière, extrêmement bien accueilli tant par la critique que par le public, la jazzwoman torontoise a travaillé avec son mari, Daniel LeBlanc, qui avait entre autre enregistré et mixé ses albums précédents. Sur The Beat Goes On, LeBlanc agit à titre de coproducteur pour la toute première fois, même si ECB confie qu’en quelque sorte son amoureux tenait déjà ce rôle par le passé. « Cette fois, on a rendu notre union professionnelle officielle », confie-t-elle en riant.

Après nous avoir fait voyager en 1930 et 1940, le temps de quelques années et de plusieurs disques, Emilie-Claire Barlow a plongé dans l’ère des sixties, période musicalement riche et diversifiée s’il en est une. Sur The Beat Goes On, la jeune femme gravite quelque part entre jazz et pop en compagnie de son excellent groupe de musiciens : la saxophoniste Kelly Jefferson, le guitariste Reg Schwager, le batteur Davide DiRenzo et le bassiste Ross MacIntyre, sans oublier les nombreux invités de marque : le flûtiste Bill McBirnie, l’accordéo- niste Tom Sczesniak… « Nous voulions mettre ma voix de l’avant pour qu’elle frappe d’emblée l’auditeur, et qu’ensuite seulement celui-ci puisse ressentir la présence du band qui m’entoure. Daniel a travaillé très fort pour réussir à capter ce sentiment et je pense qu’il a vraiment bien réussi son coup ! », observe ECB.

Puisque la chanteuse a notamment revisité pour ce projet le Don’t Think Twice It’s Alright de Dylan ou « la chanson des bottes », alias These Boots Are Made For Walkin’ popularisée par Nancy Sinatra, l’idée d’avoir recours à un son vieillot a certes traversé l’esprit de son mari, et le sien également. Mais au final, le couple a opté pour un timbre pur et moderne. « Même si le répertoire est très différent de ce à quoi j’avais habitué mon public, je voulais que les gens retrouvent le même environnement sonore que sur mes disques précédents », explique-t-elle.

Retour sur le passé…
Ceux qui la connaissent le savent, et ceux qui ne la connaissent pas le devinent, Emilie-Claire Barlow est née dans la musique, y a toujours vécu et compte bien ne jamais en sortir. Sa mère, Judy Barlow, est chanteuse. Son père, Brian Barlow, qui s’est aussi produit sous le nom de Brian Leonard est batteur de jazz. « Quand j’étais petite, en famille, on chantait tout le temps », se souvient-elle. Lorsqu’elle a « 10 ou 11 ans », sa maman l’emmène voir Ella Fitzgerald, au Imperial Room de Toronto. Cet événement marque un tournant pour la jeune fille qu’elle est alors. « Ella Fitzgerald était âgée. Elle avait presque complètement perdu la vue, et avait besoin d’aide pour monter sur scène. Je me rappelle avoir pensé : ‘Oh, comme elle est frêle !’ Puis, elle s’est mise à chanter et sa voix n’était que pure puissance. Elle avait une force telle, qu’on en oubliait instantanément l’immense fragilité qu’elle avait laissé entrevoir à peine quelques secondes auparavant. »

On imagine soudain ECB dans la cour d’école, pesant sur Play pour faire jouer du jazz dans son baladeur, au milieu de gamins se plongeant plutôt dans des hits hard rock ou métal. C’est un peu vrai, cette image ? « Ah non ! En fait, quand j’étais plus jeune, j’écoutais quasi exclusivement de la pop, rectifie-t-elle en souriant. Tout a changé au secondaire : j’ai commencé à m’intéresser à des artistes comme Holly Cole.

Mes amis et moi avons accroché sur Girl Talk et Don’t Smoke In Bed. Elle faisait quelque chose que personne ne faisait à l’époque. Avec son trio, formé aussi d’Aaron Davis et de David Piltch, elle composait des arrangements excitants et intéressants. Et ça, ça me plaisait énormément. » C’est d’ailleurs à ce moment-là que la fascination qu’ECB nourrit pour les arrangements est née. « Quand on commence, on copie le travail de ceux qu’on aime, on essaye de l’émuler. Comme beaucoup d’artistes, j’ai essayé d’imiter ce que Holly Cole et Ella Fitzgerald faisaient.

Jessayais de comprendre aussi comment elles le faisaient, et ça m’a pris un certain temps avant que je ne puisse trouver ma propre approche, ma propre voix. Je dirais que ça fait seulement depuis deux disques que j’ai réellement réussi à cerner et à m’approprier un son qui soit entièrement le mien. »

Évolution constante
Même si elle confie qu’il lui est difficile de disséquer sa propre œuvre (« C’est en entrevue que je m’analyse, car sinon je ne me pose pas toutes ces questions ! »), ECB revient sur son travail d’un œil lucide. « Si je regarde mon cheminement en tant qu’artiste, chanteuse, arrangeuse et musicienne, en partant de Like a Lover (2005) pour me rendre à The Beat Goes On (2010), je vois l’évolution. Je vois comme j’ai grandi. » Elle fait toutefois remarquer que ce n’est pas seulement elle qui grandit ; ce sont ses chansons aussi. À chaque fois qu’elle les interprète, en live, elles changent. Parfois même inconsciemment. « Lorsque je réécoute par exemple Sunshine Superman sur le disque, je réalise à quel point ma version a évolué. Lorsqu’on interprète les pièces sur la route avec mon groupe, on les amène à chaque fois dans des endroits complètement diffé- rents. »

Elle insiste aussi sur le fait qu’il lui reste encore des choses à apprendre. Il n’en demeure pas moins qu’elle dit avoir pris beaucoup d’assu- rance ces dernières années, une transformation qu’elle met sur le compte de l’âge et surtout sur celui de l’expérience. « J’ai appris à laisser les choses aller ; à let it be ! » Let it be, parce qu’auparavant, les improvisations, les petits dérapages, les changements soudains de tempo durant un spectacle, ça l’inquiétait un peu. « Aujourd’hui, je suis capable de profiter de ces moments, de m’amuser. Je suis plus encline à suivre le mouvement ; j’ai une meilleure écoute, je suis plus flexible. Ça vient aussi de la confiance totale que j’ai en mes musiciens. »

Expressive sans l’être trop, passionnée sans pour autant verser dans les débordements émotifs, ECB traduit sur scène chaque mot, chaque note, par un geste ou un regard approprié. Un talent qui va de pair avec sa passion pour la comédie musicale, un art qu’elle a pratiqué adolescente et qui, encore aujourd’hui, l’attire beaucoup. « Qui sait, peut-être qu’un jour je vais tenir l’affiche dans une pièce ? J’arrêterai les tournées et je ferai huit spectacles par semaine ! », rigole-t-elle.

Par amour
La personnalité vibrante d’Emilie-Claire Barlow ressort lorsqu’elle interprète par exemple The Very Thought of You, composition qu’elle qualifie d’« une des chansons les plus romantiques qui aient jamais été écrites » et qui lui rappelle – et qui incidemment nous le rappelle aussi, ce sentiment qui s’empare de tout être humain lorsqu’il tombe amoureux. « Vous savez, quand on n’a pas besoin de manger, pas besoin de dormir et qu’on se sent simplement flotter ? Eh bien à chaque fois que je chante ce morceau, je me sens comme ça ; comme si je revivais mon tout premier kick ! »

Elle se fait également passionnée lorsqu’elle revisite Comme je crie… comme je chante. « La première fois que j’ai entendu cette pièce, je nétais pas entièrement sûre de ce qu’elle signifiait, mais l’interprétation de Pauline Julien était si puissante qu’elle m’a renversée. Puis, j’ai analysé les paroles et je suis devenue complètement accro. » Eh oui, c’est qu’elle est francophile Emilie-Claire Barlow ! Une qualité transmise par sa mère, tellement fan de tout ce qui est musique, langue et cuisine française, qu’elle a choisi pour sa fille un prénom drôlement atypique pour une anglophone. « Ma mère m’a transmis son amour et je crois que les Québécois sentent à quel point j’aime et j’admire leur culture, observe Emilie-Claire. Le public d’ici fait preuve d’une chaleur que je ne ressens nulle part ailleurs. »

Alors le disque all in french, c’est pour bientôt ? « Eh bien, j’y songe depuis un moment, avoue-t-elle. Je suis en train de travailler sur mon français pour qu’il soit vraiment au point au moment d’enregistrer. Mais oui, oui, j’y pense très sérieusement. »

C’est drôle n’est-ce pas, mais soudain, on se surprend à avoir hâte d’entendre le résultat. Déjà…

The Beat Goes On, disponible en magasin sur étiquette Empress.

http://emilieclairebarlow.com/