<!--:fr-->Nouvel album vinyle : Tomorrow’s Modern Boxes de Thom Yorke<!--:-->

Par Jean-François Rancourt

Quelques temps après l’annonce que le groupe britannique Radiohead entrait en studio, leur chanteur (et un des principaux compositeurs) Thom Yorke lançait, de manière tout à fait inattendue, son deuxième album solo, Tomorrow’s Modern Boxes. Faisant suite à The Eraser, paru en 2006, cette compilation de huit chansons électroniques fut rendue accessible pour la modique somme de 6$ via la plateforme de téléchargements BitTorrent. Une version vinyle, dont le prix s’élève à 50$, peut également être commandée. Que penser de ce nouvel album et de sa stratégie de mise en marché? Efficace, ou pas?

Il est de ces artistes qui révolutionnent leur art de plusieurs façons. Si Dali a fait fondre ses horloges, Thom Yorke a de toute évidence contribué à la restructuration de notre idéal de la musique alternative. Étant l’un des principaux cerveaux du légendaire groupe Radiohead, il a tout d’abord été l’un des architectes d’une nouvelle approche musicale où rock alternatif et musique électronique d’ambiance se mélangent et se marient; pensons ici aux mémorables albums OK Computer (1997), Kid A (2000) et Amnesiac (2001). De plus, Thom Yorke s’est attardé à redéfinir l’industrie de la musique et son fonctionnement, avec pour objectif de ramener une partie du contrôle du commerce à ceux qui en sont les créateurs. Ainsi, l’album In Rainbows (2007) de Radiohead fut distribué de façon indépendante sur une plateforme de téléchargement gratuit, avec possibilité de contribution volontaire. Qu’en est-il aujourd’hui, avec la parution surprise de Tomorrow’s Modern Boxes? Thom Yorke poursuit-il sa lancée doublement révolutionnaire, ou s’est-il plutôt rangé du côté des industries institutionnelles de la musique?

De deux révolutions auxquelles Yorke a participé, la première est musicale. Peut-on attribuer à Tomorrow’s Modern Boxes le statut d’album musicalement révolutionnaire? Il apparaît que malgré de grandes qualités, on est loin d’un produit qui va transformer notre conception de la musique alternative contemporaine. Puisant dans une ambiance électronique à la fois minimaliste et riche, on sent une certaine continuité avec The Eraser, de même qu’avec AMOK, album lancé avec son super-groupe Atoms for Peace en 2013. Le même univers sombre et mélancolique s’y retrouve effectivement, un genre de Radiohead dénudé de son attirail rock, où la douceur de la voie plutôt aigue du vocaliste se voit bercée par une instrumentation numérique et troublée par des rythmes où s’enchaînent accumulations de couches sonores et contretemps.

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Ainsi, rien de neuf sous le soleil; musicalement parlant, Tomorrow’s Modern Boxes ne nous aveuglera pas par l’éclat de son originalité. Cela ne sous-entend néanmoins d’aucune façon qu’il s’agit d’un album ennuyeux ou monotone; au contraire, l’ensemble des pièces est bien ficelé et la production, comme toujours, à couper le souffle. On dénote toutefois la présence de certains passages un peu longs, où les ambiances électroniques psychotiques semblent nous tenir loin des mots et de la voix de Yorke. Pensons notamment à la pièce There Is No Ice (For My Drink), longue progression musicale de 7 minutes où se cumulent de façon quasi-linéaire plusieurs couches mélodiques et rythmiques. On sent ici un besoin de s’éloigner des sentiers préalablement battus par l’artiste, une envie d’expérimentation personnelle qui expliquerait l’omniprésence, voire la sacralisation, de l’électronique. Ainsi, de manière générale, l’album ne réussit pas à se créer sa propre niche dans la discographie de Thom Yorke, puisant abondamment dans ses précédents travaux personnels et s’illustrant comme la suite logique de ceux-ci.

yorke_portraitEt qu’en est-il de la deuxième révolution, la commerciale? Il s’avère que la distribution par BitTorrent, à petit prix, fut une combinaison gagnante : en un peu plus d’une semaine, 1,8 millions de téléchargements étaient comptabilisés, Yorke touchant directement 90% des profits. Se plaçant parmi les meilleurs vendeurs de l’année, la formule, qui se voulait être un essai, s’est avérée plus que gagnante. Qu’en sera-t-il du prochain Radiohead? Sera-t-il distribué de la même manière? Cela reste à voir.

Si Tomorrow’s Modern Boxes ne révolutionne pas les styles musicaux explorés par Thom Yorke, se plaçant sur un axe de continuité suite à ses précédentes œuvres ‘’hors-Radiohead’’, le lancement de l’album s’est tout de même avéré être un coup de force. En plus d’ouvrir la voie à une nouvelle méthode de distribution qui pourrait s’avérer très lucrative pour les artistes, Yorke, en nous offrant ce deuxième album solo, nous permet de patienter un peu plus d’ici le lancement du prochain Radiohead, dont la date est toujours inconnue.

Ma note : 7,5/10