<!--:fr-->Nouvel album vinyle : Jean Leloup – À Paradis City (2015)<!--:-->

Par Jean-François Rancourt

« Le loup mourra dans sa peau », dit le proverbe. Il pourra se faire cowboy, devenir Grand Chef Indien, dorer mille facettes de sa personne et adopter mille identités, il finira toujours loup. Il écrira des romans, voyagera aux quatre coins du globe, voudra acheter une montagne pour y loger de grands singes, il rentrera quand même à la maison. Il tentera de se lancer dans l’importation du cacao, de faire le tour du monde en bateau, de devenir fermier ou journaliste, nous finirons toujours par le retrouver dans sa tanière, confortablement blotti dans cet espace connu mais inquiétant, acceptant la fatalité qui le ramène à ses racines, à ce qu’il est de mieux, guitare à la main et cigarette au bec. Comment comprendre cet obligé retour aux sources, de quelle manière expliquer que Jean Leloup soit aujourd’hui encore, plus que jamais, Jean Leloup? D’où vient À Paradis City, son premier album solo en six ans?

Nul besoin de scruter l’horizon pour trouver réponse, Leloup lui-même nous la livre : « Paradis City, c’est la place que tu rêves d’aller, où qu’ça va être tellement hot, pis qu’c’est tellement wow! Pis, tu rêves de ça, tu fais toute pour ça, pis quand t’arrives, tu pleures parce que c’pas ça. Ça s’peut pas, c’est l’chemin qui est important, c’est pas l’endroit où tu vas » (1). Il semble que maintes routes furent parcourues, que maintes destinations furent atteintes, et que le poète y ait absorbé toute l’essence de la fatalité de Paradis City, non-lieu où les rêveurs convergent tels ces gris papillons de nuit qui s’assomment sur la première ampoule.

Jean_vinyleMusicalement, ça dit quoi? Leloup saura vous faire plaisir, ayant enfilé ses vieilles pantoufles de rockeur; des titres comme Willie, À Paradis City et Voyageur ne sont pas sans rappeler les jeunes années du chanteur, par un habile mélange de rythmiques entraînantes, de guitares électriques un peu sales et de superpositions vocales typiques à ce p’tit gars de Québec.

D’ailleurs, ce nouvel opus a été composé « à l’ancienne » : si les chansons de Mille Excuses Milady étaient formées de l’addition de plusieurs blocs musicaux, créant des morceaux aux structures parfois complexes et erratiques, À Paradis City est aux antipodes, se voulant en effet être un album « de guitare ». Les structures musicales qu’on y retrouve sont donc plus simples et accessibles, permettant à quiconque de gratter et de chanter les mots du poète. À ce sujet, Leloup ne fait pas les choses à moitié : désireux d’offrir des pièces reproductibles et plus qu’intéressé par l’idée que ses chansons peuvent, voire doivent, être reprises, il nous offre, dans le livret de paroles, les partitions de chacune des chansons. Un cadeau que les musiciens sauront apprécier.

La générosité dont fait part Leloup sur À Paradis City s’illustre bien au-delà de la musique, s’immisçant également dans les textes, dont les thématiques ne laissent pas place au doute quant à l’identité de leur auteur : la mort, l’amour (ou son absence), la résilience, le voyage… Sur ce point, Leloup ne change que très peu, ses vieux démons semblant rejaillir en puissance. On dénote néanmoins une évolution lyrique, notamment par la maturité dont fait preuve le poète, qui s’explique peut-être partiellement par la durée du processus d’écriture (il s’agirait d’un ramassis de bouts de textes écrits au cours des dix dernières années).

« Je suis allé trop loin, retour à la maison. Seul, si seul, j’ai froid, j’ai peur, comme j’ai mal passent les heures. Accepter ou devenir fou, casser tout, mais j’ai tant fait de mal… ».

Ayant publiquement exposé sa bipolarité, nul tabou ne subsiste sous la plume du musicien; en fait, si la cachotterie n’a jamais fait partie son œuvre, disons qu’aujourd’hui, la brume de mystère entourant certains de ses vers semble s’être dissipée, laissant place à une transparence lyrique flagrante. L’écoute d’À Paradis City nous laisse d’ailleurs une forte impression de rétrospective; « Je ne me rappelle plus quand ni depuis combien de temps j’erre au gré des éléments. Je ne me rappelle plus quand ni depuis combien de temps je suis une feuille au vent ». Comme si Leloup jetait un nouveau regard sur lui-même, comme s’il prenait plus profondément conscience de la réalité qui lui est propre.

Au final, il est difficile de pointer les défauts de cet album, qui fait preuve d’une ingéniosité lyrique doublée d’un dynamisme musical plus qu’intéressants; peut-être sa plus grande lacune se trouve-t-elle dans la durée car, on ne se le cachera pas, trente minutes de Leloup ne seront jamais assez.

Ma note : 8,8/10

Entrevue accordée au Huffington Post Québec, 01/02/2015, en ligne : http://quebec.huffingtonpost.ca/2015/02/01/a-paradis-city-jean-leloup-entrevue-video_n_6579760.html