Neuf jours, neuf vies

Le grande fête de la musique francophone reprend
ses droits au centre-ville de Montréal. À vos marques !

La 33e édition des Francos de Montréal repart en neuf aujourd’hui avec une offre mirobolante de concerts payants et gratuits. La claque espérée, la remise en service du vaisseau amiral avec le vent en poupe. Nous sommes en présence ici, Laurent Saulnier et son équipe de fureteurs musicaux en tête, de rebelles musicaux qui refusent de s’assagir. C’est un peu ça les Francos: l’opulence programmée avec la capacité de rajeunir.

Une édition dédiée au chanteur et compositeur Karim Ouellet qui a grandi avec le festival et qui a indéniablement laissé son empreinte sur les éditions précédentes. Il nous a quittés plus tôt cette année à l’âge de 37 ans.

Un grand spectacle en son hommage dûment intitulé : Bye Bye Karim. La Veillée des amis.es est d’ailleurs prévu le dimanche 12 juillet à 21 h. Ses amis musiciens de Québec où il a grandi lui rendront hommage en interprétant ses chansons, tout comme sa soeur Sarahmée, dont la carrière de chanteuse rap prend son envol (son spectacle sur la grande scène l’année dernière est l’un des faits saillants de l’édition COVID) qui, avec sa famille, ont donné leur aval au coup de chapeau. Ce ne sera pas une triste soirée, mais plutôt une étreinte de notes et de refrains guérissants pour la marée humaine venue à sa rencontre.

Ça va être exactement ce que le titre du spectacle annonce, nous confie Saulnier en entrevue, une veillée entre amis. Parce qu’au moment où Karim est décédé en janvier dernier, il n’y a pas eu de veillée avec ses amis, ou une sorte de recueillement. On était tous en confinement. Si t’es pas ami avec Karim, tu ne peux pas être sur ce show-là. Sarahmée veut amener cette intimité-là devant public.

Ariane Moffatt, Klô Pelgag, Valaire, Hubert Lenoir, Alaclair ensemble, Claude Bégin, Fanny Bloom et La Bronze veilleront avec nous pour que sa musique, son plus grand succès, L’amour en tête, reste dans la grande constellation où les comètes ne font que passer. On a décidé de lui dédier cette 33e édition. C’est l’un des rares chanteurs ou chanteuses qui prenait la liberté de me texter à toute heure du jour ou de la soirée pour me demander ce que je faisais, ce qu’il y avait à voir côté spectacle.

Rapsodie
La musique rap a tellement pris d’importance chez nous et ailleurs depuis vingt ans qu’elle tient le haut du pavé des 250 concerts et plus offerts aux festivaliers. La fille d’Hochelaga, Calamine, qui a remporté le Prix Félix-Leclerc de la chanson l’année dernière, sera du nombre des artistes invités dans la série Les soirées urbaines à 20 h. Ses prédécesseurs aussi : Les Louanges, Hubert Lenoir, Salomé Leclerc, avec leurs univers distincts, repassent sur les lieux de leur victoire avec des nouveaux projets à faire partager.

Ça doit faire au moins quinze ans qu’on a une scène dédiée au rap francophone. Quand on a présenté en 2016 le spectacle de Loud Lary Ajust, Alaclair ensemble, Dead Obies et Brown, ça a marqué les esprits. On fait ça depuis longtemps ! Cette année, c’est la première fois qu’on présente trois shows de rap sur la grande scène (sur la Place des festivals). Et c’est la première fois, qu’il y a une contamination (de rap et non de COVID !) partout dans notre programmation. Il y en a même à Wilfrid-Pelletier.

En effet, c’est le gros coup de 2022 : Mc Solaar, Claude M’Barali à la ville, expatrié sénégalais et citoyen français, celui qu’on n’attendait plus après le hiatus légal de 20 ans sur les chansons de ses brillants albums de rap riches en poésie, Qui sème le vent récolte le tempo, Prose Combat et Paradisiaque, tous à leur manière et dans leur continuité des albums majeurs toutes allégeances musicales confondues, reprend la route avec ses mélodies stylisées sur lesquelles viennent se greffer des textes intelligents.

Qui ne connaît pas Bouge de là, Victime de la mode, Caroline, Nouveau Western ?

Avec un groupe de trente musiciens, cordes et cuivres, concept éprouvé depuis quelques mois déjà, la rutilante machine de rap symphonique risque de provoquer une agglomération de bonheur dans nos caboches. Et le doux homme de 54 ans semble radieux dans son rôle de parolier du rythme à la reconquête des fans de la première heure et de leurs héritiers !

Koriass, (le 10 juin) il n’a pas encore joué ses nouvelles chansons devant un public, c’est donc une première. Il va y avoir plein d’invités. C’est en même temps symbolique pour nous puisqu’il est le dernier artiste à avoir joué sur cette même scène en 2019 avant la pandémie. Souldia, lui succède le lendemain, pouvant se targuer d’avoir rempli un MTelus de plus de 2 000 âmes consentantes sans trop forcer, il y a quelques semaines. À l’instar de Koriass, il est l’un de ces artistes rap québécois qui attire de plus en plus de monde.

On pourrait tous les nommer, de Connaisseur Ticaso, qui a grandi à St-Léonard et Montréal-nord qui ouvre la scène rap à 23 h à Marie Gold, en passant par le français Youv Dee, n’en demeure pas moins que l’un des musts des aficionados cette année est 20Some, le 18 juin; l’ex-Dead Obies, défunt collectif de Montréal possède un flow d’enfer avec son rap décliné dans un franglais de haute tenue, Saulnier opine sans hésiter du bonnet.

Avec toute cette folle jeunesse en rap, il fait le constat suivant : un gars comme Koriass (Emmanuel Dubois, 38 ans) est considéré comme un vétéran pour tous ces nouveaux venus.

Générations X, Y, Z
Les Francos de Montréal dans son rôle d’incubateur, de propulseur et de générateur de nouveaux talents, c’est essentiellement le legs de Saulnier, le cœur et l’âme de la bringue annuelle et surtout V-P Production et programmation qui clôt un immense chapitre de sa vie puisqu’il quittera ses fonctions le 15 septembre prochain après 23 ans de défrichage impénitent, de spectacles audacieux et d’inclusions sous toutes ses formes. Oui, les Francos de Montréal ont connu le virage jeunesse escompté lors de sa nomination et ce, même si deux octogénaires fabuleux, Jacques Michel et Edith Butler figurent sur la grille ! Et des nouveaux quinquas, des quarantenaires affranchis, des Corneille en mode soul, des Louis-Jean Cormier, le ciel au plancher et un septuagénaire qui n’en est pas un, Michel Rivard qui présente les deux derniers spectacles de l’Origine de mes espèces, déjà auréolé de quelques prix Félix.

Faut pas faire l’autruche, ça foisonne de partout chez nos jeunes artistes, allumés et audacieux, les nouveaux visages d’ici, d’Europe et de toute la Francophonie. D’autres, comme Laurence-Anne ou Lou-Adriane Cassidy poursuivent leur évolution, publient des disques, prennent de l’assurance sur scène. Les Francos, c’est tout ce microcosme de talent. Et les gagnants des concours de la relève comme les Francouvertes font partie des vases communicants de cette industrie. Rau Ze, Valence et Étienne Coppée sont présents.

Pour nous autres c’est une façon d’assurer une continuité. Si on n’avait pas endossé Ariane Moffat il y a 20 ans (lors de son spectacle présenté à 18 h, la seule case horaire restante) pas sûr qu’on aurait fait ce beau trajet-là avec elle. Je prends le parti de la jeunesse. Listen to the kids, bro ! nous lance t-il spontanément. Je trouve ça plus important de donner des premières que des sixièmes chances, mettons. Mais en contrepartie, on a jamais eu autant de vieux sur nos scènes extérieures qui vont peut-être faire l’objet de découvertes chez les plus jeunes.

Luc de Larochellière, qui joue ce soir sur le Parterre symphonique, cet espace gazonné jonché de quelques arbres, est un exemple patent. Pour l’occasion, il reprend l’intégrale de son album Sauvez mon âme, son joyau de 1990 sur lequel on goûte encore pleinement des chansons comme Ma génération et Si Fragile. Du plaisir rock sans dégoulinades ni lourdeurs.

Diane Tell (Si j’étais un homme, Gilberto, Souvent, Longtemps, Énormément) revient au Québec depuis sa France d’adoption après une longue tournée aux quatre coins du Québec le printemps dernier. Son tour de chant du 17 juin sera couru, n’ayez crainte !

En avant la chanson !
Clara Luciani est la chanteuse française que tout le monde veut voir. Après une première visite en vitrine de l’industrie, puis son triomphe au Métropolis (MTelus), la gagnante du Prix Victoire de la musique, catégorie ‘meilleure interprète féminine’ s’offre deux Métropolis au grand plaisir de ses fans. Si elle s’est inspirée d’Anna Karina et Serge Gainsbourg durant sa jeunesse passée en banlieue de Marseille, la comparaison avec Françoise Hardy tient aujourd’hui la route.

Son second disque, intitulé Cœur, est paru en 2021, recèle un gros tube, Le reste, dont le clip fait un malheur. Admiratrice du cinéaste Jacques Demy, elle s’inspire du film Les demoiselles de Rochefort avec son esthétique propre : les chemises pastels, les pantalons jaunes, les rues animées… Elle fréquente, pour les amateurs de potins, le chanteur du groupe écossais Franz Ferdinand, Alex Kapranos. Attention, c’est chaud !

Juliette Armanet, le 16 juin, revient aux Francos de Montréal le torse bombé. Sur la grande scène, elle nous balancera Le dernier jour du disco, tu me Play, et ses savants amalgames de chansons sur des échafaudages modernes. Et c’est gratuit !

Nicolas Gémus, le fils des îles-de-la-Madeleine, met tout son talent au service d’une chanson délicate et sensible, portée par une voix venue du ciel. Occasion d’apprécier les nouvelles chansons de son disque éponyme. Le 17 juin à 17 h.

Belle grande fille, le 18, toujours à 17 h sur la scène Les acoustiques, vaut le détour, son univers musical singulier vous enchantera. Alex Burger, pour sa part, repasse sur les sentiers du country de son brillant disque Sweet Montérégie avec finesse et passion. Marilyne Léonard est cette jeune sensation pop, électro-rap qui fait tourner les têtes. Son spectacle du 13 juin à 19 h fera l’objet d’une grande curiosité pour celle qui participa à La Voix à l’âge de 15 ans et qui, à 24 ans, connaît tous les rouages et trucs de la scène. On va bouger, c’est certain !

Voilà un bref aperçu de ce qui nous attend. Chaque journée aux Francos de Montréal est une vie à vivre, une odyssée musicale en kaléidoscope. Avec cette certitude : les noms inscrits en tout petit sur la programmation sont aussi importants que les artistes établis. On aimerait dire qu’on était là, la toute première fois. La grande qualité des Francos, c’est ça : découverte, découverte, découverte !

Que la fête commence !

https://www.francosmontreal.com/