Je viens d’apprendre, en lisant le Diapason de janvier, que le 23 novembre 2011, à Barcelone, sa ville natale, une grande voix s’est éteinte.

Selon le journal Libération, qui rapporte une de ses dernières entrevues, lors du festival polonais Misteria Paschalia, à Cracovie en 2010, elle redisait sa foi dans la musique comme creuset de l’humanité, porteuse de mémoire et de communion, capable de faire sentir, presque physiquement, à chacun de nous, le sens de l’Histoire humaine.

En 2008, elle et son mari sont nommés Artistes pour la paix par l’UNESCO et l’année suivante leur livre-disque Jérusalem, ville des deux paix, est salué par plusieurs prix.

Née à Barcelone le 15 mars 1942 dans une famille de mélomanes, Montserrat Figueras, femme, complice, amante et amie de Jordi Savail est décédée d’un cancer le 23 novembre 2011 à l’âge de 69 ans. C’est sa maison de disque Alia Vox, créée avec son mari, qui l’avait annoncé.

Ses parents, aisés et amoureux de la musique, lui font apprendre le violoncelle au conservatoire de Barcelone où elle rencontre un beau jeune homme, timide et solitaire, qui suit la classe juste avant la sienne. Jordi Savall et Monserrat Figueras tombent amoureux et deviennent complices pour la vie. Ils auront deux enfants, Arianna et Ferran, musiciens, chanteurs et leurs collaborateurs dans l’aventure musicale de leur vie.

En 1968, ils quittent l’Espagne de Franco pour la Suisse où Jordi Savall étudiera au Schola Cantorum Basiliensis, à Basel, de 1968 à 1970. En 1974 il succède à son professeur de viole de gambe et fonde, avec Montserrat, Hespèrion XX.

Tout au long de sa carrière, cette muse inspira et épaula son mari tout en s’investissant totalement dans l’aventure d’Hespèrion XX (1974) et XXI (2000), de La Capella Reial de Catalunya (1987), du Concert des Nations (1989) ainsi que de la création du label Alia Vox (1998). L’appui enthousiaste et fidèle des critiques et du public en ont fait un label d’exception constamment à la recherche de la qualité, tant au niveau de l’interprétation que de l’enregistrement. En décembre 2005, plus de 2 000 000 de disques avaient été vendus à travers le Monde. Alia Vox est distribué dans 45 pays.

La musique ancienne, qu’elle vienne d’Orient, du bassin méditerranéen, d’Europe Occidentale ou Orientale ou encore des Amériques, est vue par ces deux musiciens non pas comme un Art de différence entre les peuples mais de rassemblement et d’enrichissement réciproques. Leurs livres-disques autant que leurs disques réguliers ont en commun d’être supportés par des recherches musicologiques et historiques exhaustives qui mettent en perspective l’influence de la musique ancienne, orientale aussi bien qu’occidentale, sur la musique classique, romantique, moderne ou contemporaine.

Montserrat Figueras a reçu notamment le Grand Prix de la Nouvelle Académie du Disque et le Grand Prix de l’Académie Charles-Cros. En France elle avait été promue au titre de Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres en 2003.

Alia Vox a souligné qu’elle a surmonté avec courage les effets d’un cancer diagnostiqué un an auparavant en continuant à donner des concerts et à réaliser des enregistrements jusqu’au mois d’août dernier. Toujours selon Alia Vox, Montserrat Figueras a été une référence essentielle pour l’interprétation d’un vaste répertoire vocal des époques médiévale, renaissance et baroque et elle a abordé, avec eux et en tant que soliste, la récupération d’un patrimoine exceptionnel et éclectique, en se produisant régulièrement dans tous les principaux festivals du monde.

Interprète de nombreuses œuvres de Monteverdi, Peri, Fontei ou Strozzi, elle a aussi été récompensée pour son album « Dynastie Borgia » qui a reçu un « Grammy Award« .

Heureusement, comme les partitions anciennes et les chants traditionnels perdus au fond des tiroirs grinçants des musées, des bibliothèques et des mémoires, et retrouvées au cours de leurs patientes recherches, sa voix restera parmi nous, grâce au disque.

Montserrat Figueras et son mari auront contribués à faire de la musique ancienne traditionnelle et savante, une musique actuelle imprimée dans nos gènes et nos souvenirs collectifs. L’extrait qui suit, illustre bien ce propos…

Quand elle chante, la mère aide l’enfant pour qui, depuis sa naissance au monde extérieur, tout est nouveau et il peut en avoir peur. L’enfant reconnaît dans le chant la voix de sa mère, sa présence, son geste… et dans l’intimité de ce moment, se crée un espace de profonds symboles ancestraux où la musique et la parole sont un lien de pure émotion et d’authenticité. C’est ainsi que s’établit le premier dialogue, le premier conte, le premier enseignement d’une tradition, d’une culture et d’un art de vivre qui deviendront, avec le temps, une contribution essentielle à une mémoire collective.

Mais par-dessus tout, il existe chez celui qui chante – la mère, le père, les grands frères ou la grand-mère –, le souci de donner le meilleur de soi-même, rien d’autre qu’un acte d’amour qui, de cette manière, fait vivre à l’enfant l’essence de la vie.

Montserrat Figueras, Ninna Nanna, 2002

Quelques liens intéressants :

Entrevue avec Jordi Savall, quelques semaines après la disparition de Montserrat Figueras :
Le Figaro (France)

Label Alia Vox : http://www.alia-vox.com/