Speakers Corner,
180 g, Afon, 0660213

Pas facile de parler de ce disque, en raison de toutes les histoires et rumeurs entourant l’enregistrement de cette bande sonore. Au départ, Louis Malle, alors dans la vingtaine, en était à ses débuts comme réalisateur et voulait du jazz pour la bande sonore de son film. Il pensa à Miles Davis, un de ses favoris de l’époque.

Malle voulait pour ce film noir un genre à la mode dans les années 1950, une musique atmosphérique et sombre pour rendre son scénario encore plus poignant. Après des discussions avec Marcel Romano, ami et producteur, il décide de contacter Miles qui accepte sur-le-champ l’offre de mettre les images en musique.

Évidemment, une partie de la musique devait faire ressortir le jeu de l’actrice principale, Jeanne Moreau, une étoile montante. Une fois Miles arrivé à l’aéroport, où Malle l’attendait, les deux décident d’aller au studio pour un visionnement privé. Davis fut emballé et, peu de temps après, celui-ci fut rejoint par René Urtreger, pianiste doué, Pierre Michelot, l’excellent joueur de contrebasse, Kenny Clarke, à la batterie et le fabuleux saxophoniste ténor, Barney Wallen. Sous la direction de Miles, tout ce beau monde se réunit au studio de Louis Malle pour mettre en boîte la musique.

En tout, la session dura trois heures. En prime, l’ensemble fut totalement improvisé, et Miles fit remarquer à Malle que Moreau marchait trop lentement dans le film et qu’il avait de la difficulté à trouver les bonnes notes, ce qui fit rigoler les autres musiciens. Le résultat final passera à l’histoire comme étant l’une des meilleures bandes sonores jazz de tous les temps à côté de Liaisons dangereuses, avec Art Blakey et Anatomie d’un meurtre, du grand Duke Ellington.

À sa sortie en 1957, le film aura un impact sur le nouveau cinéma français, et sur Miles aussi. C’était la naissance du jazz modal selon plusieurs critiques. L’album sera sur le marché peu de temps après la sortie du film, sur étiquette Fontana, avec Jeanne Moreau sur la pochette qui par la suite deviendra légendaire. À noter que les notes écrites sur le 33 tours sont de Boris Vian. L’album ne contiendra que dix pièces, pour un total de 70 minutes environ. Plusieurs récompenses seront attribuées au disque, dont le Grand Prix du Disque en 1958. Malle, quant à lui, se verra accordé le prix Louis – Delluc pour son film.

Sorti en Amérique sous le titre de Lift to the Scaffold, le film fera parler de lui à Hollywood et sera également bien reçu par la critique. Bravo à Speakers Corner pour avoir ressorti ce superbe enregistrement en version audiophile 180 grammes. Le son est clair et limpide, ce qui rend bien l’atmosphère du film. Pour pouvoir apprécier le tout, je vous conseille fortement de visionner le film. L’un ne va pas sans l’autre. Pour ma part, j’écoute ce disque depuis longtemps et, aujourd’hui encore, je ne peux faire autrement que lui donner un 9 pour le son et un 9 pour la musique, cette dernière étant totalement envoûtante et mystérieuse à souhait. Un autre petit chef-d’œuvre de Miles Davis pour votre collection. Sacré Miles !