Les « Classifications » de vins…

L’Histoire a le don d’éventuellement classer tout ce qu’elle découvre et qu’elle essaie d’expliquer.

Le vin ne fait surtout pas exception. On retrace, comme relaté dans un article précédent intitulé « Petite histoire du vin… », un vin de Bordeaux qui se démarque en s’appelant O’Brion à Londres dès 1650, contrairement à tous les vins de la même provenance que l’on nomme clairet, à cause de leur couleur très pâle. Ce qui vaudra plus tard au Château Haut-Brion de se classer parmi les Premiers Grands Crus du Médoc, étant réellement un Grand Cru de Graves, aujourd’hui Pessac-Léognan. Mais nous y reviendrons…

Dès 1716, le grand-duché de Toscane délimita les zones pour les vins importants, établissant ainsi un précédent pour la législation italienne moderne.

Mais il demeure que la première classification officielle s’est faite au début du Second Empire afin de marquer le retour de la France aux premiers rangs des puissances mondiales lors d’une exposition internationale organisée à Paris en 1855. La Chambre de Commerce de Bordeaux parrainait une Classification des meilleurs vins du Médoc, du Sauternais et de Barsac. On fit appel à l’Union des Courtiers de Commerce qui reçurent comme mandat de : «Bien vouloir nous transmettre la liste bien exacte et bien complète de tous les crus rouges classés du département … également … la classification relative aux grands vins blancs».

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La recommandation de ce comité se fonda exclusivement sur le prix demandé sur des dizaines d’années d’un Château donné. Aucune dégustation ne fut organisée. On attribua les plus hautes notes aux vins qui avaient le plus augmenté leur prix de vente depuis plus d’un siècle. Aussi simple que cela… On comprendra que cette classification de 1855 fut et est encore aujourd’hui mise-en-doute par plusieurs experts; mais il demeure que cette Classification de 1855 mène le prix des vins de Bordeaux depuis ce temps.

Les vins furent classés en importance du premier au cinquième cru. Tous les rouges venaient de la région du Médoc sauf le Château Haut-Brion produit dans les Graves. Les blancs furent limités à la variété liquoreuse des Sauternes et Barsac sur trois niveaux.

Publié le 18 avril 1855, ce classement a connu deux changements depuis sa création : le 16 septembre 1855, château Cantemerle a été ajouté comme cinquième cru et, en 1973, château Mouton Rothschild a obtenu de passer de deuxième à premier cru. D’ailleurs pour célébrer l’évènement, on décida d’orner l’étiquette du Mouton 1973 d’une toile de Picasso, décédé en avril de la même année.

Depuis, les vignobles ont changé de superficie, de propriétaire, d’encépagement sans que cela ne soit pris en compte. Ce classement regroupe 88 châteaux dont 61 rouges et 27 blancs.

Cette première classification servira d’ailleurs de base à la fondation de l’INAO, l’Institut National des Appellations d’Origine créé par décret en 1935 et qui aura pour fonction de définir les critères de qualité dans la production des produits français dont le vin. On reconnaîtra les Vins de Table, les vins AOC (d’Appellation d’Origine Contrôlée) qui seront suivis des Vins de Pays en 1968 reconnus aujourd’hui comme vins IGP (Indication Géographique Protégée) depuis la réforme européenne de l’organisation commune du marché viticole en 2009.

La Classification de 1855 fut le premier d’une longue série de Classements Nationaux, Régionaux et Communaux en France comme ailleurs en Europe et dans le monde entier. Celui des Graves créé en 1953 et révisé en 1959 pour devenir en 1989 la Classification des Pessac-Léognan. Les Saint-Émilion devront attendre 1955 pour être révisés à peu près tous les dix ans, la dernière datant de 2012 faisait suite à des imbroglios judiciaires palpitant suite à la dernière révision de 2006. Le propriétaire d’un Château coté, étant président de l’assemblée, s’octroyait une classification plus élevée pour une stricte raison de places de stationnement… Si ça vous intéresse je vous invite à lire Vino Business d’Isabelle Saporta publié chez Albin Michel; c’est tout simplement fascinant…

L’histoire de la classification des Crus Bourgeois du Médoc, pour faire un pendant à la Classification de 1855, est également un cas intéressant. Crée à la fin des années 70 et revue tous les dix ans, en 2000 on revoit le classement selon trois échelles : Cru Bourgeois, Cru Bourgeois Supérieur et Cru Bourgeois Exceptionnel. Le classement est établi par un jury de 18 professionnels reconnus sur la Place de Bordeaux qui doivent tenir compte de 7 critères : la nature du terroir, la nature de l’encépagement, les soins apportés à la culture, à la vinification, à la tenue et à la présentation générale de l’exploitation, aux conditions de mise en bouteille, à la constance dans la qualité du produit, à la notoriété du cru et aux qualités organoleptiques du vin. Le 17 juin 2003, un arrêté ministériel homologue enfin le premier classement officiel des Crus Bourgeois du Médoc qui consacre 247 châteaux sur 490 candidats.

Certains crus non classés dénoncent alors un manque d’équité. Le jury d’experts était composé de 18 professionnels dont le Président du Syndicat des Crus Bourgeois du Médoc de l’époque, lui-même propriétaire d’un Cru Bourgeois, conformément à l’organisation prévue par l’arrêté ministériel du 30 novembre 2000.

En 2007, la Cour Administrative d’Appel de Bordeaux prononce l’annulation de l’arrêté du 17 juin 2003 homologuant le classement des Crus Bourgeois du Médoc. Le critère retenu : « On ne peut être juge et partie ». Tant qu’il y aura de l’homme, il y aura de l’hommerie. À suivre…

De son côté, l’Italie se dotera d’un système de contrôle rigoureux qu’au milieu des années 1960; vient au monde les DOC (deminazione di origine controllata). Il existe à l’heure actuelle plus de 300 DOC toutes délimitées géographiquement. Les années 1980 amène la consécration des meilleurs vins avec la création des DOCG (denominazione di origine controlatta y garantita) qui regroupent aujourd’hui 22 zones délimitées.

L’ajout des IGT (indicazione geografica tipica) dans les années 90 donne enfin une reconnaissance à de nouveaux styles de vins qui ne se conforment pas aux critères des DOC et des DOCG. Certains pourront peut-être monter les échelons. Comme le fameux Sassicaia vendu comme Vino da Tavola en 1985 et ayant aujourd’hui son appellation DOC de Bolgheri.

Il faut se rappeler que ce qui prime avant tout c’est que l’on aime ce que l’on goûte, Grand Cru Classé, vin d’Appellation d’Origine Contrôlée ou pas.

Voici un exemple d’un cinquième Grand Cru Classé en 1855 disponible présentement à la SAQ et d’un excellent rapport qualité/prix. Profitez-en pour comparer les deux versions d’un même millésime : le grand vin 2010 et le vin des jeunes vignes du même millésime.

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Château Cantemerle représente une exception. Un simple Haut-Médoc, donc d’appellation régionale qui se retrouve classé en 1855 parmi ses pairs d’appellations communales, Pauillac, Saint-Estèphe, Saint-Julien et Margaux. Dès 1147, on retrouve les Seigneurs de Cantemerle qui font partie de la ligne de fortification défendant les rives du Médoc. Le sol de Cantemerle est silico-graveleux. Ces graves qui résultent de l’érosion ancienne des Pyrénées par la Garonne sont l’un des éléments capitaux d’un terroir de qualité. Ils constituent des sols pauvres, or il faut que la vigne souffre pour donner naissance à des raisins concentrés. D’autre part, ces terres faites de sable et constituées de galets sont très filtrantes et participent activement à la maturité des raisins car elles réfléchissent les rayons du soleil et conservent la nuit la chaleur accumulée durant le jour

Chateau_Cantemerle_haut_medoc_2010Château Cantemerle 2010 est issu de 52% Cabernet-sauvignon, 39% Merlot, 8% Cabernet franc et 5% de Petit Verdot provenant de vignes d’une moyenne de 30 ans d’âge. Égrappage total, fermentation de 6 à 8 jours, macération de 28 à 30 jours suivi d’un élevage de 12 mois en barriques dont 50% sont neuves.

Très léger collage et aucune filtration. 2010 est un grand millésime pour le terroir de Cantemerle. Le vin est complexe, concentré et très long; épices, tabac, cassis, pruneau mènent le bal en bouche avec la richesse d’un grand millésime.
SAQ #11571562 @ 50$

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allees_de_cantemerleLes Allées de Cantemerle, est le deuxième vin du Château Cantemerle issu principalement des fruits des jeunes vignes de la propriété, vinifié et élevé comme son ainé, il en possède l’authenticité et la personnalité mais s’en différencie par son cycle de vieillissement. Sa maturité venant plus vite, il est prêt à être apprécié dès ses premières années. L’assemblage est de 87 % Cabernet-sauvignon et de 13 % de Merlot, il a subi un élevage de 12 mois en barriques de chêne français dont 20 % sont neuves. Arômes de fruits noirs, cassis et mûres agrémentés de vanille apporté par le passage en barrique, le vin est équilibré, fin et élégant. SAQ #12478458 @ 31$

Guy_lenoir_2014Guy Lenoir
Sommelier – conseil
guylenoir@outlook.com

 

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