C’est mon opinion… et je la partage

Les boutiques spécialisées et Internet:
une lutte à finir ?


Quel rôle et quel avenir ont encore les boutiques spécialisées dans un monde bouleversé par Internet et par la révolution numérique qui l’accompagne ?

Notre société subit une mutation profonde et accélérée. Facebook. MySpace. YouTube. Twitter. Google. LinkedIn. Amazon. iPhone. iPad. Nos besoins fondamentaux restent les mêmes à travers les âges, mais nos comportements de consommation se renouvellent sans cesse, au rythme où la société elle-même se transforme et à mesure que de nouvelles propositions nous sont faites. Les Canadiens font une part sans cesse grandissante de leurs achats sur le Web. Et à l’heure où de plus en plus de gens téléchargent leur musique préférée à partir de sites spécialisés, la migration vers Internet pour les achats d’équipements peut sembler naturelle.

Quelles habitudes les audiophiles et mélomanes sont-ils prêts à sacrifier, quels nouveaux comportements envisageons-nous d’adopter, dans ce monde où tout semble se jouer maintenant sur Internet ? Fréquenter les boutiques spécialisées a toujours fait partie de nos vies et de nos habitudes, chaque visite s’inscrivant dans une sorte de rituel devant nous conduire éventuellement au nirvana (audiophile) total. Sauf qu’une nouvelle vitrine s’offre maintenant à nous, cette vitrine s’appelle Internet et elle est d’autant plus tentante qu’elle se trouve dans le confort douillet de nos maisons. À l’heure où le monde entier s’offre à soi sur son écran d’ordinateur, magasiner son équipement audio-vidéo dans les boutiques est-il devenu un comportement archaïque ?

Il est effectivement possible, aujourd’hui, de trouver tout le nécessaire au montage d’une chaîne audio (ou d‘un ensemble de cinéma maison) sur le Web. Amplificateurs, enceintes, câblage, lecteurs numériques ou serveurs, DAC, tout s’y trouve. On ouvre un compte, on sélectionne le ou les produits qui nous intéressent, on donne son numéro de carte de crédit, on presse Order et voilà, le tour est joué, le matériel arrivera à sa porte quelques jours plus tard.

Mais pour celui (ou celle) qui aspire à monter une chaîne audio de qualité, est-ce réellement la meilleure façon de procéder ? Les économies réalisées sur Internet, si tant est qu’il y aurait effectivement des économies à faire, valent-elles que l’on passe sans s’arrêter devant la boutique spécialisée qui nous a bien servi pendant toutes ces années ?

Le mythe des prix plus bas
Évidemment, si notre principale motivation est de réaliser des économies à tout prix, ou de se conforter dans la croyance que l’on réalise des économies, et que les économies anticipées ont plus d’importance à nos yeux que la certitude (toujours relative) d’un résultat de qualité qui nous satisfera longtemps, alors oui, pourquoi pas.

Mais je doute personnellement que l’on paie nécessairement plus cher en boutique, pour la simple et bonne raison que pour pouvoir affirmer que l’on paie plus ou moins cher, il faudrait que les mêmes produits (nous parlons ici de produits neufs bien entendu) soient disponibles aux deux endroits, sur Internet et en boutique, ce qui n’est généralement pas le cas. Car la grande majorité des manufacturiers sérieux ont un réseau de distribution bien établi, et leurs produits ne sont généralement offerts que chez des marchands autorisés, lesquels ont pignon sur rue, et sur rue seulement, pas sur Internet. Une écrasante majorité des grands noms de l’industrie ne vend pas ses produits sur Internet, point.

Et s’il arrive que l’on trouve « miraculeusement », sur Internet, certains produits qui en principe ne devraient pas s’y trouver, la prudence devrait être de mise. Les produits contrefaits sont encore assez rares, mais ils existent. Il peut aussi s’agir de produits provenant de ce qu’on appelle le marché gris, un marché parallèle non approuvé par les manufacturiers ni par leurs distributeurs, et dans ce cas les garanties originales ne sont pas honorées. (Pour des dizaines d’exemples de produits offerts sur le marché gris, voir le site Web d’AudioCubes II.) En outre, il est fréquent que des produits offerts sur le marché gris ne soient pas conçus pour utilisation avec le voltage utilisé en Amérique du Nord. Ceux-ci nécessitent alors des transformateurs (qui pourraient en principe dégrader la qualité sonore) pour pouvoir être utilisés, ou ils devront être modifiés par un atelier spécialisé.
Il ne faut pas confondre le marché gris avec les marchands autorisés qui vendent, de façon tout à fait légitime, leurs démonstrateurs sur le Marché d’Occasion du site Internet du Magazine TED par Québec Audio Vidéo, sur Canuck Audio Mart, Audiogon ou ailleurs.

Se limiter à Internet pour ses achats, signifie donc en principe que l’on n’aura pas accès à une majorité de produits renommés, conçus et fabriqués par des manufacturiers sérieux et qui contrôlent rigoureusement la qualité de ce qu’ils fabriquent. Mais il se trouve aussi des manufacturiers qui, soit parce qu’ils ont des doutes par rapport à la capacité des canaux de distribution traditionnels de leur donner les volumes espérés, ou parce qu’ils sont à la recherche de marges bénéficiaires plus importantes, font le pari de vendre leurs produits sur Internet, directement aux consommateurs. L’acheteur peut généralement faire confiance à ces fabricants, par ailleurs sérieux et novateurs. Cela ne va cependant pas sans certains inconvénients : un choix somme toute très limité de marques et de produits; le fait qu’on ne puisse pas faire d’écoute avant d’acheter; des coûts de transport qui sont généralement plus élevés (sans compter le risque de dommages dans le transport), et des réparations qui se feront, le cas échéant, le plus souvent par la poste.

Les produits des grandes marques que l’on retrouve dans les boutiques conservent généralement une valeur de revente nettement supérieure.

La boutique spécialisée
Le détaillant qui a pignon sur rue est un concessionnaire autorisé des produits qu’il offre. Le marchand honorera la garantie du manufacturier, au besoin, et il profite à cet égard du plein support de celui-ci et/ou de son distributeur. Les réparations sont souvent faites sur place, beaucoup de boutiques étant équipées d’un atelier et ayant à leur service des techniciens qualifiés.

Parce qu’il est un concessionnaire autorisé, le conseiller a une excellente connaissance des produits qu’il tient en boutique. Il connaît les qualités, et les faiblesses quand il y en a, de chacun. Il connaît aussi les synergies possibles, et les autres plus difficiles à réaliser. Si l’on part du principe qu’un audiophile, par définition, cherche à assembler une chaîne qui doit reproduire la musique de la façon la plus crédible possible, et que la crédibilité de l’ensemble dépend en bonne partie de l’association judicieuse de composantes et de la synergie qui en découle, on entrevoit déjà un des écueils qui guette l’amateur de musique tenté par le saut vers Internet pour ses achats. Comment peut-on être certain que les enceintes et l’amplificateur achetés sur Internet, sur la seule base d’informations glanées à droite et à gauche et sans écoutes préalables, donneront le résultat musical espéré ? En audio, deux et deux ne font pas nécessairement quatre, et tout n’est pas interchangeable. Des appareils de qualité et de marques reconnues ne donneront pas nécessairement un résultat optimal lorsqu’ils seront jumelés. C’est dans le monde réel que se font les écoutes qui nous disent la vérité sur les produits que l’on envisage d’acheter, pas en lisant des fiches techniques et les opinions d’internautes. Il faut se fier à son oreille, et les recommandations d’un bon conseiller qui connaît son matériel et qui peut nous guider, peuvent en ce sens nous éviter bien des erreurs. Il est généralement sage de donner préséance à l’opinion d’un bon conseiller en boutique, plutôt qu’à celle de quelques quidams sur Internet qui s’improvisent et se présentent comme « experts ».

Il peut être extrêmement frustrant d’investir quelques milliers de dollars sur ce qui aurait dû être un bon système, et de se retrouver avec une chaîne trop « brillante » et fatigante à la longue, ou tout simplement mal adaptée à notre pièce d’écoute ou à nos préférences. Qu’aura-t-on réellement « économisé », en effet, si le résultat final déçoit et que l’on doive éventuellement revendre du matériel avec une dépréciation dans les 50 % ?

Cette connaissance intime des appareils et de vos besoins permet au conseiller de guider votre choix vers des appareils qui ne décevront pas à long terme. On garde plus longtemps les appareils qui nous procurent une réelle satisfaction ; ils s’avèrent souvent moins chers à l’usage que des articles achetés parce qu’ils étaient moins chers, mais qu’on sera tenté de remplacer, justement parce qu’ils ne correspondaient pas exactement à ce dont on avait réellement besoin.

Non seulement le conseiller dans une boutique est-il en mesure de nous guider, il peut aussi nous faire entendre son matériel, généralement dans des salles de qualité respectable. Il faut aussi prendre en considération que le matériel le plus susceptible de nous procurer satisfaction à long terme, n’est pas toujours celui qui est nécessairement le plus accrocheur lors d’une première écoute. Dans la plupart des boutiques, on prendra plaisir à vous inviter à revenir pour réécouter à nouveau, de façon à vous assurer que votre choix est le bon. Allez donc faire ça sur Internet.

Plusieurs boutiques permettent, moyennant un dépôt, d’emprunter un appareil, des câbles ou même une paire d’enceintes, pour en faire l’écoute chez soi, dans son propre environnement. Cette possibilité vaut à elle seule son pesant d’or, considérant que l’interaction entre le système et la pièce d’écoute est tout à fait déterminante dans la qualité du résultat final.
Quand on a fixé son choix sur un appareil en boutique, il est souvent généralement possible de partir sur le champ avec celui-ci, la plupart des boutiques gardant en inventaire les items qui se vendent bien et qui ne coûtent pas des sommes astronomiques. C’est un fait que la majorité des acheteurs désirent partir avec l’appareil convoité dès que leur choix est fait. Contrairement à Internet, il n’y a pas de coûts additionnels (souvent très importants) de transport à payer quand on achète d’un marchand qui a pignon sur rue et qui a ce qu’on désire en inventaire.

Certaines boutiques offrent aussi le service d’installation à domicile, un service bien utile pour ceux et celles que la seule vue des fils et des câbles épouvante, ou qui ont des installations complexes à réaliser.

La majorité des boutiques spécialisées ont leur propre site Internet. Quand ils sont mis à jour régulièrement, ces sites, qui offrent généralement des liens vers les sites des manufacturiers représentés en boutique, peuvent être d’excellentes sources d’informations.

Finalement, l’être humain est une créature relationnelle et pour beaucoup d’entre nous, nous continuerons de préférer le contact humain réel à ses succédanés virtuels. Contrairement à notre interlocuteur sur Internet, le conseiller en boutique n’est pas une entité anonyme, et il est en mesure de nous offrir un véritable sourire ou une franche poignée de main, en plus de ses services professionnels. Parce qu’il fait partie de la communauté, l’employé de la boutique contribue à l’économie locale puisqu’une partie de ses revenus lui permettront d’effectuer des achats à son tour dans la région. Et si par malheur celui qui nous reçoit n’est pas accueillant et semble quelque peu désintéressé, si on semble avoir oublié qu’un commerce n’est rien sans sa clientèle, rien n’interdit d’aller ailleurs, tout simplement.

Je ne peux terminer ce texte sans parler du pire client pour une boutique, l’individu parasitaire qui vient profiter des ressources de la boutique, qui s’informe et fait des écoutes, qui peut même pousser l’audace jusqu’à emprunter du matériel pour une écoute à la maison, et qui finit par passer sa commande sur Internet ou ailleurs. Paradoxalement, ce comportement met en lumière certains des manques et des lacunes du magasinage sur le Web pour des équipements audio spécialisés : l’impossibilité de toucher et de voir, de faire des écoutes avant l’achat; l’absence de cette certitude qu’on aime avoir avant d’investir plusieurs centaines, voire des milliers de dollars sur du matériel ; le risque plus élevé d’être déçu. Faut-il rappeler que la boutique paie un loyer et des taxes. Le chauffage, l’électricité et l‘entretien des lieux. Elle rémunère son personnel qualifié et contribue à certains avantages sociaux. Elle supporte un inventaire. Elle doit aussi, ne soyons pas dupes, générer des revenus et des profits suffisants, sans lesquels elle est condamnée à fermer. Elle a mieux à faire que du bénévolat pour des personnes sans scrupules.

Conclusion
Internet est avec nous pour rester. Je crois cependant que, si le Web nous ouvre de nouveaux horizons et une fenêtre extraordinaire sur le monde et sur une multitude d’informations, il ne peut pas tout faire ni tout remplacer.
La boutique est un lieu de rencontre et d’échanges privilégié et irremplaçable entre le consommateur et le manufacturier. Il y a des avantages indéniables à faire ses achats auprès d’une boutique traditionnelle ayant pignon sur rue, l’assurance d’un résultat plus satisfaisant à long terme n’étant pas le moindre, ni la qualité du service offert dès l’entrée en boutique jusqu’à l’achat final, et le service après-vente.

Nous avons la chance d’avoir au Québec plusieurs boutiques spécialisées dans le matériel audio-vidéo qui, collectivement, nous offrent un excellent échantillonnage de ce que l’industrie a de mieux à offrir. Notre situation à cet égard est enviable, surtout si l’on considère que des régions entières, comme aux États-Unis par exemple, n’ont plus de telles boutiques, un phénomène qui a de fortes chances d’être irréversible. Les passionnés de musique dans ces endroits doivent franchir de grandes distances pour faire leurs achats et, dans ces cas, il devient très difficile d’effectuer quelques écoutes plutôt qu’une seule, ou d’emprunter du matériel pour une écoute à la maison. Ou alors ils se replient sur Internet, et constatent rapidement et inévitablement les nombreux désavantages et limitations de cette façon de magasiner et d’acheter des équipements si spécialisés.

Je trouve désolante la perspective qu’il ne pourrait plus nous rester, un jour, que des Future Shop et autres grandes surfaces comme détaillants de matériel audio-vidéo ayant pignon sur rue. Si les boutiques qui font partie de nos vies devaient disparaître l’une après l’autre, si elles devaient à leur tour devenir victimes de la révolution numérique en cours et de la numérisation du monde, la perte ne serait pas négligeable. On ne pourrait jamais vraiment remplacer ces lieux remplis de matériel de rêve et ces conseillers qui, tout compte fait, jouent un rôle unique et irremplaçable auprès des aficionados passionnés de musique et de films, cette clientèle difficile à satisfaire et toujours à la recherche des meilleurs équipements possibles pour pouvoir profiter pleinement de sa passion, soit les gens comme vous et moi.

Georges Poulin gpoulin@quebecaudio.com