Les bienfaits de l’écoute musicale…

Le cerveau du plaisir, des émotions et de la récompense
En 2001, Robert Zatorre, un neuroscientifique cognitif de l’Université McGill à Montréal, publie une recherche sur une toute autre perception de la musique qui ne serait basée que sur des notes, du rythme et de la mélodie. Il s’est intéressé à ce que nous éprouvons quand une musique nous touche particulièrement, quand nous ressentons des frissons le long de la colonne vertébrale, quand l’œuvre nous transporte et nous émeut. Ce chercheur venait tout juste d’achever une expérience dans laquelle les participants avaient écouté des musiques émouvantes à l’intérieur d’un appareil d’imagerie médicale. La sensation que leur procurait la musique était si forte qu’elle augmentait leur rythme cardiaque, leur respiration et leur sudation.
L’expérience démontrait en même temps que des régions bien spécifiques du cerveau étaient sollicitées, dont l’amygdale et les noyaux accumbens, car ces réactions mettaient en cause le système limbique, associé à la motivation et à la récompense, à l’éveil et aux émotions. Comme les chercheurs ont pu le voir sur les images obtenues grâce au tomographe, les régions responsables de ces effets sont reliées à un neurotransmetteur et une neuro-hormone bien connue, la dopamine.
Cette substance génère la sensation de plaisir que l’on associe à la nourriture, au sexe ou à la consommation de drogues comme l’alcool, la cocaïne ou l’héroïne. En 2011, Robert Zatorre reprend cette étude pour mesurer avec précision la quantité de dopamine produite par l’écoute de la musique. Il établit ainsi un lien direct entre les deux. Plus une musique nous donne des frissons, plus nous sécrétons de dopamine.
Ce chercheur démontre ainsi que notre cerveau travaille à décoder la musique sur deux plans à la fois. La composante physique – les fréquences, les rythmes et les textures – est prise en charge par le cortex. La dimension émotive est perçue par notre système limbique, qui analyse les éléments liés aux émotions, aux plaisirs et à la récompense. Cette dualité explique l’effet de la musique sur notre cerveau. Elle touche à la fois notre côté rationnel par sa structure mathématique, tout en sollicitant nos émotions à un niveau comparable aux grands besoins liés à notre survie comme le sexe ou la nourriture.

Des bienfaits hormonaux
Lorsque l’écoute de votre pièce musicale est terminée, je suis certain que vous avez la sensation d’être en équilibre avec vous-même, de vous sentir bien. De nombreuses recherches démontrent que non seulement la musique influe sur de nombreuses régions du cerveau, mais de nombreuses molécules également. Il a été démontré que la musique affecte positivement l’humeur, l’anxiété et même la dépression. J’y reviendrai dans le troisième article de cette série portant sur la musicothérapie et la musique pour soigner.
Ce qui importe lorsque nous écoutons de la musique, c’est de savoir qu’elle affecte nos niveaux de trois molécules importantes : le cortisol, la sérotonine et l’ocytocine. La première est une hormone qui est connue pour être reliée au stress. Une étude a démontré que nous produisons moins de cortisol lorsque nous écoutons de la musique. La seconde, la sérotonine – un neurotransmetteur du cerveau – joue plusieurs rôles dont celui de modulateur de notre rythme circadien dont la carence est impliquée dans le stress, l’anxiété et la dépression. Elle serait secrétée en plus grande quantité lors de l’écoute musicale.
Et finalement l’ocytocine, cette molécule que l’on surnomme l’hormone du bonheur, du plaisir et de l’attachement. Sa libération lors de l’écoute musicale ne ferait que confirmer son pouvoir de nous unir et de nous rendre heureux. Dans ce domaine des molécules du cerveau, la recherche est en cours pour mieux quantifier ces effets.

L’écoute de la musique rend-elle plus intelligent?
On me demande souvent si écouter régulièrement de la musique rend plus intelligent. C’est une question légitime. Il y a tout un mythe autour de cette question qui remonte au début des années 1990 avec la diffusion de ce que l’on appelle l’effet Mozart. Il s’agit de l’idée selon laquelle si les enfants ou même les bébés écoutent de la musique composée par Mozart, ils deviendront plus intelligents. Le concept s’est même étendu aux adultes.
Tout débute en 1993 avec une étude publiée dans la célèbre revue scientifique Nature qui popularise cet effet Mozart. La psychologue Frances H. Rauscher, de l’Université de Californie à Irvine, démontre que l’écoute d’une sonate pour deux pianos de Wolfgang Amadeus Mozart, augmente les habiletés spatiales des jeunes participants à l’étude.
Le New York Times s’empare de l’histoire et, en quelques mois, des États américains légifèrent pour rendre l’écoute musicale obligatoire en classe. Puis, c’est la ruée ! Bondissent les ventes de disques, de méthodes, de livres qui expliquent aux parents comment rendre leur enfant plus intelligent par l’écoute musicale. Comment une seule étude peut-elle conclure à un tel effet sur le cerveau ? Tout d’abord, Frances H. Rauscher ne parle jamais d’effet Mozart dans son étude. De plus, l’expérience n’a pas été réalisée avec des bébés ou des enfants, mais bien avec de jeunes adultes. L’échantillonnage sur lequel la chercheuse s’est basée était limité à un groupe de 36 étudiants universitaires.
L’expérience est la suivante : les sujets, répartis en trois sous-groupes, doivent effectuer une série de tâches mentales qui consistent à jouer avec des formes tridimensionnelles dans leur tête, un peu comme plier ou déplier un origami. Avant d’exécuter chaque tâche, ils écoutent 10 minutes de silence, 10 minutes d’instructions verbales pour se détendre ou 10 minutes de la sonate pour deux pianos de Mozart.
Les résultats de cette étude démontrent que les étudiants qui ont écouté Mozart sont les meilleurs pour imaginer à quoi un papier plié peut ressembler une fois déplié. Une amélioration de cette performance qui dure seulement 15 minutes. C’est donc tout un pas à franchir avant d’affirmer que la musique de Mozart rend plus intelligent !
L’étude pique pourtant la curiosité d’autres chercheurs. En 1999, le magazine scientifique Nature publie une revue de littérature sur l’ensemble des études qui ont suivi et arrive à la conclusion que la musique de Mozart n’a aucun effet sur l’intelligence ou sur le raisonnement, mais semble avoir un effet sur la capacité de transformer des images visuelles.
Les scientifiques en retiennent que la tâche de prendre un objet tridimensionnel comme un origami et de le déplacer dans l’espace pour en comprendre la forme est une activité d’éveil cognitif qui se déroule dans l’hémisphère cérébral droit du cerveau. Une étude en particulier démontre que l’écoute d’un passage d’un roman de Stephen King, un grand écrivain américain de suspenses d’horreur, lu à haute voix, semble avoir le même effet.
En 2010, plus de 40 études indépendantes, impliquant 3 000 participants, sont passées au peigne fin. Il en découle que toutes sortes de musiques produisent ce même effet. Une étude démontre l’effet avec Schubert. Une autre, effectuée avec 8 000 étudiants en Grande-Bretagne, révèle un effet supérieur à celui de la musique de Mozart en employant de la musique populaire, dont la chanson Country House du groupe Blur. En fait, les auteurs arrivent à la conclusion que l’effet Mozart n’existe tout simplement pas. Toute forme de stimulation qui rend plus alerte comme un bon café ou une marche à pas rapides, peut avoir le même effet de courte durée !

Jouer a plus d’impact
On voit bien que l’écoute musicale n’a que des bienfaits. C’est littéralement une drogue douce sans effets secondaires ! De plus, elle a l’avantage d’être disponible en tout temps. Mais en abuser soulève des questions sur son effet. Bien des musiciens professionnels et des pédagogues suggèrent de choisir le bon moment pour en faire l’écoute. Dans une société où la musique devient une tapisserie de plus en plus bruyante et omniprésente, elle perd de son efficacité.
C’est une chose d’écouter de la musique, mais d’en jouer procure un plus grand effet. Plus d’une centaine d’études d’imagerie cérébrale ont été menées pour comparer ce qui se déroule dans le cerveau d’un musicien versus celui d’un non-musicien. Il est certain que l’exécution de la musique implique une intégration importante des habiletés sensorielles et motrices ainsi que des fonctions supérieures d’attention, de cognition et de mémoire.
Comme nous l’avons vu précédemment, tout cela est motivé par l’anticipation de l’expérience du plaisir qui résulte de la production même de la musique. Est-ce que la pratique de la musique a un impact sur le développement cognitif ? C’est un champ de recherche actif, mais les conclusions ne sont pas encore définitives. Une chose est certaine, au cœur de ces changements dans le cerveau se trouve un concept central, celui de la plasticité du cerveau. Car il se passe bien quelque chose dans le cerveau lorsque l’on apprend à jouer d’un instrument.

Et c’est ce que nous allons explorer dans le prochain article
de cette série sur le cerveau et la musique…

Suggestions de lecture
Boulez, Pierre, Changeux, Jean-Pierre et Manoury, Jean-Pierre,
Les neurones enchantés: Le cerveau et la musique, Paris, Éditions Odiles Jacob, 2014.

Levitin, Daniel, De la note au cerveau, Montréal,
Éditions de l’Homme, 272 pages.

Rochon, Michel, Le cerveau et la musique, Montréal,
Éditions Multimondes, 2018, 186 pages.