Les bienfaits de l’écoute musicale…

Michel Rochon est un journaliste scientifique et médical. Pendant 30 ans, il a travaillé au sein de plusieurs équipes d’information de Radio-Canada, notamment au sein des équipes de Découverte, d’Enquête, de La semaine verte et du Téléjournal. Il est, aujourd’hui, chargé de cours de journalisme à l’Université du Québec à Montréal, et il est également conférencier, animateur et… pianiste.

Le premier article de cette série sur le cerveau et la musique explore les plus récentes découvertes scientifiques concernant la façon dont la musique affecte le cerveau. De nombreuses régions et plusieurs molécules sont impliquées dans la perception musicale. Les frissons, le bonheur et les joies que procurent la musique en ont fait un outil de cohésion sociale et une forme d’art indispensable.

Les mélomanes et les amateurs de haute-fidélité de ce magazine sont certainement tous de grands amants de la musique. Le rituel de l’écoute musicale – qui consiste à prendre le temps de choisir sa pièce favorite, de déposer le disque compact dans le lecteur ou bien de faire ce choix sur son fournisseur en ligne, puis de s’installer confortablement dans un fauteuil ou une chaise, de fermer les yeux pour enfin se laisser emporter par cet art invisible qui défile dans le temps pour faire vivre tant d’émotions et revivre tant de souvenirs – n’a que des bienfaits.
Ce miracle est rendu possible par un organe qui a pris des millions d’années à évoluer. Le cerveau de l’humain contient près de cent milliards de neurones richement interconnectés qui nous permettent d’abord et avant tout de survivre et de nous reproduire. Les anthropologues et les scientifiques qui étudient l’origine de la musique s’accordent sur le fait qu’elle aurait pris naissance il y a environ cent mille ans. À cette époque, les sociétés primitives d’homo sapiens auraient découvert les pouvoirs du rythme et maîtriser leurs cordes vocales pour inventer un langage unificateur, donnant corps aux différents rituels, nécessaire à la vie en société : l’amour, la chasse, la guerre et les récoltes.

Pour les scientifiques, la musique serait le langage fondateur, avant même l’émergence de la parole et des langues. Depuis, la musique s’est développée en un art d’une grande richesse et d’une grande complexité. Comment notre cerveau fait-il pour percevoir toutes ces subtilités, pour en tirer tant de bonheur ? Pourquoi sommes-nous si accros

La découverte du cerveau musical
Ce n’est qu’au XXe siècle que la science a pu cartographier et analyser comment notre cerveau percevait la musique. C’est le développement de l’imagerie médicale qui a permis cet important progrès dans notre compréhension de ce que plusieurs appellent le cerveau musical, un terme un peu simpliste et galvaudé comme nous allons le découvrir.
Au début des années 1990, l’arrivée de la résonance magnétique fonctionnelle va permettre de mieux comprendre comment la musique est perçue par le cerveau et ainsi expliquer et confirmer tous les bienfaits de l’écoute musicale. Lorsque j’ai écrit mon livre Le cerveau et la musique, j’ai découvert qu’il n’y avait pas qu’une seule région dédiée à la musique, mais bien un très grand nombre de structures qui sont à l’œuvre pour nous permettre de percevoir la musique dans toute sa splendeur.

La musique est composée de divers éléments : des notes qui s’assemblent pour donner des mélodies, des harmonies qui sont composées de plusieurs notes jouées en même temps, des rythmes qui structurent la musique dans des temps et des timbres, les couleurs qui se dégagent des instruments et des voix. Cet assemblage complexe arrive à nos oreilles en formant un tout. On a découvert que l’oreille et le cerveau font un travail saisissant de complexité en décomposant, puis en recomposant tous ces éléments en une fraction de seconde.
Retournons à votre pièce de musique favorite, celle qui vous procure le plus de plaisir. Pourquoi ce morceau vous fait-il tant d’effet ? Le son est d’abord perçu par l’oreille. C’est le lieu d’une incroyable transformation, depuis l’onde sonore qui est transformée en mouvements d’osselets, puis en mouvements sur la membrane de la cochlée, pour être traduite en impulsion électrique et voyager le long du nerf auditif.
C’est ainsi que le voyage vers le cerveau débute. Le signal électrique, dans le nerf auditif, commence par transiter dans une série de régions du système primitif du cerveau que l’on appelle le tronc cérébral. Le signal électrique parvient d’abord au cortex auditif primaire qui se trouve de chaque côté du cerveau. C’est la ligne d’entrée du son dans le cortex, cette partie du cerveau, à sa surface, qui analyse toutes nos fonctions supérieures. Le cortex auditif se situe dans le lobe temporal, une région au cœur de la perception de l’audition, du langage et de la mémoire.

Le cerveau des notes et de la mélodie
Le cortex auditif primaire décode chacune des notes de votre pièce favorite. La fonction qui identifie la hauteur et la fréquence de chaque note de musique semble plus prédominante du côté droit du cerveau. Toutefois la mélodie, une suite de plusieurs notes, donc une succession de hauteurs (une fréquence spécifique pour chaque note), est perçue dans ce que l’on appelle le cortex auditif secondaire ou associatif, situé juste à côté du cortex auditif primaire. Non seulement cette région décode la mélodie, mais elle a même la capacité de détecter une fausse note dans une mélodie.

Le cerveau du rythme
L’autre composante du morceau favori, c’est le rythme. La région qui décrypte le rythme musical se trouve dans le cortex auditif secondaire du côté droit du cerveau. Quand le rythme est simple, par exemple si votre pièce préférée est une musique pop à deux temps ou une valse à trois temps, et que vous avez la soudaine envie de taper du pied, des régions additionnelles du cortex entrent en action : ce sont des parties des cortex frontal et pariétal gauches et le cervelet, ce petit cerveau qui est responsable de la coordination des mouvements.
Si votre morceau est un jazz au rythme complexe, des régions encore plus étendues de votre cortex sont sollicitées, dont les régions de la motricité et votre cervelet, afin de coordonner vos battements de pied. Et ce n’est pas surprenant, la musique et le mouvement sont intimement liés. L’émergence de la musique par le rythme et le chant a vraisemblablement entraîné, depuis des milliers d’années, de nombreuses générations à danser.

Le cerveau de l’harmonie
La superposition de plusieurs notes jouées simultanément avec la mélodie donne une grande richesse sonore à une pièce de musique. C’est ce que l’on appelle l’harmonie. En Occident, notre musique a beaucoup tourné autour du mode majeur, perçu comme joyeux, et du mode mineur, qui est plus triste. Une pièce de musique se compose d’une succession d’accords différents qui peuvent être principalement conduits en majeur ou en mineur. Ce sont des régions du lobe frontal, loin de la région du cortex auditif, et une autre région, le cortex cingulaire, qui sont responsables de la détection et de la perception des harmonies.

Le cerveau des couleurs musicales
Enfin, une œuvre musicale a également toute une série de timbres, ce que l’on pourrait appeler des textures sonores. Cette série de timbres se définit en fonction des instruments et de l’orchestration. Elle est multidimensionnelle et implique que le cerveau puisse distinguer plusieurs instruments. On a démontré que ce décodage se fait par le biais des régions auditives du lobe temporal, également en relation avec une activation des zones frontales.

La mémoire de la musique
Contrairement aux singes, par exemple, nous sommes capables de retenir de très longues séquences sonores. Nous détenons une excellente mémoire fonctionnelle.
C’est que notre cerveau a quelque chose de plus que celui des macaques ou des chimpanzés. Si ces derniers disposent aussi d’un cortex auditif, ils n’ont pas de connexions neuronales avec le lobe frontal. Or, ces connexions nous permettent d’y relayer des signaux tout au long de l’écoute musicale afin de les analyser, puis de retourner l’information vers le cortex auditif. C’est un feedback générant une mémoire active de la musique que l’on écoute. Et plus on l’écoute, plus il en reste des traces.
D’ailleurs, ne vous arrive-t-il pas de vous souvenir de votre pièce préférée et de vous la jouer dans la tête avec une exactitude assez surprenante ? L’imagerie médicale nous confirme que la mémoire de votre morceau de musique se situe dans ces zones du cortex auditif et frontal, et que ce mécanisme expliquerait que l’on soit capable d’imaginer la musique sans l’écouter.
La musique va également toucher d’autres régions de la mémoire à long terme située dans une autre région du système limbique, l’hippocampe. Comme son nom l’indique, cette région a la forme d’un colimaçon et un de ses rôles est d’entreposer les mémoires. Combien de fois une musique que vous aimez a fait jaillir en vous des souvenirs marquants ou enfouis ?