Led Zeppelin IV : À la conquête du monde

50 ans après sa sortie, l’album mythique de rock classique a traversé les époques
Par Claude Coté
Sorti le 8 novembre 1971 sur Atlantic Records, à l’instar des trois premiers disques du quatuor britannique, Led Zeppelin IV étonne avec cette photo d’un vieillard transportant des branches sur son dos en guise de pochette. Aucune mention de titre d’album, en vérité il est éponyme. Sans mention des noms des musiciens non plus : Jimmy Page, Robert Plant, John Paul Jones et John Bonham sont chacun représentés par un symbole. Le sigle ZoSo de Page est arboré sur ses amplificateurs de scène et sur quelques vêtements de concert.

Peter Grant, le gérant du groupe, ne voulait pas de singles sur le marché des 45 tours, à son corps défendant, il réfute l’idée que le groupe soit dans le Top 40 des palmarès, selon lui, on écoute le disque au complet et dans l’ordre : Black Dog, Rock’n Roll, The Battle of Evermore, Stairway to Heaven sur la face A et Misty Mountain Hop, Four Sticks, Going To California, When the Levee Breaks sur la B. Andy Johns a réalisé l’album.

Il plane une aura de mystère autour du quatuor. Page a acheté le manoir (Boleskine House) où l’écrivain, occultiste, tarologue, adepte de magie noire et franc-maçon Aleister Crowley a habité de 1899 à 1913 et qui est décédé en 1947. Situé au sud-est du Loch Ness en Écosse, Jimmy Page, qui collectionnait des objets ayant appartenu à Crowley en a été le propriétaire de 1970 à 1992. Les rumeurs ont vité circulé sur l’attirance et la prédilection du guitariste et producteur pour la magie noire et ses rituels. On ne les voit pas souvent à la télé, une stratégie de Grant. En dehors des tournées (lors de leur escale à Montréal en 1970, le groupe essuie une critique virulente de la part du journaliste Juan Rodriguez de The Gazette qui dit en gros qu’après dix minutes on a tout vu, les quatre membres se font discrets. Donc à part l’expérience dans son salon à faire des circonvolutions au disque 33 tours, la seule manière de prolonger l’expérience est de les voir en concert. LIVE. Et c’est là que le groupe a battu tous les records de recettes pour ses tournées et ainsi transformé à tout jamais la notion de rock d’aréna : Led Zeppelin avait déjà trois albums de rock lourd coulés dans le blues et le folklore anglais qui allaient révolutionner la planète rock. Led Zep IV a confirmé ses acquis : à ce jour, il est leur meilleur vendeur – 37 millions de copies écoulées, en plus d’être parmi les meilleurs disques de rock tous palmarès confondus… Un succès commercial et critique.

Stairway To Heaven : l’ombre et la lumière
Et une immortelle, Stairway To Heaven, réclamée par les fans à tous leurs concerts. Le texte signé Robert Plant est intriguant, hors-norme. Un extrait :

If there’s a bustle in your hedgerow, don’t be alarmed now
It’s just a spring clean for the May queen
Yes, there are two paths you can go by, but in the long run
There’s still time to change the road you’re on
Your head is humming and it won’t go, in case you don’t know
The piper’s calling you to join him
Dear lady, can you hear the wind blow, and did you know
Your stairway lies on the whispering wind?

Il a beaucoup été question ces dernières années de la poursuite du groupe américain Spirit engagée en 2014 alléguant que l’intro de sa chanson Taurus ait été plagié par Jimmy Page qui en a fait sienne sur l’intro de Stairway to Heaven. Les premières notes de guitare acoustique tendent à donner raison au défunt groupe : l’affaire s’est étirée en cour en 2016 alors que Led Zeppelin a gagné la première manche, puis à nouveau en 2018 alors que la cause a été portée en appel. En 2020, la poursuite fut déboutée en tentant un dernier recours. L’affaire n’est pas banale : durant cette période seulement, la chanson a récolté en droits d’auteur la somme de 3,4 millions de dollars.

On apprécie davantage la valeur ajoutée de Stairway to Heaven en concert. En 1973, le groupe joue quelques soirs au Madison Square Garden de New-York, la captation deviendra la matière du film The Song Remains The Same qui sortira au grand écran en 1976. Stairway est envoyée en fin de spectacle comme l’on devait s’y attendre. La chanson de 8:02 min est déjà au firmament de la constellation rock, érigée en trois segments bien distincts. Et les spectateurs chantent déjà à l’unisson toutes les paroles. L’une des rares chansons de Led Zeppelin où la batterie ne se fait entendre qu’à 4 min.18 sec. suivant le long préambule qui ressemble à un écrin de guitares douces et de poésie.

Jimmy Page utilise sa guitare Gibson (EDS-1275) double-manche pour Stairway to Heaven. Le manche à douze cordes en haut pour la partie rythmée et ses accords riches et la six cordes, juste en dessous, qui est utilisée pour le fameux et cathartique solo à la fin, dramatique et émotif à souhait, passé à l’histoire et imité à la douzaine depuis. Pourtant, la version originale est joué sur une Fender Telecaster que Jeff Beck, son ancien complice des Yardbirds lui avait offert. Stairway To Heaven est souveraine sur la radio FM depuis ce temps-là.

La chanson Rock’n Roll, inspirée de Keep-A-Knockin’ de Little Richard (1932-2020). Deuxième plage de la face A de Led Zep IV, démarre le concert de 1973 sur les chapeaux de roues. Sans les overdubs de sa guitare Les Paul conçus en studio, Page donne à Rock’n Roll une toute autre saveur armé de sa seule guitare. Évidemment, les coups de caisses clairs et de cymbales en guise d’intro de l’increvable Bonham vous font lever de votre siège.

On y entend aussi un passage de Black Dog et les mots a cappella de Plant : Hey Hey Mama Said The Way You Move Gonna Make You Sweat, Gonna Make You Groove en prélude au tonitruant hymne rock. Misty Mountain Hop est aussi de la liste de chansons mais ne figure pas sur la version originale de The Song Remains The Same.

Headly Grange, le lieu de tous les possibles
Au mois de décembre 1970, deux mois seulement après la sortie de Led Zeppelin III et ce, jusqu’en février 1971, les quatres rockeurs anglais enregistrent la plupart des pistes de Led Zeppelin IV à Headley Grange dans l’atmosphère relaxe du comté d’Hampshire en Angleterre. Un bâtiment historique et pittoresque construit en 1795, on y installe un studio mobile loué au groupe The Rolling Stones adjacent à l’édifice utilisé pour immortaliser sur bande les légendaires sessions. La configuration des lieux profite à des expériences de toutes sortes au niveau de la prise de son. La plus célèbre est très certainement l’emplacement de la batterie de John Bonham sous la cage d’escalier en bois située dans le lobby qui propulsa dans les hauteurs la chanson When The Levee Breaks (Quand le barrage cède) une composition de Memphis Minnie et son mari Kansas Joe McCoy parue en 1929 (la chanson est désormais du domaine public). Les coups de baguette martelant les caisses de la batterie Ludwig de Bonham sont intimidants et commandent l’attention. Ce motif de batterie a été emprunté plus d’une fois par d’autres musiciens au fil des années, notamment en échantillonnage sur des morceaux de rap.

Led Zeppelin nous avait habitués à des passages acoustiques aux allures de folklore sur ses trois disques précédents. Black Mountain Side sur Led Zep 1, Ramble On sur le second et plusieurs sur Led Zep III : Tangerine, Gallows Pole, Bron-Y-Aur Stomp, That’s The Way. Cette fois-ci, sous l’égide du solstice d’hiver anglais, le groupe étonne avec The Battle of Evermore avec l’invitée Sandy Denny (Fairport Convention) aux vocalises. D’ailleurs, elle est la seule femme à avoir chanté sur un disque de Led Zeppelin. Robert Plant s’est inspiré du livre Scottish Independant Wars pour les paroles. On voit se confirmer cette tendance qui apporte une autre dimension au groupe. Capable de rock lourd et de folk avant-gardiste. John Paul Jones délaisse sa basse et ses claviers pour enfiler la mandoline et se joint à Page et sa lutherie acoustique. Il n’y a pas de batterie. Dans la séquence d’écoute de la face A, on vient de recevoir Black Dog et Rock’n Roll dans les oreilles. D’ailleurs, le pianiste anglais Ian Stewart fait belle figure comme invité sur cette dernière (durant la session à Headly Grange, les chanson Boogie With Stu, Down By The Seaside et Night Flight sont aussi composé et joué mais ne seront dévoilé au grand public que quelques années plus tard sur l’indispensable double-album, Physical Graffiti. On a peine à reprendre notre souffle donc, puis arrive cette accalmie sonore sur laquelle Denny est gracieuse, son tissu vocal est caressant et se moule aux sons des mandolines. La table est mise pour les huit minutes et deux secondes de Stairway To Heaven qui enchaîne tout de suite après et clôt la face A. Idem pour Going To California, inspirée de Joni Mitchell qui habitait Laurel Canyon en Californie, la troisième plage de la face B, tout juste placée entre la stimulante Four Sticks joué à quatre baguettes par Bonham et la musclée When The Levee Breaks, l’intermède acoustique amène un joli contrepoint à la proposition.

Les pistes de base des huit chansons ont été captées à Headly Grange, mais c’est au Island Records Studios à Londres que le groupe enregistra les premières ébauches avant qu’il ne déménage ses pénates à la campagne. Une fois les chansons bien abouties, retour dans la capitale anglaise pour l’ajout des pistes additionnelles (overdubs).

Jimmy Page n’aimait pas le mix final de Led Zeppelin IV réalisé au Sunset Sound Studio de Los Angeles, or au mois de juillet 1971, il refait le mix de l’album au complet : la date de sortie prévue en avril est repoussée à novembre. Durant ce processus, il fut même considéré de publier un album double ou à l’opposé, une série de EP’s (mini-albums de cinq chansons).

Le groupe continue d’être endisqué chez Atlantic en 1973 lors de la sortie de Houses of The Holy, mais en 1975, le groupe fonde Swan Song Records et publie Physical Graffiti en février 1975. Le 6 du même mois, les dieux du rock débarque au Forum de Montréal et offrent au public médusé quelques chansons de Physical Graffiti. Se succéderont les albums Presence (1976), In Through The Outdoor (1979) et Coda (1982), le neuvième et dernier album du groupe fait de chansons écartées des sessions de studio du passé.

En 2007, Led Zeppelin était la tête d’affiche d’un spectacle en hommage au regretté Ahmet Ertegun qui était le grand patron de l’étiquette de disque qui a signé le groupe en 1968. Présenté au O2 Arena de Londres, avec le batteur Jason Bonham, fils de John Bonham disparu en 1980, le groupe a offert aux fans venus de partout dans le monde le premier concert complet en plus de trente ans ; c’est en 1985 que Led Zeppelin s’est une première fois reformé pour le concert-bénéfice Live Aid à Philadelphie. Avec nul autre que Phil Collins à la batterie !

Pas de doute, Led Zeppelin IV a donné des ailes au super groupe pour la décennie à peine entamée. Son influence au plan musical a révolutionné la façon de concevoir un disque rock. N’oublions pas la cuvée 1971 : What’s Going On de Marvin Gaye, Who’s Next de The Who, L.A. Woman des Doors, Meddle de Pink Floyd et Aqualung de Jethro Tull pour ne mentionner que ceux-là, sont parus la même année. En 2014, la version Deluxe de Led Zeppelin IV est sortie, avec chansons en bonus et mix alternatifs des huit chansons. Mothership et Celebration Day sont sorti des voûtes de Page ces dernières années, deux compilations incluant de l’inédit.

Le gérant Peter Grant depuis l’époque des Yardbirds est mort en 1995. Le gérant de tournée Michael Cole, qui a vu le premier et le dernier concert du groupe, nous a quitté le mois dernier. Et Jimmy Page qui aura 78 ans le 9 janvier prochain continue de gérer le patrimoine musical de Led Zeppelin comme un curateur conscient de l’amour inconditionnel des fans. Sans Led Zeppelin IV, le groupe aurait-il atteint de si hauts sommets On peut en douter.

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