Le cerveau et la musique – partie II

L’impact de jouer de la musique sur le cerveau
Si le fait d’écouter la musique procure des bienfaits, en jouer peut apporter encore plus d’effets positifs. Dans ce deuxième article de cette série sur le cerveau et la musique, nous examinons les études qui démontrent des bienfaits de la pratique musicale sur la concentration, la mémoire et l’apprentissage des langues entre autres. La bonne nouvelle c’est qu’il n’y a pas d’âge pour en tirer des bénéfices.
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Nous sommes tous fascinés de voir un grand pianiste jouer un concerto avec un orchestre symphonique ou un guitariste de rock se lancer dans un solo de virtuose où les notes filent à vive allure. Ceux qui ont déjà pris des cours de musique dans leur vie peuvent attester de l’effort et de la discipline qu’il faut pour en arriver là. Que se passe-t-il dans le cerveau lorsque l’on joue de la musique ? Y a-t-il des bienfaits additionnels au fait de simplement en écouter ? C’est ce que nous allons explorer dans ce deuxième article sur le cerveau et la musique.

De nombreux chercheurs dans le domaine des neurosciences affirment que la performance musicale est l’un des défis les plus complexes et exigeants sur le plan cognitif que l’esprit humain peut entreprendre. Ce n’est pas rien. Contrairement à d’autres tâches qui demandent un feedback tactile, la performance musicale requiert la synchronisation de plusieurs régions du cerveau, en plus d’un contrôle moteur, auditif et sensoriel constant pour maintenir les notes justes dans l’exécution. Il faut lire les notes, les transformer en commandes motrices, y ajouter une intention musicale, écouter ce que cela donne, ajuster le tir, anticiper les prochaines notes, le tout de façon soutenue pendant des heures. Voilà bien toute une gymnastique pour le cerveau !

Le cerveau du musicien
Prenons un pianiste confortablement installé devant sa partition. L’étape de départ consiste à lire les premières notes avant d’interpréter la pièce. En fait, ce qu’il voit, ce sont des symboles – des notes sur une portée – qu’il doit associer à des sons et à un doigté pour générer la note sur l’instrument. Le signal visuel part des yeux, puis il est transformé en un signal électrique qui voyage le long du nerf optique vers l’arrière du cerveau, dans une région du lobe occipital que l’on nomme le cortex visuel. Des connexions du cortex visuel vont ensuite vers le cortex auditif situé dans le lobe temporal et vers le cortex moteur, dans le lobe pariétal, juste au-dessus.

Ce triangle de trois régions corticales agit en boucle de façon continue et coordonnée. Ce n’est pas tout. Un bon musicien anticipe les notes qui n’ont pas encore été jouées afin de s’assurer d’un bon phrasé de la mélodie et d’une dynamique adéquate du jeu tout au long de l’interprétation. Il lui faut également coordonner le mouvement de ses mains pour assurer un bon rythme. Si le musicien veut accentuer la dynamique d’une seule note à l’intérieur d’un passage, la jouer plus fort ou plus vite, il doit ouvrir une autre ligne de communication directe, en temps réel, entre son oreille et le cortex moteur qui contrôle le doigt impliqué.

Finalement, il faut y ajouter une expression émotive, celle demandée par le compositeur, et son grain de sel d’exécutant, ce qui demeure le summum de l’interprétation. Tout le système limbique intervient alors le long du signal électrique entre le cortex, les membres et les doigts de l’artiste.

La plasticité du cerveau d’un musicien
Devenir musicien implique des années de pratique et de discipline. Ce tour de force répété des heures chaque jour pendant des années a-t-il un impact à long terme sur le cerveau ? De nombreuses études d’imagerie ont comparé les cerveaux de débutants à ceux de musiciens professionnels, et d’autres travaux ont permis de suivre l’évolution des changements sur des musiciens. Premier constat : la musique modifie le cerveau. Une pratique musicale soutenue induit des transformations dans les structures mêmes du cerveau, selon un principe que l’on nomme la plasticité. Les cortex auditifs et moteurs des apprentis acquièrent de nouvelles connexions au niveau de leur matière grise, une région pourvue en neurones fonctionnels. Idem dans d’autres régions périphériques dont le cortex prémoteur et le cervelet, le centre de contrôle de la coordination des mouvements.

Les chercheurs ont même constaté des modifications dans la matière blanche, ces neurones qui connectent les différentes régions du cerveau. L’exercice de la musique augmente les fibres nerveuses du corps calleux, principale autoroute reliant les deux hémisphères du cerveau. Les cortex auditif et moteur sont naturellement essentiels à la pratique musicale, mais le plus intéressant est de voir des régions périphériques y prendre part. On a même des musiciens très avancés qui disposent d’une connectivité intense entre les régions motrices et sensorielles, en dehors de l’activité musicale.

Les bienfaits de jouer de la musique
Donner un instrument et des cours de musique sont parmi les plus beaux cadeaux que vous pouvez donner à vos enfants. Car tout porte à croire que l’apprentissage de la musique par l’enfant améliore ses capacités auditives, sa coordination motrice et sa perception du rythme. Mais de récentes études vont plus loin et constatent des transferts de compétence dans des aptitudes plus lointaines, comme l’intelligence verbale, et même une amélioration des performances académiques. Mais la question que tous les parents ont au bout de leurs lèvres est de savoir à quel moment débuter l’apprentissage musical de leur enfant.

Les scientifiques évoquent une période sensible, c’est-à-dire un moment dans le développement du cerveau où les expériences exercent une puissante influence sur la malléabilité de la circuiterie neuronale. Pour l’audition en général, la plasticité du cortex auditif est maximale pendant trois ou quatre ans à partir de la naissance, d’où l’importance de stimuler le nouveau-né sur le plan auditif. La plasticité optimale pour l’apprentissage de sa langue première se situe entre l’âge d’un et cinq ans. Pour l’apprentissage d’une langue seconde par exemple, la période va de la naissance à l’âge de 12 ou 13 ans. Cela dit, le meilleur âge pour apprendre la musique est déterminé par la période sensible de la plasticité. Sans entrer dans les détails, les périodes sensibles des régions responsables de la perception et de l’exécution de la musique sont variables. De plus, la motivation et l’environnement jouent également un rôle. Une chose est certaine, l’apprentissage d’un instrument développe les aptitudes linguistiques, l’attention et la flexibilité sur le plan des tâches cognitives. Plus on apprend jeune, plus on a de chances de maximiser ses capacités.

L’apprentissage de la musique améliorerait les aptitudes d’écoute
Il va sans dire que jouer de la musique régulièrement améliore la perception auditive. Des enfants de huit ans qui reçoivent une formation musicale de six mois sont en mesure de distinguer de faibles changements de fréquence dans une note, ce qui ne sera pas le cas de ceux qui ne sont pas formés. Les musiciens adultes peuvent reconnaître et distinguer des conversations dans le bruit.

D’ailleurs, une scène de Trente-deux films brefs sur Glenn Gould, du cinéaste canadien François Girard, est devenue célèbre : on y voit l’illustre pianiste Glenn Gould manger dans un restaurant rapide fréquenté surtout par des camionneurs. L’environnement est très bruyant. Le plaisir que Gould en tire est d’isoler une à une les conversations de tous les convives présents. Il s’amuse même à créer une polyphonie en mélangeant les discussions, comme Bach l’aurait fait avec des notes. Le psychiatre Peter Oswald a été le premier, en 1996, à formuler un diagnostic post-mortem des troubles dont le pianiste canadien souffrait. Il affirme qu’il avait toutes les caractéristiques du syndrome d’Asperger, une forme d’autisme. Sa douance pour la perception aiguë des polyphonies n’est cependant pas nécessairement liée à ce syndrome. D’ailleurs, je connais plusieurs musiciens qui possèdent cette aptitude sans pour autant être autistes.