La grande star espagnole de passage à Montréal pour la première fois! En spectacle le 10 juin Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts, dans le cadre des Francofolies de Montréal

Montréal, mai 2011 — La carrière internationale de la chanteuse hispanique Luz Casal a été propulsée au début des années 1990 quand le grand réalisateur Pedro Almodóvar l’a choisie pour interpréter deux des chansons de son film à succèsTalons aiguilles, Piensa en Mí et Un Año de Amor. Depuis, elle a connu une ascension fulgurante, et son plus récent opus (elle en a 12!), La Pasion, a été certifié disque platine en Europe. La voici enfin pour la première fois à Montréal!

La Pasión a commencé un jour précis, dans un studio madrilène. Le 12 avril 1991. Pedro Almodovar a proposé a Luz Casal d’enregistrer deux chansons pour son prochain film, qui ne s’appelle pas encore Talons Aiguilles. Le choix est audacieux : Luz Casal, à cette époque, est célèbre en Espagne comme chanteuse de rock’n’roll, dans la lignée Joan Jett ou Chrissie Hynde. Le long d’une carrière débutée en 1980, elle s’est faite une réputation de battante, de femme au fort tempérament, sur fond de guitares saignantes et de martèlement de batterie. Ce jour d’avril donc, plusieurs semaines avant le premier tour de manivelle, Luz Casal entre en studio. Le matin, elle met en boite Piensa en Mi, un bolero peu connu du compositeur mexicain Agustin Lara. Après le déjeuner, Un Año de Amor, tube des années 60 de la star Italienne Mina, que le réalisateur a lui-même traduit en espagnol. Le tout est bouclé en six heures. Marisa Paredes, qui interprètera le rôle de la chanteuse dans le film, est présente pour anticiper le travail de play-back. Victoria Abril aussi. «Je suis sortie euphorique du studio, se souvient Luz. Je savais que nous avions fait du bon boulot. A l’époque, je préparais un nouvel album. Je suis allée voir la maison de disques et je leur ai dit : « J’ai envie de d’enregistrer un disque entier de boléros. Ils ont cru que j’avais perdu la tête : « Un répertoire sentimental, toi qui a une image de rockeuse ? Tu plaisantes ? Ton public ne suivra pas. » J’ai donc cédé, et enregistré A Contraluz avec les chansons prévues. » Bien entendu, le succès international du film et de sa BO change la donne. «Les producteurs m’ont dit  alors: c’est le moment de faire ce disque de boléros. Là, c’est moi qui ai dit non. Vous n’en vouliez pas ? Maintenant c’est mon tour. On verra plus tard. »

Plus tard, c’est aujourd’hui. 18 ans sont passés. Luz Casal a poursuivi une carrière riche et intense, qui l’a propulsée parmi les chanteuses les plus populaires du monde hispanophone, de part et d’autre de l’Atlantique. Et lui a fait vivre une histoire d’amour singulière avec la France : elle a repris (en espagnol) Cabrel et Dalida, elle a enregistré, en français, des duos avec Etienne Daho ou Raphael, et a rempli les salles de l’Hexagone. C’est précisément à la fin d’une tournée française, avec cinq mémorables Cigales à guichets fermés, en 2006, que survient l’imprévu : hospitalisée pour épuisement, les médecins diagnostiquent un cancer. Opérations, chimiothérapie : après un an et demi de combat et une ultime intervention, elle est tirée d’affaire. « En me réveillant de l’anesthésie, la première chose que j’ai dite, c’est « je veux faire ce disque de boléros. «

Le boléro appartient à l’ADN des hispanophones. Ce genre musical, né à Cuba à la fin du XIXe siècle et très vite exporté vers le Mexique, a connu son âge d’or entre les années 30 et 50, à une époque où la radio, avant l’invasion de la télévision, occupait une part prépondérante dans la vie quotidienne de toutes les classes sociales. Et la présence des chansons sentimentales, tour à tour tendres, mélodramatiques ou ironiques, a marqué l’imaginaire de plusieurs générations. Mais dans un répertoire riche de milliers et de milliers de titres, par où commencer ? « J’ai puisé dans ma mémoire, je me suis souvenue des chansons qu’aimait ma mère, explique Luz Casal. Quand j’étais enfant, nous écoutions Antonio Machin, un Cubain installé en Espagne, les Argentines Estela Raval ou Libertad Lamarque, la Mexicaine Toña la Negra. Plus tard, en fréquentant les milieux littéraires, j’ai découvert le merveilleux Cubain Bola de Nieve. J’ai aussi fait beaucoup de recherches, j’ai lu des livres, demandé à des spécialistes. Un vrai travail archéologique. «   Le résultat : onze chansons triées sur le volet, entre grands classiques et pépites oubliées. Certaines, comme Sombras ou Encadenados, sont célèbres dans les pays de langue espagnole mais ne diront rien aux auditeurs du reste du monde (même si Encadenados, chantée par le crooner chilien Lucho Gatica, figurait dans la bande son de Matador, d’Almodovar, déjà). Historia de un Amor est un standard en France, grâce aux versions de Dalida et Gloria Lasso. Il y a aussi un boléros-cha, cette géniale invention cubaine qui parvint à greffer la rythmique du cha-cha-cha sur le boléro pour en faire un hybride irrésistiblement dansant. Une autre chanson occupe une place à part : Como la Cigarra, de l’Argentine Maria Elena Walsh, écrite en 1972, a acquis dans son pays, sous la dictature militaire (1976-1983), un statut d’hymne de résistance. « Tant de fois je suis morte, tant de fois on m’a tuée, et pourtant je suis ici, je ressucite. Comme la cigale qui passe six mois sous terre et qui réapparait.. » Beaucoup y verront une allusion à la maladie. Luz se contente de dire : « Chacun l’interprétera comme il le souhaite. A l’origine, elle a été inspirée à son auteur par un épisode amer de sa carrière. Lors d’un festival, on l’avait présentée comme une chanteuse oubliée qui tentait un come back, ce qui l’avait blessée. Le propos n’était pas politique à l’origine, ce sont les circonstances historiques qui lui ont donné ce sens. »

Le répertoire était choisi, restait à dessiner le costume qui allait l’habiller. L’heure est au dépouillement, et les ambiances guitare-voix, ou les accompagnements jazzy piano-contrebasse sont dans l’air du temps. Non, trop facile. « D’abord, ce type d’exercice acoustique, je le pratique depuis longtemps, sur disque comme sur scène, avance la chanteuse. Et puis ces chansons, à leur époque, ont été gravées avec de grands orchestres, c’est le traitement idéal, celui qu’elles méritent encore aujourd’hui. » Il y aura donc des cuivres rutilants et une débauche de cordes. Crise, quelle crise ? On ira enregistrer à Los Angeles avec quelques-uns des session men les plus réputés de la planète. Otmaro Ruiz au piano, Alex Acuña à la batterie, Ramon Stagnaro à la guitare, Luis Conte aux percussions, René Camacho à la basse… Oui, tous des latinos (Péruviens, Vénézuéliens, Cubains…). Le boléro, ils baignent dedans depuis l’enfance. D’où la ferveur avec laquelle ils se sont engagés dans le projet. On aurait donné cher pour voir ces vieux loups de mer, tannés par des années passées aux côtés de Ray Charles, Madonna, Paul Mc Cartney, Ella Fitzgerald et des centaines d’autres, verser leur petite larme à la coda de Sombras… Luz Casal garde un souvenir ému des séances en Californie, avec des connaissances qui passent au studio dire bonjour : Jackson Browne, ou ce vieil ami des années de la movida madrilène, Antonio Banderas… Une autre étoile de la galaxie Almodovar.

La Pasión est finalement une B.O.F. Celle d’un film panoramique dont les acteurs sont les sentiments. Luz Casal y chante comme elle n’a jamais chanté, bouleversante sans jamais sombrer dans le pathos. Une anecdote révélatrice : en studio, Luz, qui ne se sentait pas vocalement au sommet de ses possibilités (ce fichu fog de L.A.), avait décidé de poser des voix témoin, pour enregistrer les voix définitives à Madrid, un peu plus tard. Au final, ce sont ces prises brutes, avec leurs aspérités et toute leur émotion, qui ont été conservées. « La Pasión, confie l’artiste, est mon douzième disque et le plus plaisant à réaliser, il s’est fait sans tensions, comme dans un rêve ». Un rêve qu’ont fait des millions d’auditeurs dans le monde entier depuis que Piensa en Mi est entrée dans leur vie pour ne jamais en repartir. Et peut-être un peu plus que ça : loin du kitsch, une célébration intemporelle de la passion de vivre.