Yolande Roberge, la «sorcière du son» n’est plus! Elle est décédée le 19 avril dernier des suites d’une opération chirurgicale.

Pour tous les acteurs et témoins de la scène de la reproduction sonore des années soixante etsoixante-dix, Yolande Roberge n’a pas besoin de présentation. Pour les plus jeunes, il estimportant qu’ils sachent quel personnage hors pair et hors du commun elle fût. Démontrant une énergie farouche, elle créa, avec sa boutique «Audiorama», le premier magasin francophone dédié à la haute-fidélité la plus exigeante qui pût exister à l’époque. Ce fut elle qui imposa l’idée que seule une écoute attentive en salle aménagée permet de juger de la qualité d’une chaîne et non la réputation ou la taille d’un fabricant. Ce ne fut pas simple, car les distributeurs imposaient leur marques et aucune boutique n’avait vraiment l’indépendance nécessaire pour refuser certaines offres… Les vendeurs et représentants d’alors pourront témoigner de son intransigeance totale lorsqu’ils venaient lui proposer une nouvelle pièce d’équipement. Une des premières, elle osa passer outre aux canaux traditionnels de distribution et alla chercher en Europe et surtout en Angleterre des produits exceptionnels et qui gardent encore aujourd’hui une réputation presque mythique. Pensons à Radford, Spendor, Linn-Sondek, Naim, Pierre-Clément, etc.

Les clients, quelquefois intimidés eux-mêmes par sa franchise sans détours, savaient d’instinct qu’ils trouvaient là une source incomparable de connaissances techniques et musicales. Il ne s’y trompèrent pas et affluèrent en masse à la boutique de la rue Saint-Hubert où elle ne refusait jamais une écoute suivie d’une discussion. Plusieurs m’ont confié avoir caché à Yolande Robergeleur préférence pour la musique pop de ces années-là, qu’ils n’osaient pas afficher de peur de s’attirer ses foudres, elle qui ne jurait que par le classique! Mais ils y allaient quand même fascinés par son approche et convaincus d’acquérir ainsi des équipements de qualité.

Avec les années, le modèle Audiorama inspira la naissance d’un grand nombre de boutiques. Aussi, bien des propriétaires et vendeurs de ces boutiques ont acquis leurs connaissances au contact de la «Sorcière».

L’admiration que l’on peut porter à la carrière de cette femme ne se limite pas toutefois à la seule Audiorama. Cette carrière s’inscrit dans le combat pour l’émancipation des femmes. Étudiante au cours commercial, elle fut sévèrement blâmée pour avoir dessiné un transformateur, ce qui démontrait, lui dirent les soeurs, un intérêt dénaturé réservé aux seuls hommes! Au début des années cinquante, elle suivit les cours de l’Institut de l’Électronique. Seule femme de sa classe, elle termina première de sa promotion. C’était alors les débuts de la télévision à Radio-Canada et tous les diplômés furent engagés par la société d’État à l’exception de Yolande Roberge parce que c’était une femme! Toute sa carrière fut en sorte un combat où, heureusement, elle sut utiliser une énergie inépuisable pour réaliser ses ambitions et refuser d’entrer dans le rang.

Ses dernières années, elle les consacra à la peinture et à l’appronfondissement de la musique de
son cher Bruckner. Son ami et collaborateur de toujours Jean de Ladurantaye l’a fidèlement
accompagnée jusqu’à ses derniers moments, ayant tout le long défendu les mêmes buts et partagé
les mêmes espoirs.

Yvon Massicotte employé chez Audiorama de 1974 à 1984.