IAN SIEGAL AND THE YOUNGEST SONS
The Skinny
Nugene Records, NUG1101
Les bluesmen des collines du nord du Mississippi étaient beaucoup plus « établis » sur leurs terres, et moins itinérants que les bluesmen du Delta du Mississippi, ceux-ci œuvrant plus au sud, selon Mary Dickinson, mère de Cody des North Mississippi Allstars, et conjointe du légendaire Jim Dickinson. C’est vrai qu’on a entendu parler des Junior Kimbrough, R.L. Burnside et autres pionniers de ce coin de pays, beaucoup plus tard que les bluesmen originaires du Delta. Ceux-ci ont de ce fait été découverts via le blues électrique de Chicago et révélés principalement de ce côté-ci de l’Atlantique par la British Invasion, menée par les Rolling Stones, les Yardbirds, John Mayall & compagnie… Quelques groupes du Royaume-Uni, dont Fleetwood Mac, étaient venus à Chicago enregistrer au Chess Studio, la référence du Chicago Blues. Quarante ans plus tard, plus ou moins, le bluesman britannique Ian Seagal traverse le grand étang et débarque au North Mississippi studio de Jim Dickinson pour enregistrer un disque avec The Youngest Sons qui,  en fait, sont les plus jeunes fils des légendes de ce coin de pays : Cody Dikinson; fils de Jim, batteur, percussionniste, bassiste et réalisateur, Gary Burnside; fils de R.L., guitariste et bassiste, Robert Kimbrough; fils de Junior, guitariste, Rodd Bland; fils de Bobby « Blue » Bland, batteur. S’ajoutent également à ce band de « bon sang ne saurait mentir » les invités spéciaux Alvin Youngblood Hart et Andre Turner, au « fife » ou flûte, typique du blues de cette région,  et popularisé par Othar Turner et Duwayne Burnside. Ce blues network est tricoté serré, de même que très consistant. Le résultat est proprement ou « salement », selon la perspective employée, hallucinant, hypnotisant, groovant, enflammant !… Riche ! ! !… Vous êtes avertis ! En complément synergique s’intègre la voix brûlante, râpeuse et entraînante de Siegal !… Rythmes hypnotiques et transe assurée ! ! ! Sinon, est-ce que vous auriez par hasard un grand trou dans l’âme ? En passant, The Skinny, ça veut dire The Real Deal, « La Vraie Affaire » ! C’est pas moi qui « va » les contredire ! ! !

JAMES COTTON
How Long Can A Fool Go Wrong
Blue Boulevard Records, 250287
How Long Can A Fool Go Wrong est une réédition 2011 de l’album studio 100 % Cotton, enregistré en 1974, et, du double album Live And On The Move de 1977. Le James Cotton Band était alors considéré comme étant « the hottest band on the East Coast », ce qui est aussi mon opinion pour avoir vu le band super hot de Mr. Superharp, James Cotton, à cette époque. Imaginezalors que c’était le premier band de blues de Chicago que je voyais live, au Palais Montcalm de Québec, et tout cela en première partie du légendaire pionnier et figure de proue de Chess Records, nul autre que Muddy Waters. Ce qui avait frappé mon imagination de néophyte à cette époque, était le fait que ces musiciens démontraient une complicité de vieux amis qui se devinent, tout autant que de musiciens qui s’anticipent et se tirent la pipe. James Cotton était le musicien le plus énergique et infatigable que j’aie vu et, encore aujourd’hui, ses prouesses de l’époque trônent encore au sommet de mes performances les plus dynamiques de tous les temps. Comme premier contact avec le blues live, il était évidemment difficile de demander mieux ! James Cotton pratique un blues rude, énergique, sans fioritures assaisonné de Rythm n’ Blues, de Funk et de ballades. Quant à moi, c’est parmi ce qui s’est fait de mieux dans ce style dans l’histoire du Blues. Les musiciens qui l’accompagne, tant au piano, à l’orgue qu’à la section de cuivres, sans oublier à la guitare, la basse, la batterie, et à l’harmonica de Mr. Cotton, charriaient un train d’enfer, une rythmique survoltée, implacable, ahurissante!  Une musique de cette qualité, rendue par des musiciens aussi dédiés, n’a pu que transcender les époques, tel un fleuron du style ! If you dig the blues, choisissez ce Mr. Superharp at his best ! Pour moi, des moments à jamais remplis d’émotion et d’émerveillement intense ! !! Deux pouces bien haut ! ! !

RIOT AND THE BLUES DEVILS
No One To Blame But Me
Iguane Records, IGU2-4117
Dans un registre blues rock et avec du matériel original, Riot and the Blues Devils ébranle les colonnes du temple, brasse la cabane et fout l’ambiance desserrée et survoltée de party !… Big Papa Mike à la basse et au vocal, au même titre que Mark DiClaudio, sont comme les cinq doigts de la main avec le leader Riot, guitariste et chanteur, tout comme Pat Loiselle, invité de choix, à l’harmonica sur trois pièces. Nul autre que Jimmy James, l’un des plus cool et intéressants parmi les guitaristes agiles et véloces, à mon avis, vient contribuer qualitativement au son déjanté et passionné de cet album qui sort du lot. Il s’exprime à la six cordes sur deux pièces dont Going Back To The Roots, écrite par J-C Lantin Jr, qui y contribue également au vocal. Riot, cette bête de scène, sait aussi jouer dans les registres émotionnels, à preuve cette ballade The Father the Son and the Holy Ghost, pleine de soul, sentimentale à souhait, tandis que la guitare de Riot y chante les louanges en phrasé !!! Quand vient le temps de « rocker solide », Magalie Giguère, la blonde du leader ne donne pas sa place et synergise, telle une Maggie Bell avec Long John Baldry … Très hot !!! Sur cette pièce, le piano époustouflant et endiablé est une gracieuseté d’André Chrétien, lequel joue aussi de la B3 sur le disque. La stonienne acoustique, No One To Blame But Me, interprétée au Dobro, slide et voix est très bien envoyée ! Dans un style blues électrique aux effluves urbaines, Where The Hell Was My Baby Last Night, fait mouche ! Le tout finit sur les chapeaux de roue avec Raise Hell, un rockabilly endiablé aux guitares enflammées, fluides et expressives, tandis que tous les membres du band se pointent, tels des pistoleros sur des chevaux cabrés ! Disons que cet enregistrement très bien pensé, interprété et réalisé, donne un goût de revenez-y, tout comme une pièce d’anthologie !!!

PINETOP PERKINS
Heaven
Blind Pig, BPCD5145
Pinetop Perkins est de plein droit une grande légende du blues. Il m’a déjà raconté, me montrant la longue cicatrice à son bras droit, qu’au début il jouait de la guitare mais que cette entaille au couteau l’avait amené à se concentrer sur le piano. Cette histoire est racontée dans les notes de la pochette de couverture de l’album… Né en 1913 et décédé en 2011, ce presque centenaire n’a-t-il honnêtement pas vécu les racines profondes et l’évolution des hauts et des bas du blues, acteur de choix de cette scène musicale, notamment de sa position de pianiste dans le réputé band de Muddy Waters, durant une douzaine d’années. Et ces racines, il en est un porteur et un interprète on ne peut plus authentique ! Huit des douze pièces, dont cinq compositions originales, sont interprétées au piano solo et agrémentées, selon le cas, de la voix de Mr. Perkins. Des classiques, tels 44 Blues, Sittin’ On Top Of The World, Pinetop’s Boogie Woogie, Sweet Home Chicago et That’s All Right y sont interprétés avec toute l’acuité et la richesse des « faits de la vie ». L’interprétation de Since I Fell For You avec Otis Clay, au vocal, est tout simplement touchante, remuante, rien de moins qu’un avant-goût de la félicité. Heaven, cet album posthume  de notre réputé bluesman, nous met en présence d’enregistrements d’un jeune pianiste alors âgé de soixante-treize ans, qui n’a eu de cesse de performer jusqu’à son dernier jour, eut-il besoin d’aide pour s’asseoir à son piano, ce que je vis. Je m’en voudrais de ne pas terminer ce commentaire-disque par une citation qui résume bien pour moi l’expérience du blues de ces bluesmen nés au Delta, ayant grandi à Chicago et propulsés par la suite à l’international. Elle est de Justin O’Brien qui a écrit les liner’s notes pour ce magnifique disque : « If there’s a heaven – and God knows there ought to be for those musicians of the Delta who endure grievous deprivations and suffered countless indignities yet brought joy to so many – Pinetop Perkins is certainly there. » R.I.P. in Blues Heaven, Mr. Willie Perkins aka Pinetop Perkins

DAVID MAXWELL, OTIS SPANN
Conversations in Blue
Circumstantial Productions
À propos d’Otis Spann, celui qui l’a connu et s’en est grandement inspiré; David Maxwell, dit, notamment de lui : « His phrasing was very important. He just seemed to touch something very deep and this really appeal to me. Because at that point in my life, I thinked I needed something that called out to me in a psychological, almost therapeutic way ». Ça peut sembler curieux je suppose que je vous parle abondamment par le biais d’un commentaire-disque, des liner’s notes écrites par David Maxwell lui-même. Pour moi, toutefois, l’essence de toute cette musique du Chicago des années 50 et début 60 se trouve révélée dans ces commentaires on ne peut plus pertinents, éclairants et allant droit au but. David Maxwell y raconte son évolution, de la musique classique au jazz, jusqu’au blues d’Otis Spann, en quelque sorte son modèle, son guide musical sur les chemins du blues. Maxwell éclaire lui-même et précise la beauté du style de blues de Muddy Waters, Otis Spann & Cie qui m’a tant touché et interpellé, quand je l’ai vu et entendu livrer ces propos live : « Their onstage camaraderie and easy, convivial style were infectious. I was completely blown away. » Plus loin… : « Throughout the 1950s and early 1960s in that style of blues, there was a musical counterpoint among musicians in many Chicago blues bands. They knew how to weave in and out of one another. In The Muddy Waters Band, the piano was an important part that was woven into the fabric of the music. And Otis Spann was a coconspirator in the making of that music. He provided a foundation and embellishment working together in perfect synchrony ». Ce projet tout à fait spécial de Conversations in Blue basé sur l’album « Otis Spann is the blues » de 1960, reprend notamment en duos post mortem, à partir de ce vinyle, quatre des sélections de cet album. David Maxwell est un lien on ne peut plus actuel et authentique avec ce piano blues d’Otis Spann commandant le respect et paraissant décontracté, tout à la fois. Il a voulu ce projet, telle une conversation musicale la plus honnête et la plus conviviale qui soit. « Roots can’t do you no harm ». Bonne écoute ! Bonne lecture ! Pour le feeling et l’intelligence de cette musique de B-L-U-E-S !

CHRIS WATSON BAND
Pleasure and Pain
Gator Music, BDR1201
Chris Watson a du groove ! Il dégage du soul, de la fluidité, du naturel tant dans son jeu de guitare que dans son chant inspiré, lesquels se fusionnent à merveille ! À l’aveugle, sa musique m’a touché, fait vibrer par sa qualité et sa consistance, pour ensuite m’apercevoir que ce jeune homme de 25 ou 26 ans s’était déjà mérité le « Future of the Blues Award » décerné par le Blues Underground Network. Ce natif de Denton, Texas, a commencé à gratter la guitare à l’âge de 13 ans. En 2005, il a joint le band de blues de son père et, depuis, en est déjà à son deuxième album. Cet opus comprend neuf compositions et trois reprises dans des styles variés, allant du funk au shuffle et au blues rock, en passant par le gospel et le rock, sans oublier la ballade de même que les southern roots de Lynyrd Skynyrd. Figurent, aussi parmi ses influences Jimi Hendrix et les Allman Brothers. Outre la guitare, le band comprend basse, batterie, claviers, trompette, saxophone et une choriste féminine. Neuf des douze titres de ce disque sont de la plume avisée de Watson. Il complète avec un gospel traditionnel, un R&B aux accents jazzy de Bobby Womack et un walking blues aux accents funky de Sean Costello, un autre jeune au talent prodigieux, qui fut d’une classe supérieure de musicien et d’entertainer. Que de maturité musicale, d’aisance et d’expérience de la part de Chris Watson, ce jeune artiste en plein ascension à qui l’on souhaite le meilleur sur la route.

MENTION SPÉCIALE !

J.D. BÉLANGER
J.D. BÉLANGER A.K.A. J.D. SLIM
Québec Blues, QB-120328 2
Avec ce double album homonyme, J.D. Slim réalise un projet ambitieux, de diverses manières. Tant par le nombre de pièces, trente et une, que par le choix moitié-moitié du français et de l’anglais, que par la variété et la maîtrise des styles, il fait notamment œuvre de révélateur d’un blues en français, teinté ici et là d’une poésie du quotidien et d’une musique offrant une palette diversifiée. Il passe, entre autres, d’un blues-racines avec slide guitar, au rock et au folk rock décliné avec de multiples influences musicales qui transparaissent de façon éparse en filigrane. Du DC en français, j’ai principalement retenu Pas Besoin De Personne, à la simplicité et à la concision des textes propres au blues et au style laid back avec doux wah-wah à la JJ Cale ; j’ai bien aimé aussi À Montréal, c’est le blues qu’on aime, pour les paroles rafraîchissantes comme de l’eau fraîche et la présence discrète et sentie de Bob Walsh qui, fait inusité, s’exécute de sa griffe vocale sur une couple de lignes de blues en français. Dans un style musical aux réminiscences de Dire Strait, Marianne est parmi les plus belles chansons de Bélanger avec sa touche poétique et sa vulnérabilité. Quelle chance de vivre est rendue avec aplomb, une agréable mélodie ainsi qu’une maîtrise des teintes et nuances musicales, une force constante de ce guitariste d’expérience. Dans un tout autre registre, le titre Les dieux de la guerre démontre un dynamisme au service de l’humanisme, tel l’éditorial d’un bluesman. La ballade J’aime ça quand t’es là, paroles de C. Desjardins et musique de J.D. Slim, met en scène cette poésie du quotidien et des êtres émerveillés… Une belle chanson, un beau mariage paroles et musique !… Le DC en anglais est curieusement moins blues. Folk rock, touches de R&B, country blues, rock avec guitare électrique appuyée, reggae, ballade, plusieurs styles de la musique populaire se pointent au rendez-vous de ce disque éclectique, lequel paie aussi tribut à l’ancêtre commun, Mr. Blues !… Plus d’une vingtaine de musiciens qui poussent la note bleue au Québec ont répondu présents pour être de l’aventure, y joignant la diversité de leur instrumentation et de leurs talents. N’est-ce pas là un signe d’amitié et d’appréciation qui ne ment pas ? Au final, J.D. Bélanger A.K.A. J.D. Slim est un opus qui mérite que l’on s’y arrête pour en apprécier les riches et différents sédiments qu’il charrie dans les méandres fertiles du blues et du rock québécois. J.D. A.K.A. J.D., pour prendre le temps de se laisser parler par de la vraie musique et de rouler avec le blues !