Compte-rendu de la rencontre du 6 Mai 2009
Par Patrick Baillargeon, journaliste musique au Voir et à Radio-Canada

Qui a encore besoin d’un label?

Poser cette question aujourd’hui tombe sous le sens. En cette époque trouble, où ce n’est pas juste l’industrie du disque qui ne tourne pas rond, il est clair que les labels, maisons de disques et maisons d’artistes en font les frais.

Avec l’avancée rapide des nouvelles technologies, avec l’évolution de la mise en marché et les changements de mentalité par rapport aux façons de consommer la musique, plusieurs affirment qu’il n’est plus nécessaire de passer par un label pour espérer sortir du lot. Et les preuves sont nombreuses pour venir appuyer cette tangente. Mais pourtant, d’autres estiment que les étiquettes de disques sont encore un moyen incontournable pour appuyer un artiste et l’aider à se développer.

C’est donc avec cette question à choix multiples que ce premier volet des débats mensuels sur le monde de la musique – initiés par l’IMM (Institut des Métiers de la Musique) – a démarré. Et comme le but de ces rencontres est de discuter à batons rompus sur le sujet, en s’égarant parfois, sans prise de tête ni quelconque protocole (ni de frais d’entrée !), c’est dans une atmosphère très cool, une bière à la main, que les quelques curieux et instigateurs de la soirée se sont retrouvés le 6 mai dernier dans l’ambiance cozy du Social.

Et qu’avons-nous retenu de cette discussion ? Toutes sortes d’idées et toutes sortes d’opinions, toutes aussi défendables, et discutables, les unes que les autres. Tout depend de quel côté de la sphère musicale on se tient. Donc diverses opinions certes, mais toujours deux écoles de pensée. Pour ou contre.

Un mal nécessaire
Selon certains des intervenants présents, issus surtout du milieu des musiques électroniques et hip-hop, les labels ne comprennent plus les artistes qu’ils endossent. Ils n’ont, de plus, aucune idée de la façon d’opérer un marketing viral qui soit efficace.

Donc, si un artiste a déjà une bonne base de fans et un contact direct, via le web et autres, c’est son propre nom qui devient ainsi une sorte de “label”, une “marque de commerce”. Et si l’artiste en question a l’intention de faire distribuer sa musique via le web et en ne sortant que très peu de copies physiques d’un album, il peut le faire sans l’aide d’un label. DIY certes, mais aujourd’hui les moyens pour faire tout soi-même et arriver à se démarquer sont là. Il s’agit simplement de savoir comment utiliser ces outils.

Par contre, à long terme, est-ce une méthode durable, rentable et suffisante? L’artiste ne risque-t-il pas de plafonner rendu à un certain point? Car pour entretenir une communauté, ça prend du temps et des sous. Un label peut offrir ça et bien davantage.

En échange, il demande des droits d’exploitation. Et quand un label est déjà établi,  l’artiste bénéficie de l’image de marque du label quoique ces images commencent à pâlir et plusieurs vivent encore sur leur gloire passée. Il n’en demeure pas moins que certaines étiquettes de disques correspondent au public qu’un artiste recherche ou qui lui ressemble. Un label peut aussi disposer d’une base de fans.

Force est d’admettre cependant qu’il y a un fossé souvent assez vaste entre les artistes et les labels. Car ces derniers, affaiblis, répondent de moins en moins aux besoins des artistes et à leur promotion. Et puisqu’il y a moins de temps passé sur l’artiste, les labels ne le comprennent pas tout à fait, ne savent pas ce qui serait bon pour lui. C’est bien connu que plusieurs labels, à part mettre leur nom sur un projet, ne font rien. Ils se retrouvent producteurs sans n’avoir fait aucun effort. Et quand ça arrive, l’artiste se retrouve à presque tout faire tout seul. De plus, afin de rentabiliser au maximum et de palier à la diminution des ventes d’albums, les labels étendent de plus en plus leur champ d’action, interviennent plus fréquemment dans la musique des artistes, le merchandising, le booking, l’édition… Ce qu’on nomme des contrats à 360 degrés. Et ces contrats sont souvent nébuleux, ce qui n’arrange pas les choses et aide à entretenir les clichés et les préjugés tenaces sur les gros méchants labels capitalistes qui cassent les artistes, les bouffent et les recrachent.

Ainsi, sachant cela, plusieurs des gens présents à ce premier débat se sont entendus pour dire que les labels sont finalement un mal nécessaire. Pour le meilleur ou pour le pire.  Car les artistes peuvent encore aller chercher une crédibilité en plus de toute l’aide don’t ils ont besoin (subventions et distribution entre autres) auprès d’un label. Mais il n’est absolument pas dit qu’un artiste peut arriver à tout faire seul ou en compagnie de quelques complices déterminés, à faire bien plus qu’un employé d’une grosse etiquette de disque qui n’a pourtant pas qu’un seul artiste à sa feuille de route.

Prudence
Finalement, qui aujourd’hui a réellement besoin d’un label? En général, des artistes qui ne veulent ou ne peuvent pas travailler seuls, qui n’ont pas les moyens de se payer un enregistrement et qui ont besoin d’une expertise et d’appuis financiers pour réaliser des projets plus ambitieux. Mais si un artiste est séduit ou intéressé par un label, il doit savoir pourquoi il devrait travailler avec tel ou tel label (et vice versa).

Il faut qu’il soit capable de faire la différence entre un label appartenant à un «particulier impliqué ayant des moyens limités», souvent plus sensible à la musique sur laquelle il investit (en général un label indé), et celui appartenant à des «tiers extérieurs», des actionnaires qui n’ont pour souci que les chiffres de vente et qui considèrent la musique comme étant un simple placement sur des contenus générant des flux divers et variés. Les labels «majors» ont évidemment plus de moyens et de ressources mais n’ont pas les memes objectifs que la plupart des labels indépendants.

C’est à l’artiste de sentir qu’il est bien entouré et compris et que l’étiquette de disque en question correspond à son image ou tend dans une même direction. Et c’est au label de proposer le petit plus qui fera la différence.

C’est aussi à lui d’atténuer les rêves de l’artiste, de l’amener vers des considerations plus réalistes et non de lui vendre du rêve, de lui dire ce qu’il veut entendre, car dans ces cas, l’artiste risque à presque tous les coups d’être déçu.

Le label doit aujourd’hui, plus que jamais, servir de filtre, trier le bon grain de l’ivraie dans cette mer de groupes et d’artistes solos. Il doit amener l’artiste plus loin, le valoriser, avoir une direction artistique claire et ne pas toujours se plier à ce qu’il croit que le public et les médias veulent.

Ultimement, de son côté, l’artiste doit se demander s’il va pouvoir vivre de son art, avec ou sans l’aide d’un label… Il s’agit là d’ailleurs d’un des thèmes qui sera abordé lors du prochain débat. Le mercredi 3 juin prochain, on se demandera si la vie d’artiste est un rêve ou une réalité, si on peut convertir des données artistiques en données chiffrées et si l’artiste et son gérant sont sur la même longueur d’onde…

Prochaine soirée : mercredi 3 Juin 2009, 19h à 21h

La vie d’artiste, rêve ou réalité?

Peut-on vivre de sa musique et pendant combien de temps?

Qu’est-ce qu’un bon deal aujourd’hui?

Est-ce qu’un artiste a vraiment besoin d’un gérant?

Au bout du compte, qui gagne quoi et combien?

Venez partager vos expériences et vos idées autour d’un verre dans le cadre d’une discussion ouverte à tous. Nous échangerons sur la carrière d’artiste, ses différentes sources de revenus, la fameuse formule magique pour réussir.

Nous discuterons des pratiques de l’industrie, de la relation entre la course au résultat à court terme et le développement de carrière et bien d’autres sujets encore.

La discussion sera ce que vous y apportez, vous êtes donc les bienvenus à partager vos idées!

Où : Le Social, 1445 Bishop (coin Ste-Catherine Ouest)
Discussion modérée par Patrick Baillargeon (Voir, Radio Canada)
Gratuit, RSVP suggérée à info@metiersdelamusique.com
en partenariat avec CISM et Le Social.
www.metiersdelamusique.com