<!--:fr-->CD: Previn, Schostakovich, Berauer<!--:-->

Sonates pour violoncelle et piano, Passacaglia
Matthias Bartolomey, violoncelle
Clemens Zeilinger, piano
ARS Productions, ARS, 38 149

❤ Coup de cœur et découverte des XXe et XXIe siècle

ARS Productions présente ici un programme axé sur le violoncelle et le piano, avec des œuvres tonales du Russe Dimitri Schostakovich, de l’Américain André Prévin et du Viennois Johannes Berauer (né en 1979). Si les sonates des deux premiers appartiennent au XXe siècle, la Passacaglia de Berauer est ancrée dans le XXIe (écrite en 2012), non par son modernisme mais justement le contraire, par sa contemporanéité pourtant inspirée d’une forme baroque. Ce programme des plus singuliers s’explique d’abord en partie par les parentés manifestes et audibles entre le style des sonates de Schostakovich et de Prévin, le premier ayant fortement influencé le second. Mais le violoncelliste explique dans le livret que les trois compositeurs représentés ont tous été influencés par la musique de film et le jazz, autant dans l’utilisation des harmonies, du chromatisme que des rythmes qui ponctuent ici et là, la structure même des œuvres. Le fil conducteur, quoique mince, se défend toutefois.

On connait mieux André Prévin comme pianiste et chef d’orchestre que comme compositeur. Ici, on sait qu’il a composé sa sonate pour Yo-Yo Ma qui l’a créée avec Prévin au piano en 1993. Malgré d’évidentes qualités, d’équilibre entre les dialoguistes, et des traits de virtuosité aux deux instruments, sa Sonate pour violoncelle et piano (1993) s’avère un sous-produit de Schostakovich et ne laisse qu’un souvenir évanescent que supplante immédiatement l’audition de celle de Schostakovich, l’op 40, composée en 1934 alors qu’il avait 28 ans. Parmi ses premières œuvres de chambre, la sonate op. 40 a bien des choses à dire, quand on connaît le contexte de la Russie d’alors. C’est la densité des émotions, parfois aux antipodes (l’épisode Tranquillo qui scinde le premier mouvement en deux en fait foi), les coups de gueule, l’ironie et la provocation, le dynamisme des rythmes de danse, la frénésie des cavalcades pianistiques et les acrobaties du violoncelle qui charment, confrontent, interrogent, mais font mouche à coup sûr ! Et impossible de rester insensible au Largo, une méditation minimaliste introspective ; ces mouvements lents sont, même dans ses symphonies, matière à arracher les larmes. Pas d’exception ici. Quant aux deux interprètes, ils sont plus qu’à leur affaire. Au violoncelle, les lignes sont nettes, incisives même, et précises dans les pizzicati, et le piano se fait à la fois ténor et accompagnateur, et toujours juste. Toutefois, la prise de son avantage parfois le violoncelle. Personnellement, je préfère encore la version de Wispelwey et Lazic chez Channel Classics.

Mon coup de cœur : la Passacaglia de Berauer. Durant ses quelque 5 minutes, le charme opère d’entrée de jeu avec ce petit thème tout simple au violoncelle, comme une question en suspend. Le piano le rejoint, et les deux dialoguistes, au fil de la structure pourtant rigide de la passacaille, chantent. La section médiane nous éclaire sur l’allusion au jazz du compositeur (et du librettiste), puisqu’on peut se penser chez Corea ou Jarrett. Au final, la progression harmonique marque une intensité que le rubato du cordiste appuie, sans trop le faire, pour enfin revenir au thème initial, qui s’évanouit dans la mélancolie. On l’écouterait en boucle, un ver d’oreille ! La Passacaglia s’inscrit dans le corpus The Vienna Chamber Diaries du compositeur, qu’il me tarde de découvrir. Si le Schotakovich demeure d’une très bonne tenue, et le Prévin une petite découverte, l’écoute aura valu la peine si ce n’est d’avoir déniché Johannes Berauer qui, comme dans son corpus, fait la synthèse entre le classique et le jazz dans une facture très accessible et extrêmement séduisante.

http://www.ars-produktion.de/